La Guerre dans les airs

4.

Tout à coup, on ne s’occupa plus que d’aérostation, de volplané, du plus lourd que l’air ! Ce fut comme une brise qui selève par un jour calme : rien ne la fait présager, elle survient etpasse. On se mit à parler d’aéronautique, comme si jamais onn’avait abandonné un seul instant ce sujet. Les journauxreproduisirent des types de machines et des portraits d’aviateursen plein essor ; les articles et les allusions au vol dans lesairs se multiplièrent dans les graves revues. Dans les trainsmonorails, on se demandait : « Va-t-on bientôt voler ? » Enune nuit ou deux, comme des champignons, on vit surgir unemultitude d’inventeurs. L’Aéro-Club lança le projet d’une vasteExposition sur un emplacement rendu utilisable par la démolition detout un coin immonde de Whitechapel.

La vague montante eut tôt fait de provoquer une ondulationsympathique jusque dans la boutique de Bun Hill. Grubb exhuma sonvieux modèle de machine volante, l’essaya dans la courette, réussitpar miracle à en obtenir une envolée, et l’appareil alla choir dansun jardin proche, sur une serre où il brisa dix-sept vitres et neufpots de fleurs.

Alors, jaillissant on ne sait d’où, soutenue on ne sait comment,la rumeur persistante et troublante se répandit que le problèmeétait résolu, que le secret était connu. Bert en entendit parler unaprès-midi, alors qu’il se rafraîchissait dans une auberge près deNutfield où sa moto l’avait emmené. Là, un personnage vêtu d’ununiforme kaki, un soldat du génie, fumait méditativement ; iltémoigna soudain d’un certain intérêt pour la machine de Bert :c’était un solide morceau de machine âgée de huit ans, qui avaitacquis déjà une sorte de valeur documentaire à notre époque deperfectionnements ultra-rapides. Ses qualités dûment discutées, lesoldat aborda un nouveau sujet en remarquant :

– Ma prochaine machine, autant que je puisse le prévoir, sera unaéroplane. J’en ai assez de rouler sur les routes.

– On en parle, – répliqua Bert.

– On en parle et on le fait… ça vient !

– Ça y met le temps ; je le croirai quand je le verrai. Cene sera pas long.

La conversation dégénérait en un duel aimable decontestations.

– Je vous dis que maintenant on vole… Je l’ai vu moi-même, –insistait le soldat.

– Bah ! nous l’avons tous vu.

– Je ne parle pas des essais d’une envolée avec une chute aubout, et l’appareil endommagé… On vole dans les airs, je vous lerépète, un vol réel, sans danger régulier, contrôlé, contre le ventfavorable ou non.

– Vous n’avez pas vu ça !

– Je l’ai vu ! Au camp d’Aldershot. Ils gardent la chosesecrète. Et ils ont raison, c’est un succès… Vous pensez bien quenotre administration n’a pas envie qu’on se paye encore satête.

L’incrédulité de Bert était ébranlée. Il posait des questions,et le soldat y répondait complaisamment.

– Je vous dis qu’ils ont enclos un espace de plus de quinzecents mètres de côté, avec des ronces artificielles et des fils defer barbelés, jusqu’à trois mètres de hauteur… Mais nous, dans lecamp, on jette de temps en temps un coup d’œil… Et ce n’est passeulement nous autres, les Anglais, qui sommes sur la piste : Il ya les Japonais, et ceux-là pas de doute… ils ont mis la maindessus… Et les Allemands !… Et les Français, qui ne sontjamais restés en arrière dans ce genre d’inventions… ce n’est pasleur habitude. Ils ont été les premiers à faire des cuirassés, dessous-marins, des ballons dirigeables, et il est probable qu’ils neseront pas les derniers cette fois-ci non plus.

Planté sur ses jambes écartées, le soldat bourrait pensivementune seconde pipe. Bert était assis sur le parapet, contre lequel ilavait appuyé sa moto.

– Ce sera drôle, la guerre avec ça, – assura-t-il.

– On se lancera à travers les airs un de ces quatre matins, –reprit le soldat. – Quand on y sera, quand le rideau se lèvera, jevous promets que vous trouverez tout le monde en scène, et à labesogne… Vous ne lisez pas ce qu’on dit dans les journaux,là-dessus ?

– Mais si, un peu.

Eh ! bien, avez-vous fait cette surprenante observationqu’on escamote les inventeurs ? Un inventeur arrive avec toutle tam-tam de la publicité, il opère quelques expériences quiréussissent et puis… pft !… ni vu, ni connu.

– Je n’ai pas remarqué ça.

– Eh ! bien, je l’ai remarqué, moi. Surveillez le premierquidam qui fait un joli coup dans ce genre-là, et je vous prometsque vous ne tarderez pas à le perdre de vue… Il disparaît touttranquillement, sans tambour ni trompette, et vous n’entendez plusjamais parler de lui. Vous comprenez ?… Il s’éclipse. Parti,sans adresse… Au début… c’est déjà de l’histoire ancienne… il yavait les frères Wright… qui volaient pendant des heures… et puis,crac, bonsoir, les voilà filés. Ça devait être en dix-neuf cent etquelques… Après eux, il y eut ces aviateurs, vous savez bien, enIrlande… Ma foi, j’ai oublié leur nom. Ils volaient eux aussi, à cequ’on prétend, et ils ont plié bagage. On n’a pas annoncé leurmort, que je sache, mais, s’ils sont vivants, on ne s’occupe guèred’eux. Ensuite il y eut celui qui fit le tour de Paris avec sonappareil et qui chavira dans la Seine. Ça, c’était voler pour debon, malgré la culbute ; mais où est-il maintenant ? Ilne s’était pas blessé dans l’accident. Et cependant, c’est commes’il était tombé dans le troisième dessous.

L’orateur se disposa à allumer sa pipe.

– On dirait qu’une société secrète les subtilise les uns aprèsles autres, – opina Bert.

– Une société secrète ! Ah ! bien ! – l’allumettecraqua et le fumeur tira quelques bouffées. – Une sociétésecrète ! – répéta-t-il, la pipe entre les dents etl’allumette flambant toujours. – L’Administration de la guerre,c’est tout aussi secret ! – Il jeta l’allumette et fitquelques pas. – C’est comme je vous le dis, – certifia-t-il, – iln’y a pas une puissance importante en Europe, ou en Asie, ou enAmérique, ou en Afrique, qui n’ait au moins deux ou trois machinesvolantes dans son sac, à l’heure actuelle, de vraies machinesvolantes bien maniables… Et l’espionnage et les ruses poursurprendre ce que les autres ont trouvé ! Voyez-vous, pas unétranger, pas même un de nos compatriotes, s’il n’est accrédité, nepeut approcher à plus de cinq kilomètres des terrainsd’expérience.

– Pourtant – fit Bert – j’aimerais bien en voir un… rien quepour pouvoir y croire quand je l’aurais vu.

– Vous le verrez avant qu’il soit longtemps, promit le soldat,qui prit sa motocyclette et la poussa sur la route.

Bert resta assis sur son parapet, grave et pensif, la casquetterejetée en arrière et une cigarette à demi éteinte au coin de labouche.

– Si ce qu’il dit est vrai – marmonna-t-il – moi et Grubb noussommes en train de perdre notre temps… sans parler de ce que vacoûter la réparation de la serre.

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