La Guerre dans les airs

2.

La soudaine irruption d’un ennemi prêt à l’offensive n’eutd’autre effet immédiat sur New York que d’accroître sa véhémencehabituelle.

Les journaux et les magazines qui alimentaient les cerveauxaméricains (car les livres, sur ce continent impatient,n’intéressaient plus que les collectionneurs) devinrentinstantanément un feu d’artifice où les illustrations et les titresde colonnes s’enlevaient comme des fusées et éclataient comme desbombes. À la suractivité ordinaire des rues de New York s’ajoutaune fièvre belliqueuse. Les foules s’assemblaient, vers l’heure dudîner, dans Madison Square, autour du monument Farragut, pourapplaudir des discours enflammés ; une véritable épidémie depetits drapeaux et d’insignes pour boutonnières s’abattit sur lestorrents de jeunesse laborieuse et pressée que les tramways, lesmonorails, les métropolitains et les lignes de chemin de ferdéversaient chaque matin dans New York, pour les ramener après lelabeur, entre cinq et sept heures. Il était dangereux de ne pasavoir d’insignes patriotiques au revers de l’habit. Les magnifiquesmusic-halls terminaient chaque numéro du programme par un coupletchauvin qui soulevait des scènes d’enthousiasme éperdu ; deshommes mûrs pleuraient à la vue du drapeau étoilé soutenu par toutle corps de ballet noyé sous les clartés des projecteurs. À undiapason plus grave et dans une mesure plus lente, les églisesretentissaient des échos de l’exaltation martiale, et lespréparatifs aériens et navals, sur l’East River, étaient grandementincommodés par la multitude des vapeurs pleins d’excursionnistesqui apportaient le secours de leurs acclamations. La vente desarmes portatives augmenta dans des proportions énormes, et lescitoyens fatigués trouvaient encore, après une journée de besogne,le temps de soulager leurs transports en allumant dans les rues despétards d’un caractère plus ou moins héroïque, national etdangereux. Les petits ballons dernier modèle, que les enfantspromenaient attachés à une ficelle, devinrent un sérieux embarraspour les piétons du Central Park. Enfin, au milieu d’une émotionindescriptible, la législature d’Albany, en session permanente, etpar une généreuse suspension des règlements et des précédents,vota, dans l’une et l’autre Chambres, le projet de loi si longtempsrepoussé, qui établissait dans l’État de New York le servicemilitaire obligatoire.

Ceux qui critiquent le caractère américain sont disposés àcroire que, jusqu’à l’instant précis où se produisit l’attaqueallemande, le peuple de New York se comporta par trop, vis-à-vis dela guerre, comme s’il se fût agi seulement d’une démonstrationpolitique. Quel mal, interrogent-ils, firent aux forces allemandeset japonaises ces insignes arborés, ces drapeaux agités, cespétards et ces chansons ? Ils oublient que, dans lesconditions créées par un siècle de découvertes scientifiques, laportion non militaire de la population ne pouvait causer aucundommage sérieux à l’ennemi, et qu’il n’y avait par conséquentaucune raison de l’empêcher de se comporter comme elle le fit. Labalance de l’efficacité militaire penchait vers le petit nombre,passait du collectif au particulier. Le temps où l’infanteriedécidait des batailles était révolu. La guerre se transformait enune question de matériel, d’entraînement et de connaissancesspéciales très compliquées. Elle avait cessé d’être démocratique.Quelle qu’ait été l’importance pratique de la surexcitationpopulaire, il est indéniable que le gouvernement des États-Unis aagi avec vigueur, avec science et intelligence en face de cetteinvasion tout à fait inattendue. La diplomatie n’avait rien prévu,et les chantiers américains, aménagés pour la construction desdirigeables et des aéroplanes, étaient minuscules en comparaisondes immenses parcs allemands. Toutefois l’administration de laGuerre se mit immédiatement à l’œuvre, pour prouver au monde quel’esprit d’entreprise, qui avait créé le Monitor et lessous-marins de 1864, n’était pas assoupi. L’établissementaéronautique militaire de West Point était dirigé parCabot-Sinclair, qui, dans le concert universel de rodomontadespopulaires, ne se permit de donner sa note qu’un instant. À unreporter qui l’interrogeait, il déclara :

– Nous avons choisi notre épitaphe, et la voici : Ils ont faitce qu’ils ont pu !… Et maintenant décampez !

Un fait curieux, c’est que chacun fit tout ce qu’il put, sansexception, avec, pour seul défaut, un manque de cohésion.

Ce qui indique bien que les méthodes de guerre et leurresponsabilité n’avaient plus besoin de l’assentiment et de l’appuide l’opinion démocratique, c’est que les autorités de Washingtonobservèrent le secret absolu au sujet de leur flotte aérienne.Elles ne prirent point la peine de confier au public le moindredétail concernant les préparatifs ; elles ne condescendirentmême pas à en entretenir le Congrès et réprimèrent les tentativesqui furent faites pour obtenir ces renseignements. Tout fut menéd’une manière absolument autocratique par le Président et lessecrétaires d’État. La seule publicité qu’ils recherchèrent eutpour but d’aller au-devant de l’agitation sur des pointsparticuliers. Ils comprirent que, dans ces circonstances, leprincipal danger viendrait d’une population excitable etintelligente, qui réclamerait pour chaque ville des vaisseauxaériens destinés à protéger les intérêts locaux. Vu les ressourcesdisponibles, ces exigences auraient amené une division fatale desforces nationales. Les gouvernants, en outre, redoutaient surtoutd’être contraints à des hostilités prématurées pour défendre NewYork. Avec une parfaite lucidité, ils se rendaient compte que lesAllemands chercheraient tout d’abord à marquer l’avantage que leurdonnait l’offensive. Aussi s’efforcèrent-ils de diriger lespréoccupations publiques vers l’artillerie défensive et à lesdétourner de toute pensée de bataille aérienne. Ils masquèrentainsi, sous une activité ostensible, tout le principal de leurspréparatifs. Il y avait à Washington une énorme réserve de canonsde marine, qu’on distribua aux villes de l’État, rapidement etbruyamment, avec grand renfort de communiqués à la presse. Cetteartillerie fut mise en batterie sur des hauteurs et des crêtes,autour des centres menacés. Les pièces furent montées sur desaffûts à pivots, qui leur donnaient un angle maximum de portéeverticale. Mais quand la flotte aérienne allemande apparutau-dessus de New York, la plupart n’avaient pas encore leurs affûtset bien peu possédaient des tabliers de protection.

Cependant, par les rues grouillantes, les lecteurs de journauxse délectaient de merveilleux récits merveilleusement illustrés,sur des propos tels que :

LE SECRET DU TONNERRE

UN SAVANT PERFECTIONNE LE CANON ÉLECTRIQUE POUR ÉLECTROCUTER ÀCOUPS D’ÉCLAIRS LES ÉQUIPAGES DES DIRIGEABLES ENNEMIS

LE GOUVERNEMENT EN COMMANDE CINQ CENTS

Le ministre de la Guerre est enchanté. Il déclare que cesengins ramèneront les Allemands à des sentiments plus terre àterre. Le Président applaudit publiquement cette boutade.

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