4.
À mesure que la journée s’avançait, la tempête diminuait deviolence, et la mer redevenait visible par intermittence. La flotteaérienne gagna les couches inférieures de l’atmosphère, et, aucoucher du soleil, l’équipage du Vaterland aperçut, trèsloin dans l’est, le Barbarossa désemparé. En entendant leshommes se précipiter dans le passage, Bert sortit sur la galerie,où s’étaient rassemblés une douzaine d’officiers qui, au moyen dejumelles, examinaient l’horizon. Deux navires, l’un, un pétroliervide, très élevé au-dessus de l’eau, l’autre, un transatlantiqueconverti en transport, dansaient sur les flots non loin del’épave.
Kurt se tenait un peu à l’écart.
– Gott ! – fit-il, en abaissant ses jumellesmarines.
– C’est comme si l’on voyait un vieil ami qui aurait le nezcoupé et qui attendrait qu’on l’achève ! … DerBarbarossa !
Par une soudaine impulsion, il tendit les jumelles à Bert, quiessayait de distinguer le malheureux cuirassé en abritant ses yeuxsous sa main.
Jamais Bert n’avait vu spectacle pareil. Ce n’était passeulement un navire démantelé qui flottait à la dérive, mais unecarcasse mutilée, déchiquetée. Ses puissantes machines avaientcausé sa ruine. En donnant la chasse à la flotte américaine aucours de la nuit, il avait pris une grande avance sur ses conserveset se trouva seul entre le Susquehanna et leKansasCity. Ceux-ci, s’apercevant de son approche,ralentirent de façon à l’avoir de flanc et prévinrent par signauxle Theodore-Roosevelt et le Monitor. Àl’aube, le Barbarossa était enfermé. Le combat n’avait pasduré cinq minutes qu’apparaissaient, à l’est, le Hermann,et, à l’ouest, le Fürst-Bismarck, qui obligèrentles Américains à fuir, non sans qu’ils eussent eu le temps delacérer et de disloquer leur ennemi ; ils avaient passé surlui toute la colère accumulée pendant leur pénible retraite. Bertne vit plus qu’un amas fantastique de métal désarticulé, déchiré,émietté, sans qu’il pût reconnaître aucune des parties du navire,sinon par leur position.
– Gott ! – gronda Kurt, reprenant les jumelles queBert lui tendait. – Gott ! Da waren Albrecht…, der guteAlbrecht und der alte Zimmermann… und von Rosen.
Longtemps après que le Barbarossa eut été englouti dansla brume, le lieutenant demeura sur la galerie, les jumelles auxyeux, et, quand il revint à sa cabine, il était pensif ettaciturne.
– C’est un rude jeu, Smallways ! – dit-il enfin. Oui, cetteguerre est un rude jeu. On voit les choses sous un jour différent,après le spectacle de tout à l’heure. Il a fallu bien des hommespour construire le Barbarossa et bien des hommes pour le monter…,des hommes comme on n’en rencontre pas de pareils tous les jours…Albrecht… il y en avait un qui s’appelait Albrecht… il jouait de lacithare et il improvisait… Où est-il à présent ?… Lui et moi,nous étions des amis intimes, à la manière allemande…
