C’était écrit

Chapitre 24

 

Se former de prime abord un jugement définitifsur Fanny Mire, était chose malaisée.

S’il est vrai qu’en Turquie, la beauté de lafemme consiste en la perfection des formes, plutôt qu’en celle duvisage, alors, on a tout lieu de croire que l’extérieur de FannyMire eût excité à Constantinople plus d’enthousiasme qu’àLondres.

La sveltesse et la souplesse de sa tailleattiraient le regard des hommes et même aussi ceux des femmes quimarchaient derrière elle, mais si on finissait par la dévisagerl’admiration cessait presque aussitôt. C’était une blonde au teintexsangue, aux cheveux filasse, aux yeux bleus porcelaine etéteints. Pourtant, ajoutons que cette pâleur extrême, que cettetransparence pour ainsi dire, ne semblait pas être l’indice d’unétat maladif ; au contraire, cette étrange personne suggéraitl’idée d’une force physique rare ; sous cet extérieur calme,on devinait la faculté d’agir avec promptitude et courage si besoinen était ; pourtant, le caractère de la physionomie restait,quand même, essentiellement passif.

Oui, c’était assurément une femme résolue eténergique, douée de qualités qui ne se montraient pas à lasurface ; toutefois, savoir si ses qualités étaient bonnes oumauvaises, était un mystère que les circonstances seules pouvaientrévéler à l’occasion. Avant de s’épancher avec elle, Iris lui tintà peu près ce langage :

« Vous savez que votre ancienne maîtressem’a révélé le motif qui l’a décidée à se séparer de vous ; jevous affirme, toutefois, que j’ignore les circonstances de vosmalheurs.

– Pardon, miss, mais je ne crains pas devous faire savoir que c’est la vanité qui m’a perdue ! Si peuprobante que soit mon excuse, je vous la donne dans toute lasincérité de mon âme ! »

Sur cet aveu dépouillé d’artifice, Iris pensaque son interlocutrice devait être une femme d’exception ; sonrespect de la vérité en était la meilleure garantie. Pourquoi nepas lui tendre une main amie ?

« Je vous comprends et je vous plains,dit Iris ; puis, abordant vivement un autre sujet, elleajoute : avez-vous encore vos parents ?

– Mon père et ma mère sont morts,miss.

– Avez-vous de la famille ?

– Oui, mais elle est trop pauvre pour mevenir en aide. Perdue de réputation, je dois me suffire à moi-même,et je n’ignore pas que l’on meurt de faim, l’aiguille à la main, ousur le trottoir, ou en se jetant à l’eau !

« Qui sait ! lasse de me laisserronger par la faim, il se peut qu’un jour, j’aie recours à cedernier moyen pour en finir avec l’existence !

« Personne ne me donnera ni souvenir, niregret. Puis, d’après des articles que j’ai lus, l’asphyxie n’estpas une mort très pénible. »

Fanny prononça ces derniers mots avec autantde sang-froid, que si elle eût parlé simplement de détails deménage.

« Pauvre femme ! s’écria Iris. Qu’ilm’est douloureux de vous entendre tenir ce langage désespéré ;je vous plains sincèrement.

– Merci, miss.

– Pensez donc que votre situation peuts’améliorer d’un jour à l’autre. Tout à l’heure, vous parliezd’articles que vous avez lus ; je vois que vous vous exprimezcorrectement, en sorte que l’on doit croire que vous avez reçu del’instruction.

– Effectivement, j’ai été à l’école.Seulement, j’ai une raison particulière pour détester cette époquede ma vie, époque dont je n’aime pas à parler.

– Savez-vous à quoi je pense ? ditIris avec un sourire plein de bonté.

– Ô mon Dieu, non ! réponditFanny.

– Je me demande si, au cas où je vousprendrais pour confidente, je n’aurais pas lieu de le regretter unjour ?

– Je vous jure que non ! »répondit la camériste d’une voix vibrante.

Voilà comment Iris parvint, par quelquesbonnes paroles, à rendre à une pauvre créature désemparée espoir etcourage !

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