Le Désespéré

Chapitre 6

 

Quand Marchenoir sortit de la voiture arrêtée devant sa maison,on aurait pu le prendre pour un de ces agonisants à échéancecalculable, que vomissent les voitures numérotées, à l’heure desconsultations, sur le seuil dantesque des hôpitaux. Il tremblaittellement en cherchant sa monnaie que le cocher lui offrit del’aider à monter chez lui. Cela le ranima. Il se hâta d’entrer, nevit même pas la concierge, que son aspect semblait avoirdéconcertée, et gravit l’escalier.

Devant sa porte, il s’étonna de son courage d’être venujusque-là et s’aperçut, en même temps, qu’il n’en avait plus dutout, qu’il ne se déciderait jamais à entrer et qu’il n’avait plusqu’à s’asseoir sur une marche, en attendant la consommation dessiècles. Il se mit à tourner à pas étouffés, comme un félin, surl’étroit palier, absolument incapable de s’arrêter à une résolutionquelconque, les doigts brûlés par la clef qu’il avait tirée de sapoche, dans la voiture, et qu’il tenait à la main depuis un quartd’heure, déplorant amèrement l’absence de Leverdier, qu’il semaudissait pour avoir laissé partir.

Tout à coup, il entendit monter au-dessous de lui et reconnut,avec certitude, le pas de Véronique. Épouvanté à l’idée d’unrapatriement sur cette voie publique où vingt locataires inconnuspouvaient apparaître, il ouvrit brusquement la porte et se jetadans l’appartement comme dans une citadelle. La jeune femmerevenait, en effet, de la chapelle des Lazaristes de la rue deSèvres, où elle allait, tous les matins, entendre la messe à septheures, quelque temps qu’il fît. Marchenoir, qui l’accompagnaitpourtant d’ordinaire, avait oublié cette circonstance.

Quand elle parut, cet homme si fort eut les jambes fauchées. Ils’abattit sur le carreau, et tendit vers elle ses deux mains, enremuant les lèvres, sans pouvoir articuler un mot. Véronique courutà lui, l’enveloppa de ses bras et, le relevant, le contraignit às’asseoir. Elle-même, s’agenouillant, à ses pieds, — par uneimpulsion d’humilité et de tendresse qui rappelait leur premièreentrevue, — le regarda, accoudée sur lui.

– Chère victime, dit-il, avec la douceur d’une commisérationinfinie, qu’as-tu fait ?

– Pardonne-moi, bien-aimé, répondit-elle, j’ai voulu t’obéir ette sauver. Ah ! j’aurais souffert bien davantage, s’il l’avaitfallu !… Pleure à ton aise, pauvre coeur, Dieu teconsolera.

Alors, entendant cette voix changée par la torture, qui sefaisait amoureuse par charité, il se détendit et se brisa. Ill’attira sur ses genoux et, lui cachant le visage dans ses bras etsur sa poitrine, il sanglota éperdument. Ce fut une de ces rafalesde pleurs, comme il en avait eu si souvent, et qui déjà, tant defois, l’avaient délivré des suggestions du désespoir. Longtemps,ses larmes, grossies par tous les orages intérieurs qui avaientprécédé cet instant, roulèrent en ruisseaux sur la tête mutilée dela martyre qui se fondait elle-même, de compassion, blottie, commeune hirondelle, contre la paroi de ce sein mouvant.

A la fin, voyant que la crise s’affaiblissait et qu’un peu decalme allait revenir, elle se dégagea doucement, alla tremper sonmouchoir dans l’eau fraîche et avec des mouvements maternels, vintbaigner et essuyer les yeux de son ami.

– Maintenant, cher malade, lui dit-elle, en le baisant au front,je vais vous conduire dans votre chambre. Vous vous étendrez survotre lit et vous dormirez quelques heures. Vous devez en avoirbesoin… Ne me regardez pas de cet air navré. Vous vous ferez à manouvelle figure, et vous finirez par la trouver convenable. Je vousassure que je me trouve aussi belle qu’avant. C’est une habitude àprendre. Allons, monsieur le saule pleureur, allongez les jambes,voici deux couvertures, un oreiller pour votre tête et je tire lesrideaux. Quand vous vous réveillerez, votre servante vous aura faitun bon feu, un bon petit déjeuner et votre ange gardien aura chassévotre gros chagrin.

Marchenoir, complètement épuisé, s’était laissé faire comme unenfant et dormait déjà.

Véronique, retirée dans l’autre chambre, alla se prosternerdevant l’immense crucifix qu’il lui avait acheté, sur sa demande,rue Saint-Sulpice, en un jour de richesse, procréation d’un artabject que la piété de la thaumaturge transfigurait enchef-d’oeuvre.

– Mon doux Sauveur, murmura-t-elle, ne vous fâchez pas contremoi. Vous voyez bien que j’ai fait ce que j’ai pu. Mon confesseurm’a blâmée très sévèrement de ce qu’il appelle un zèle téméraire etje dois croire que vous lui avez inspiré ce blâme. Il m’a dit quej’avais mal compris votre précepte d’arracher soi-même ses propresmembres, quand ils deviennent une occasion de scandale, et cela sepeut bien, puisque je suis une fille pleine d’ignorance. Mais, monJésus, si je me suis trompée, ne jugez que mon intention et prenezpitié de ce malheureux qui a exposé sa vie pour me donner à vous.Si je dois lui être un obstacle, détruisez-moi plutôt, faites-moimourir, je vous en supplie par votre divine Agonie et les méritesde tous vos saints ! Je n’ai que ma vie à vous offrir, vous lesavez, puisque je n’ai pas d’innocence et que je suis la plusgrande pauvresse du monde !…

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