Le Désespéré

Chapitre 10

 

Il vit d’abord, non loin de lui, le roi des rois, l’Agamemnonlittéraire, l’archicélèbre, l’européen romancier, GastonChaudesaigues, recruteur d’argent inégalable et respecté. Seul, legibbeux Ohnet lui dame le pion et ratisse plus d’argent encore.Mais l’auteur du Maître de Forges est un mastroquet heureux quimélange l’eau crasseuse des bains publics à un semblant de vieillevinasse, pour le rafraîchissement des trois ou quatre millions debourgeois centre gauche qui vont se soûler à son abreuvoir, et iln’est pas autrement considéré. Il est unanimement exclu du mondedes lettres, ce dont il brait, parfois dans la solitude. Sans sonhéroïque ami Chérubin des Bois, qui a naturellement du goût pourles millionnaires et qui lui ouvre ses bras quand on est seul, cetriomphateur serait tout à fait sans consolation.

Chaudesaigues nage, il est vrai, dans une moindre opulence.Cependant, il dépasse encore les plus cupides sommets littérairesde toute la hauteur d’un Himalaya. Il faut se représenter une façonde juif-auvergnat, né dans le midi, et compatriote de Mistral, untroubadour homme d’affaire, un Lampiste des Mille et une Nuits, quin’aurait qu’à frotter pour que le génie apparût et L’ÉCLAIRAT. Onse rappelle l’énorme succès de son livre sur le duc de Morny, quiavait protégé ses débuts, auquel il devait tout, et dont ilépousseta et retourna les vieilles culottes aux yeux d’un publicavide de couvrir d’or le révélateur.

De telles indiscrétions peuvent être le droit absolu d’unvéritable artiste, affranchi par sa vocation de toutes lesconvenances de la vie normale mais aucun marchand de lorgnettes nedoit prétendre à d’aussi dangereuses immunités, et Chaudesaiguesest précisément un des plus bas mercantis de lettres dont le tubeclassique de cette vieille catin de gloire ait jamais trompeté lenom.

Il est ce qu’on appelle, dans une langue peu noble, « unehorrible tapette ». En 1870, il avait attaqué Gambetta, dont ilraillait le mieux qu’il pouvait la honteuse dictature. Quand laFrance républicaine eu décidé de coucher avec ce gros homme, sanature de porte-chandelle se mit à crier en lui et il fit négocierune réconciliation, s’engageant provisoirement à ne plus éditer levolume où le persiflage était consigné.

Un peu avant le 16 mai, il s’en va trouver le directeur duCorrespondant, revue tout aristocratique et religieuse, commechacun sait. Il offre un roman : Les Rois sans patrie. Le thèmeétait celui-ci : Montrer la royauté si divine que, même en exil etdans l’indigence, les rois dépossédés ne parviennent pas à devenirde simples particuliers, qu’ils sont encore plus augustes qu’avantet que leur couronne repousse toute seule, comme des cheveux, surleurs fronts sublimes, par-dessus le diadème de leurs vertus. Ondevine l’allégresse du Correspondant. Mais le 16 mai raté,Chaudesaigues change son prospectus, réalise exactement lecontraire de ce qu’il avait annoncé, et transfère sa copie dans unjournal républicain.

Toutefois, ce n’est pas un traître pur, un traître par plaisir,à l’instar de Beauvivier. Il lui faut de l’argent, voilà tout, unargent infini, non seulement pour contenter les plus ataviquesappétits de sa nature de fastueux satrape, mais afin d’élever, dansune occidentale innocence, les enfants à profil de chameau et àtoison d’astrakan, qui trahissent, par le plus complet retour autype, l’infamante origine de leur père.

On n’avait peut-être jamais vu, avant lui, une littérature aussiâprement boutiquière. Son récent livre Sancho Pança sur lesPyrénées, conçu commercialement, en forme de guide cocasse, d’undébit universel, avec des réclames pour des auberges et desfictions d’étrangers sympathiques, est, au point de vue de l’art,une honte indicible.

Son talent, d’ailleurs, dont les médiocres ont fait tant debruit, est, surtout, une incontestable dextérité de copiste et dedémarqueur. Ce plagiaire, à la longue chevelure, paraît avoir étéformé tout exprès pour démontrer expérimentalement notre profondeignorance de la littérature étrangère. Armé d’un incroyable etconfondant toupet, voilà quinze ans qu’il copie Dickens,outrageusement. Il l’écorche, il le dépèce, il le suce, il leracle, il en fait des jus et des potages, sans que personne ytrouve à reprendre, sans qu’on paraisse seulement s’enapercevoir.

Virtuose de conversation à la manière fatigante des méridionauxdont il a l’accent, il se trouble aisément en la présence d’unmonsieur froid, qui l’écoute en le regardant. sans rien exprimer.Ce don Juan équivoque manque de tenue devant la statue duCommandeur.

Justement, il pérorait avec deux de ses compatriotes, aussi peucapables l’un que l’autre de l’intimider, Raoul Denisme et LéonidasRieupeyroux. Le premier, raté fébrile et gluant chroniqueur, estgénéralement regardé comme un sous-Chaudesaigues, ce qui est unefaçon lucrative de n’être absolument rien. Mais le crédit du maîtreest si fort que le vomitif Denisme arrive tout de même à se fairedigérer. Incapable d’écrire un livre, il dépose, un peu partout,les sécrétions de sa pensée, On redoute comme un espion ce croquantchauve et barbu, qui a dû, semble-t-il, payer de quelquesuperlative infamie son ruban rouge et dont la perfidie passe poursurprenante.

Quant à Léonidas Rieupeyroux, c’est un personnage vraimentdivin, celui-là, capable de restituer le goût de la vie aux plusatrabilaires disciples de Schopenhauer. Il est grotesque comme onest poète, quand on se nomme Eschyle. Il a la Folie de la Croix duGrotesque. Méridional, autant qu’on peut l’être en enfer, doué d’unaccent à faire venir le diable, il rissole, du matin au soir, dansune vanité capable d’incendier le fond d’un puits.

Il est l’inventeur des paysans épiques. La vieille truie, connuesous le nom de George Sand, les faisait idylliques et sentimentaux.Marchenoir, élevé au milieu de ces lâches et cupides brutes, sedemanda, en voyant gesticuler Léonidas, quel pouvait être le plusbête de ces deux auteurs. Il conclut, en ce sens, à la supérioritéde l’homme.

La fécondité de celui-ci consiste à publier éternellement lemême livre sous divers titres. C’est une finesse duTarn-et-Garonne. Si, du moins, ses paysans se contentaient d’êtreépiques, mais ils sont civiques, bonté du ciel ! Pendant descent pages, ils gargouillent et dégobillent les rengaines les plussavetées, les plus avachies, les plus jetées au coin de la borne,sur les Droits de l’homme et les devoirs du citoyen, sans préjudicede la fraternité des peuples.

Un des poètes contemporains les plus démarqués nomma, un jour,Rieupeyroux, le Tartufe du Danube, mot exact et spirituel dontplusieurs imbéciles ont voulu se faire honneur. C’est, en effet, unhypocrite véhément, espèce très peu rare dans le midi. Hypocrite desentiments, hypocrite d’idées et faux pauvre, il appartient à cettecatégorie d’odieux cafards, dont la besace est gonflée du pain desindigents qu’ils ont dépouillés, en leur volant la pitié duriche.

Un jour, ce personnage alla trouver Chaudesaigues et quelquesautres financiers de lettres, dont il savait l’ascendant chez unéditeur fameux. Lamentateur fastueux et grandiloque, il raconta quesa mère venait d’expirer et qu’il était sans argent pour la mettreen terre. En même temps, d’impayables arriérés tombaient sur lui.Qu’allait-il devenir avec sa femme et ses enfants ? Certes, ilne demandait pas d’argent à ses confrères, mais enfin, on pouvaitagir pour lui sur l’éditeur qui ne refuserait pas d’escompter songénie. Bref, on parvint à faire dégorger, sans escompte, deux outrois mille francs, au capitaliste circonvenu. Jusqu’à présent,l’histoire est banale. Mais voici :

Quelque temps après, Léonidas se présente seul, et dit à soncréancier qui était flatté doucement d’être un donateur :

– Monsieur, je suis un honnête homme. Vous m’avez avancé del’argent et je suis ennuyé de ne pouvoir vous le rendre. Je n’endors plus. Eh bien ! je vous apporte un manuscrit étonnant.Payez-vous de ce que je vous dois en le publiant.

L’éditeur, déjà fourbu de son premier sacrifice, et que la seuleidée d’imprimer, par surcroît, du Rieupeyroux, comblait de terreur,essaya vainement de protester et de fuir. Il tenta, sans succès, dese couler par les fentes, de grimper au mur, de s’obnubiler sous lepaillasson. Il fallut absolument qu’il y passât. Cet honnête homme,insolvable, allait peut-être se pendre chez lui !

Ainsi fut édité l’étonnant volume où cet enfant du midi,informant tous les peuples de ses relations amicales avecBaudelaire, raconte avec candeur la mystification personnelle dontsa vanité d’autruche fut le prodigieux substrat et qu’il est seul,depuis vingt ans, à ne pas comprendre.

La saleté physique de Rieupeyroux est célèbre. C’est un citoyenoléagineux et habité. Il ignore l’eau des fleuves et la virginalerosée des cieux. Il promène sous l’azur une fleur de crasse,immarcescible comme la pureté des anges. Ses cheveux, qu’il porteencore plus longs que Chaudesaigues, et qui flottent sur l’aile desvents, fécondent l’espace à la plus imperceptible nutation de sonchef. On ne l’approche qu’en tremblant, et les voleurs, dont ildoit avoir tant de crainte, y regarderaient à beaucoup de foisavant de le détrousser.

Un autre trio, curieux et illustre, était celui formé parHamilcar Lécuyer, Andoche Sylvain et Gilles de Vaudoré, troispoètes romanciers.

Marchenoir savait par coeur son Lécuyer, qu’il avait, une fois,sanglé de la plus mémorable sorte. Ils s’étaient rencontres, il yavait nombre d’années, chez Dulaurier, très humble alors, dont lapetite chambre était un cénacle.

Cet africain besogneux et hâbleur, mais rongé d’ambition, et quiméditait les rôles classiques de Catilina ou de Coriolan, auraitvendu sa mère à la criée, au carreau des Halles, pour attraper unpeu de publicité. Cymbale sensuelle et ne vibrant qu’aux pulsationsvenues d’en bas, il était admirablement pourvu de tous les tréteauxintérieurs, par lesquels une âme élue de saltimbanque prélude,d’abord, au vacarme fracassant de la popularité.

Le moment venu, la cuve s’était débondée. Il en était sorti,comme d’un abcès monstrueux, des flots de sanie écarlate, despurulences recuites et granuleuses, de la bile d’assassin poltronet malchanceux, d’inexprimables moisissures coulantes et desexcréments calcinés. Alors on avait crié au prodige. Lesredondances clichées et la frénésie piquée des vers de ses Chantssacrilèges avaient paru suffisamment eschyliennes à une générationsans littérature, qui n’a pas assez de langue dans sa gueule debête pour lécher les pieds de ses histrions.

Prostitué publiquement à une comédienne cosmopolite, devenului-même acteur et jouant ses propres pièces en plein théâtre duboulevard, il avait fini par poser, sur sa tête crépue d’esclavenubien, une couronne fermée de crapule idéale et de transcendantcynisme, dont Marchenoir discerna, dès le premier jour, lafragilité et la basse fraude.

Réalité misérable ! Ce bateleur n’est pas même un bateleur,il n’y a pas en lui la virtualité d’un vrai sauteur, sincèrementépris de son balancier. Il suffit de gratter ce crâne fumant, pouren voir jaillir, aussitôt, un romancier-feuilletoniste de vingtièmeordre. C’est un bourgeois masqué d’art, très opiniâtre et trèslaborieux, mais aspirant à se retirer des affaires. La vile prosede son mariage avait éclairé bien des points obscurs, et la languedes vers de ce Capanée de louage – langue piteuse et pudibonde,jusque dans le paroxysme du blasphème, – trahit pour un connaisseurl’intime désintéressement professionnel du blasphémateur, qui n’achoisi le paillon de l’impiété que parce qu’il tire l’oeil un peuplus qu’un autre et qu’il fait arriver un peu plus de ce désirableargent que le pur bourgeois recueillerait, avec sa langue, dans lesboues vivantes d’un charnier !

Quelque considérable que fût, en réalité, la situationlittéraire de ce négociant, l’équitable gloire n’avait pourtant pasfrustré de sa mamelle Andoche Sylvain, le plus lu, peut-être, detous les virtuoses assemblés chez le rédacteur en chef duPilate.

Celui-ci présente l’aspect d’un commissionnaire de garecongestionné, à la barbe épaisse et sale, au teint de viande crueet bleuâtre, à l’oeil injecté et idiot, qu’on craindrait, à chaqueminute, de voir rouler malproprement au milieu des colis qu’on luiaurait confiés en tremblant.

Le journal fameux où il renarde sa prose et même ses vers luidoit, paraît-il, sa prospérité et double son tirage les jours où lenom du Coryphée rutile au sommaire. Il est, en effet, le créateurd’une chronique bicéphale dont la puissance est inouïe surl’employé de ministère et le voyageur de commerce. Alternativement,il pète et roucoule. D’une heure à l’autre, c’est la flûte de Panou le mirliton.

Son côté lyrique est fort apprécié des clercs de notaire et desétudiants en pharmacie qui copient, en secret, ses vers, pour enfaire hommage à leur blanchisseuse. Mais son autre face estuniversellement baisée, comme une patène, par les dévots de lavieille tradition gauloise. Andoche Sylvain représente, pour toutdire, l’esprit gaulois. Il se recommande sans cesse de Rabelais,dont il croit avoir le génie, et qu’il pense renouveler enressassant les odyssées du boyau culier et du grand côlon.

Cet écumeur de pots de chambre a trouvé, par là, le moyen de seconditionner une spécialité de patriotisme. De son casteld’Asnières, où ses travaux digestifs s’accomplissent à lasatisfaction d’un peuple joyeux d’antiques rouleuses et de cabotinsretraités, il sonne, à sa façon, la revanche de la vieille gaietéfrançaise et lâche de sonores défis au visage de l’étranger.

L’intelligente oligarchie républicaine a rémunéré ce championd’une lucrative sinécure dans un ministère. Elle a même fini par ledécorer, maladroitement, il est vrai. Il a été promu chevalier,comme bureaucrate et non comme poète, ce dont les journaux unanimesont clamé toute une semaine, — offrant ainsi le spectacleinespérément ignoble d’un gouvernement de pirates réprimandé parune presse de coupeurs de bourses, pour n’avoir pas assez avili lalittérature, en la personne incongrûment récompensée d’unaccapareur de salaires, que tous les deux ont la prétentiond’honorer.

Pour ce qui est de Vaudoré, c’est le plus heureux des hommes.Tout ce que la médiocrité de l’esprit, la parfaite absence du coeuret l’absolu scepticisme, peuvent donner de félicité à un mortel luifut octroyé.

On l’appelle, volontiers, l’un des maîtres du romancontemporain, par opposition à Ohnet, toujours envisagé comme pointextrême des plus dégradantes comparaisons. Toutefois, il seraitassez difficile de préciser la différence de leurs niveaux. Leurpublic est autre, sans doute. Mais ils disent les mêmes choses,dans la même langue, et sont équitablement payés d’un succèségal.

Seulement, Vaudoré l’emporte infiniment par les supérioritésinaccessibles de son impudeur. Ce médiocre devina, du premier coup,son destin. Sans tâtonner une minute, il choisit la bâtardise etl’étalonnat. Telles sont les deux clefs par lesquelles il est entrédans son paradis actuel.

Aimé d’un aveugle maître qui crut, sans doute, à l’aurore d’ungénie naissant, non seulement il lui soutira une nouvelle fameuseécrite presque entièrement de la main du vieil artiste et qui,signée du nom Vaudoré, commença la réputation du jeune plagiaire, —mais après la mort du patron il répandit par le monde que ce défuntl’avait engendré, n’hésitant pas à déshonorer sa propre mère, quele progéniteur supposé ne connut peut-être jamais. Au moyen de cesindustries, il parvint à se remplir d’un atome vivifiant de lagloire d’un des romanciers les plus puissants sur les générationsnouvelles, et il hérita de tout son crédit.

Un aussi démesuré triomphe ne suffisant pas encore à ce pédiculede grand homme, il inaugura le sport fructueux de l’étalonnat.Jusqu’à ce novateur, on s’était contenté de faire l’amourvertueusement ou paillardement, mais dans l’obscurité convenableaux salauderies préliminaires de la putréfaction. Quand on sortaitde cette ombre, comme le fit le marquis de Sade, c’était pourattenter délibérément à quelque loi d’équilibre primordial, enrisquant sa vie ou sa liberté. Le bâtard volontaire ignore ce genrede grandeur, comme il ignore tous les autres. Il a simplementimaginé de forniquer, de temps en temps, par-devant experts, pourobtenir un renom d’écrivain viril et subjuguer la curiosité desfemmes. Remarquablement doué, paraît-il, ce romancier ithyphalliquea colligé les suffrages des arbitres les plus rigides et lesprincesses russes les plus retroussées sont accourues, déferlanteset pâmées, du fond des steppes, jusqu’à ses pieds, pour luiapporter la saumure de tout l’Orient…

Les confrères, quoique pénétrés de respect pour l’énormité dusuccès, le nomment entre eux, volontiers, le tringlot de lalittérature. Telle est, en vérité, la physionomie précise dupersonnage et tel son degré de distinction. C’est un sous-officierdu train et même un sous-off. Petit, trapu, teint rouge et poilchâtain, il porte la moustache et la mouche et a des diamants à sachemise. C’est le traditionnel bellâtre de garnison qui affole lescaboulotières et qui ne parvient pas à se remettre de son effrontébonheur. Un désir infini d’être cru Parisien jusqu’au bout desongles est la soif cachée de cet indécrottable provincial.

Étonnamment dénué d’esprit et de toute compréhension de l’espritdes autres, il est impossible de rencontrer un être plus incapabled’exprimer un semblant d’idée, ou d’articuler un seul traître motsur quoi que ce soit, en dehors de son éternelle préoccupationbordelière. La parfaite stupidité de ce jouisseur est surtoutmanifestée par des yeux de vache ahurie ou de chien qui pisse, àdemi noyés sous la paupière supérieure et qui vous regardent aveccette impertinence idiote que ne paierait pas un million declaques.

Ce n’est pas lui qui s’exténuera jamais pour tenter de faire unbeau livre, ou pour écrire seulement une bonne page ! – Je netiens qu’à l’argent, dit-il, sans se gêner, parce que l’argent mepermet de m’amuser. Les artistes consciencieux sont desimbéciles.

En conséquence, il est admiré de la juiverie parisienne qui lereçoit avec honneur, ce dont il crève de jubilation. Quand il estinvité chez Rothschild, le tringlot en informe, quinze jours, laterre entière. C’est, à cette école, sans aucun doute, qu’il apuisé la science des affaires. On l’a vu, à Etretat, vendant desterrains à des confrères qu’il savait gênés, pour les racheterensuite, à vil prix.

Sa vanité, d’ailleurs, est à son image. Son hôtel de l’avenue deVilliers est d’une esthétique mobilière de dentiste suédois ou deconcierge d’hippodrome. Que penser, par exemple, de portières desoie bleu-ciel, rehaussées de broderies d’or orientales, d’un divande même style, d’un traîneau hollandais en bois sculpté, faisantl’office de chaise longue et capitonné de bleu clair, enfin, d’uneimmense peau d’ours blanc sur des tapis de Caramanie, probablementachetés au Louvre ?

– C’est l’appartement d’un souteneur Caraïbe, disait unobservateur exact. On aime à croire que c’est en ce lieu qu’il aécrit cette fameuse autobiographie d’un cynisme si inconscient, -que Falstaff n’aurait pas osé signer, – où il s’offre en exemple àtous les maquereaux inexpérimentés qui pourraient avoir besoin delisières.

Dulaurier, apparemment consolé de la poignée de main deMarchenoir, s’était approché de ces trois glorieux. Cela faisait entout quatre glorieux dont trois « jeunes maîtres », car Sylvaincommence à se décatir. La sympathie de cette flûte devaitnaturellement aller à ces tambours.

Il est vrai que Dulaurier a, en commun avec Gilles de Vaudoré,l’inestimable faveur de tous les ghettos et de toutes lesjudengasses. Cet enfant de pion, dont la principale affaire en cemonde est d’avoir une « âme de goéland », – ainsi qu’il le déclarelui-même, – se tuméfie de bonheur à la seule pensée qu’on le reçoitau salon chez les bons youtres, qu’il prend sincèrement pour laplus haute aristocratie, puisqu’ils ont l’argent.

Il venait justement de publier, sous le titre amorphe de Péchéd’amour, un recueil de centons moraux et psychologiques ramasséspartout, qu’il avait dédié à une renarde juive, dont Samsonlui-même aurait renoncé à incendier l’arrière-train et dont ilportait les bagages par toute l’Europe, — quémandeur dolent d’uneinfatigable cruelle qui lui faisait expier l’atroce meconium de sesdéprécations amoureuses par le plus géographique des châtimentséternels !

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