Le Désespéré

Chapitre 12

 

Il avait dix-huit ans, une de ces physionomies rurales où lemufle atavique n’avait pas encore eu le temps de livrer sa dernièrebataille à l’envahissante intelligence qui monta, bientôt, pourtout ennoblir des vallées intimes du coeur.

Il tenait de sa mère, morte depuis longtemps, le ridiculeromantique d’une origine espagnole, partagé d’ailleurs avec cettemultitude de prêtres infâmes dont on peut lire les identiquesforfaits dans la plupart des romans anticléricaux.

Cette origine, – à peine démentie par des yeux d’un bleu si naïfqu’il avait toujours l’air de s’en servir pour la première fois, -était surabondamment attestée par l’extraordinaire énergie de tousles autres traits sans exception. Seulement, c’était l’énergiecontemplative de ces amoureux de l’action héroïque qui n’estimentpas que l’action vulgaire vaille la dépense de l’autre énergie.

Hirsute et noir, silencieux et avare de gestes, exécrateurvictimaire du propos banal et de la rengaine, il portait surl’extrémité de sa langue une catapulte pour lancer d’erratiquesmonosyllabes qui vous crevaient à l’instant même une conversationd’imbéciles. Bouche close, narines vibrantes, sourcils presquebarrés et entrant l’un dans l’autre à la plus légère commotion, ilavait parfois des colères muettes et blanches de séditieuxcomprimé, qui eussent donné la colique à un éventrable despote. Ences rencontres, le cannibale sortait du rêveur, instantanément. Lesyeux noyés et d’une tendresse presque enfantine, – seuls capablesde tempérer l’habituelle dureté de l’ensemble, – changeaient alorsde couleur et devenaient noirs !…

Des années d’humiliations et de supplices tamisèrent peu à peusur la friche de ce visage la fertilisante poudrette de quelquesinévitables accommodements. Le teint, déjà bilieux, prit cettelividité brûlante d’un chrétien mal lapidé, de la première heure,qui serait devenu sacristain dans les catacombes.

Il avait le don des larmes, signe de prédestination, disent lesMystiques. Ces larmes furent l’allégresse cachée, l’occulte trésord’une des existences les plus dénuées et les plus tragiques de cesiècle.

Quand il avait avalé une de ces couleuvres à dimensions de boadevin qui furent si souvent son exclusive nourriture, il répandaitautour de lui, dans sa chambre solitaire, avec des prudencesd’avare, cette gemme liquide qu’il n’aurait pas échangée contre lesconsolations desséchantes d’une plus solide richesse.

Car il avait l’étrangeté de chérir sa peine, cet incunable demélancolie, qui était tombé dans son berceau comme dans un Barâthreet que sa mère stupéfaite regardait pleurer, des journées entièressur ces genoux, – silencieusement ! Il eut, tout enfant, laconcupiscence de la Douleur et la convoitise d’un paradis detortures, à la façon de sainte Madeleine de Pazzy. Cela nerésultait ni de l’éducation, ni du milieu, ni d’aucune lésionmentale, ainsi que d’oraculaires idiots entreprirent del’expliquer. Cela ne tenait à aucune opération discernable del’esprit naissant. C’était le tréfonds mystérieux d’une âme un peumoins inconsciente qu’une autre de son abîme et naïvement enragéed’un absolu de sensations ou de sentiments qui correspondît àl’absolu de son entité. Quand le christianisme lui apparut,Marchenoir s’y précipita comme les chameaux d’Eliézer à l’abreuvoirnuptial de Mésopotamie.

Il était expirant de soif depuis si longtemps ! Sonincrédule père n’avait pas cru devoir s’opposer à ce semblantd’instruction religieuse que des simulacres de prêtres, empaillésde formules, tordent comme du linge sale de séminaire, sur dejeunes fronts inintéressés. Il avait fait sa première communionsans malice et sans amour. Les deux seules facultés qui parussentvivantes en lui, – les deux seules anses par lesquelles on pûtespérer de le saisir, – la mémoire et l’imagination, avaient toutsimplement reçu cette vague empreinte littérale du symbolismechrétien que de sacrilèges entrepreneurs jugent suffisante pourêtre admis au bachot de l’Eucharistie. Aucun débitant de formulesne s’étant avisé de s’enquérir de son coeur, le pauvre enfantn’avait pu rien garder de ce pain mal cuit, et comme tant d’autres,l’avait revomi presque aussitôt sur ce chemin verdoyant de laquinzième année où l’on voit rôder le grand lion à tête de porc dela Puberté.

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