Le Désespéré

Chapitre 11

 

Marchenoir aurait bien voulu pouvoir s’en aller. Il prévoyaittrop les abominables heures qu’il allait passer. — Quel amas devoyous ! se disait-il, consterné. Il va falloir pourtant queje me mêle à tout ça, que je parle, que je mange aussi, que jefasse une trouée dans le dégoût dont ma bouche est pleine, pour yenfourner les aliments qu’on va m’offrir.

Il vit avec désespoir qu’il n’y avait pas devant lui un seulêtre avec lequel il pût échanger trois paroles sans laisser éclaterson mépris.

Un tel merle blanc n’était, certes, pas ce normalien blondasseet barbu, l’homme à l’oeil qui verse, l’augural vicomte Nestor deTinville, le doctrinaire épicurien de la grande presse quis’étalait là. On peut défier de mettre la main sur un cuistre plusexaspérant. Il est, à l’heure actuelle, un des types les plusaccomplis de cette intolérable ventrée de journalistes oraculairesdont Prévost-Paradol fut le prototype.

Rien ne saurait s’accomplir dans le monde sans la volonté deDieu, mais sous la réserve des considérants préalables du noblevicomte. Il est le vrai sage, affermi sur une expérience de granit,par conséquent, dispensé de toute invention, de tout style, et mêmede toute écriture. Il a pour lui la sagesse, rien que la sagesse.Il est celui qu’on ne trompe pas. La sagesse est son grand ressort.Si vous lui refusez la sagesse, vous l’assassinez. Quand lesfilandiers vulgaires ont pâli longtemps sur un écheveau, il laissetomber, sereinement, une lourde sentence et tout se débrouille. Ilne reste plus qu’à débobiner la lumière.

Il a, – comme tous les sages, d’ailleurs, – un respect infinipour la richesse et pour les riches, sans exception. La richesseest, à ses yeux, un critérium de justice, de vertu, d’aristocratie,- peut-être aussi de virginité, car il parle souvent de virginité,sans qu’on sache pourquoi ce vocable lui est si cher.

Il prononce que le premier devoir du riche est « d’aimer leluxe », et que les crevants de misère, au lieu d’envier les gens quis’amusent, les devraient bénir. « Que m’importe ? -écrivait-il, à propos d’un roman naturaliste racontant lesangoisses d’un malheureux expirant de faim, – j’ai une si bonnecuisinière ! »

La solennité stérile, la morgue constipée, la dureté basse de cemulet de la chronique, avaient le don d’irriter au plus haut degréMarchenoir. Puis, il savait l’effarante ignominie de sa vie privéeet la honte, à faire beugler, de son mariage !…

– Ne pourriez-vous, dit-il à Beauvivier qui vint à passer, mefaire dîner sur une petite table séparée, ou m’envoyer simplement àla cuisine ? Je vous assure que je ferais de bon coeur laconnaissance de vos domestiques.

– Mes convives vous dégoûtent donc terriblement ? Vous êtesun fauve bien délicat ! C’est pourtant le dessus du panierqu’on vous offre ! Mais voyons, vous m’y faites penser. A côtéde qui voulez-vous que je vous place, ou plutôt, à côté de quitenez-vous absolument à n’être pas ? Vous m’aurez déjà à votregauche. Mon voisinage vous répugne-t-il ? Non. Qui mettrai-jemaintenant à votre droite ? Parlez, il est encore temps.

D’un regard circulaire, Marchenoir tria la chambrée.

– Placez-moi donc à côté de ce loucheur, répondit-il endésignant Octave Loriot dans la profondeur d’un groupe. Celui-là,du moins, n’est qu’un imbécile.

Octave Loriot n’est, en effet, qu’un imbécile. Les analyses dela critique la plus attentive n’ont pu dégager un autre élément dela pulpe cérébrale de ce romancier pour dames. Il cuisineloyalement son petit navet au macaroni, selon les inusablesformules d’Octave Feuillet, de Jules Sandeau, de Pontmartin ou deCharles de Bernard. Quelques-uns prétendent abusivement qu’ilprocède du Maître de Forges. Il est bien trop anémique et frêle,pour qu’on le compare à ce Crotoniate, à cet Hercule Farnèse, à ceColosse Rhodien de l’imbécillité française. Il en est à peine leNarcisse, et n’aurait pas même l’énergie de se noyer dans sonimage.

Mais voilà justement ce qui le rend si précieux auxsentimentales âmes dont il encourage les transports, — sans obérerson propre coeur. Car il ne se risque pas au hasardeux négoce desgrandes passions. Il borne ses voeux à l’humble trafic desémollients et des préservatifs C’est un modeste bandagiste pour leshernies inguinales ou scrotales de l’amour.

Il continue donc la série des romanciers de confiance de lasociété correcte, pour laquelle Chaudesaigues a trop d’originalité,Vaudoré trop de sentiment, et le bélître Ohnet trop de profondeur.Dulaurier, seul, pourrait lui porter ombrage. Mais l’auteur dePéché d’amour est un poulain de trop peu de manège, dont on n’estpas encore assez sûr. Demain, peut-être, il va tout casser, tandisqu’on est bien tranquille avec cette honnête rosse, qui n’a jamaisrenâclé, et qu’un strabisme, heureusement convergent, permet degouverner sans oeillères.

En conséquence, les personnes vertueuses qu’il a pudiquementlubrifiées de son imagination, pendant leur vie, se souviennent delui à l’heure de la mort et le consignent dans leur testament.L’heureux Loriot est le seul romancier qui couche dans des châteauxlégués par l’admiration.

Le groupe, dont ce propriétaire faisait partie, se massaitrespectueusement autour de Valérien Denizot, l’officier à monoclede la cavalerie légère du journalisme. Sacré homme de lettres parDumas fils, le grand archonte, et vraisemblablement né pour autrechose. Denizot est le plus universel raté de son siècle. Raté de lapoésie, raté du roman, raté du théâtre, raté de la politique, ratémême de l’amour, ayant été cocufié à Lesbos, – ce qui est uncocuage sans espérance.

On ne connaît, à Paris, que le seul Bergerat qui puisse lui êtrecomparé comme manant de l’écritoire. Encore, Bergerat fut-ilrageusement vernissé de littérature par son beau-père ThéophileGautier, dont la voluptueuse bedaine avait, dit-on, des entraillesrépulsives pour ce théâtrier et ce fils de prêtre.

Denizot, lui, se passe très bien de littérature. Il est unmanant sans mélange, un goujat complet, – à table surtout, quand ilboit du vin du Rhin pour se donner l’air d’un burgrave. Les femmessont obligées, alors, de prendre la fuite. Ce vieux gavroche n’ajamais soupçonné qu’il pût exister autre chose que des filles oudes brelandiers, car il est prince du tripot, comme il est roi dela basse blague, ayant été rétribué de ses services de spadassin deplume et de ses fonctions de torcheur privé de Waldeck-Rousseau, -dont il eut le génie de déshonorer un peu plus le ministère, – parun diplôme de chevalerie et le juteux octroi d’une cagnotte.

L’esprit de mots tant vanté de Valérien Denizot est puisé à unesource difficilement tarissable. Il possède une bibliothèqueAlexandrine de calembredaines, d’ana, de recueils grivois, decompilations burlesques. C’est à n’en jamais voir la fin. Il netient qu’à lui d’être, cent ans encore, « le plus spirituel de noschroniqueurs ».

Par malheur, il se doute un peu de son néant et cela l’enragecontre l’univers. Personne n’est absous de son impuissance. S’ilavait un sou de talent au service de sa désespérée fureur de raté,nul n’échapperait au venin de ses abominables crocs, – àl’exception, peut-être, de quelques turfistes à poigne, accoutumésà rosser des bêtes plus nobles, mais fort capables, après lechampagne, de déroger jusqu’à son calottable visage.

Probablement fatigué de se porter lui-même, il s’appuyait surson digne confrère, Adolphe Busard, connu dans tous les théâtressous le sobriquet significatif de Mimi-Vieux-Chien. Ce vieux chiena les allures et la physionomie d’un officier de cavalerie,supérieur en grade à Denizot, mais d’une arme plus lourde.

C’est un bonapartiste obséquieux et rêche, à physionomie quelquepeu chinoise, plagiaire plein d’impudence, très puissant au Pilateet baryton des plus influents. Une vieille pratique, s’il en fut,et du meilleur temps ! On assure que Napoléon III a payéplusieurs fois ses dettes. Hélas ! le pauvre sire aurait mieuxfait de venir en aide à quelques nobles artistes dédaignés, quil’eussent efficacement protégé de leur encre ou de leur sang contrela hideuse vermine qui le dévora.

Le sang de Busard, si cette matière coulante existe en lui, estun trésor dont il paraît singulièrement avare. Quant à son encre,il l’utilise exclusivement à faire, en littérature, des travauxd’expéditionnaire. Son zèle de copiste est infatigable. Une de sesprétentions les plus chères est de passer pour un historienlittéraire, pour un bibliophile savant et documenté. Naturellement,il est moliériste, comme il convient à tout esprit bas. JulesVallès est probablement le seul gredin qui ait méprisé Molière. Ilest vrai que Vallès était un gredin de talent.

Busard se contente de démarquer le talent des autres ou, plussimplement, de les dépouiller en bloc, sans discernement et sanschoix, car il est incapable même d’apercevoir le talent. On serappelle cet important, ce définitif travail, tant annoncé, surVillon, sur sa vie et son temps, renforcé de pièces inédites et detoutes les herbes de la Saint-Jean de l’érudition. A l’examen, ilse trouva que la chose avait été copiée, intégralement, dans leJournal des Chartes. Le véritable auteur détroussé, qui avaitencore sa montre, par grand bonheur, jugea enfin que l’heure étaitvenue de se montrer et de protester. Il fit donc paraître sesnotes, et Busard, démoli, s’immergea dans un silencemalheureusement bien court.

Ce qui le tire de pair, absolument, c’est le génie commercial.Les statistiques les plus exactes ont établi l’énorme supérioriténumérique de sa clientèle d’écorchés. Wolff excepté, aucunjournaliste ne peut se flatter d’une aussi grande puissanced’attraction sur les écus. Ces deux aruspices distribuent lajustice comme Danaé décernait l’amour. Ils sont virginaux etincorruptibles, juste aussi longtemps que cette éventrée deJupiter. Il est vrai qu’Albert Wolff rançonne la terre et queBusard, moins équipé, opère surtout au théâtre, où il imposejusqu’à ses maîtresses. Mais sur ce marché, il est sans égal.

Et Dieu sait pourtant, si Germain Gâteau, l’ancêtre du groupeDenizot, est mm novice en cet art fructueux de s’engraisser dulabeur d’autrui ! Ce Géronte visqueux et blanchâtre, au teintde mastic couperosé, est un sous-Wolff et s’en félicite.Hebdomadairement, il foire au Pilate le tapioca d’une bibliographiegélatineuse et moléculaire, dont se pourlèche l’abonné sérieux.C’est lui qui est chargé d’informer deux cent mille lecteurs dumouvement intellectuel de la France contemporaine.

A ce titre, il est une des grosses influences du Paris actuel etd’interminables théories de débutants implorateurs viennent déposerà ses pieds les fruits imprimés de leurs veilles. Mais une longuepratique du négoce a blindé son coeur contre les sollicitationséplorées des Malfilâtres, et les larmes d’argent sont seulesadmises à rouler sur le drap funèbre de son impartialité. Cethaumaturge a découvert des filons d’or dans les poches percées dela littérature. Il est le Péruvien du compte rendu sympathique etle carrier philosophal des transmutations de la Réclame.

Marchenoir, voué, par nature, à l’observation des hideurssociales, n’avait jamais pu se remettre de l’ahurissement que luiavait causé le premier aspect de cet individu, qu’il avait pu rêverdégoûtant, mais non pas de ce genre ni de ce degré de dégoûtation.Il avait beau se pincer, se crier à ses propres oreilles, setraiter de triple niais, il n’en revenait pas qu’un intendant de larenommée, un être qui tient sous clef, pour le distribuer comme bonlui semble, le pain des artistes dont il serait indigne dedécrotter la chaussure, — en lui supposant même la beauté d’unDieu, — eût précisément l’ignoble physionomie de GermainGâteau !

C’est la forme sensible que prendrait nécessairement laVulgarité, si elle venait à s’incarner pour la rédemption descaptifs de la Poésie, c’est une Méduse de vulgarité ! Il y adu notaire de campagne usurier et du vieux garçon de tripot, dumarchand de soupe de vingtième ordre et du concierge de la placePigalle, qui a vendu sa fille au capitaine retraité de l’entresol.Il y a, surtout, du laquais insolent et voleur, toléré par desmaîtres à peine moins vils, dont il aurait surpris les secretsfangeux. La savate, — déjà levée ! — retombe aussitôt devantcette face décourageante où l’abjection sans mesure s’amalgamevisiblement à une imbécillité qu’on est forcé de conjecturerinsondable !

A droite et à gauche de ces chefs, Marchenoir apercevaitquelques jeunes thuriféraires en travail d’extase : HilaireDupoignet, Jules Dutrou, Chlodomir Desneux, Félix Champignolle etHippolyte Maubec, — têtards de journalistes-pirates et deromanciers sans génie, fleurs écloses du crottin des vieux, dansles balayures saliveuses du boulevard, et qu’il faut craindre degrandir, en se donnant la peine de les mépriser.

Hilaire Dupoignet est un héros flûtencul de la guerre du Tonkin,où il se signala comme infirmier. Les troupiers l’avaient surnomméCinq contre un, à cause d’une habitude honteuse qu’il se hâta derévéler à ses contemporains dans un roman autobiographique d’uneinvraisemblable fétidité. Il l’écrivit à son retour, de cette mêmemain qui avait rendu de si grands services, et se couvrit ainsid’une gloire nouvelle, que les qualités de son esprit n’avaient paspromise, mais que la vilenie de son âme lui fit obtenird’emblée.

Ce masturbateur a pour spécialité d’attaquer les gens qui nepeuvent pas se défendre. Il fit cette prouesse d’envoyer au frèrePhilippe le premier exemplaire de son punais roman, où le publicest informé que les frères de la Doctrine chrétienne furentinstitués à l’unique fin de pourrir l’enfance.

Lâche évident, chourineur probable, empoisonneur par principes,mais incendiaire frigide, il offre à l’observateur la lividitésébacée d’un homme sur le visage duquel on aurait pris l’habitudede pisser…

Jules Dutrou, le moins jeune de ces têtards, donne l’idée d’unevipère qui serait devenue renard, tout exprès pour succomber auxatteintes d’une inexorable alopécie. Ce croûte-levé s’est faitjournaliste pour avoir des femmes, malgré sa pelade et sa calvitie.Il chroniquaille dans une feuille de boulevard renommée pour lenéant exceptionnel de ses virtuoses, et distribue sur l’asphaltedes sourires à ressort et de dangereuses pressions de sa mainsuspecte.

Sa voix est celle d’un châtré de naissance, qui n’a jamais eubesoin d’aucune chirurgie pour devenir chanteur et qui porte sescisailles dans son cerveau.

Dutrou se juge écrivain et parle quelquefois avec un équitablemépris des « voyous de lettres ».

Un jour, quelqu’un nomma Chlodomir Desneux à un romanciercélèbre. Il s’agissait d’obtenir de ce pontife tout-puissant alorsau Voltaire, qu’il y poussât le débutant rongé de misère,disait-on, et intéressant à tous les points de vue.

Le maître se laissa toucher et parvint à imposer au directeur duVoltaire un roman de Chlodomir. Celui-ci soutire aussitôt unesomme, décampe avec son manuscrit, le publie ailleurs, devientl’ami d’Arthur Meyer qui lui confie une magistrature, et, à lapremière occasion, il traîne son protecteur dans les ruisseaux.

Ce Mérovingien est une créature de Dulaurier, qui ne parlajamais de lui donner d’argent, mais qui le pilota de son expérienceet l’instruisit à devenir le semblant de quelque chose.

La force de Chlodomir Desneux est, peut-être, dans son sourire.Un sourire affreux qui lui déchausse les gencives et faitapparaître les dents d’un loup. Mais c’est un brave loup, trèséduqué, qui rentre ses crocs, au surgissement le plus lointaind’une trique possible.

Il est aisément reconnaissable à ses redingotes de clergyman,boutonnées de pastilles de réglisse, et à ses faux gilets lacésdans le dos, en velours olive de vieux fauteuil, — ces derniersservilement copiés de Lécuyer, dont le dandysme de haut souteneurl’a fortement imprégné

Il a ceci de commun avec Denizot, qu’il ferait, en temps deterreur, un délicieux proconsul de la guillotine. Tant qu’ilspourraient, l’un et l’autre de ces deux envieux couperaient destêtes pour se venger d’avoir été d’heureux impuissants.

Marchenoir n’avait pas à craindre que Félix Champignolles’approchât de lui. Ce jeune bandit, à figure d’équivoque larbin,était trop prudent pour se mettre à portée d’une main dont ilsavait la vigueur. Il n’ignorait pas que Marchenoir avait été l’amid’un pauvre diable d’homme de lettres dont lui, Champignolle, avaitprocuré la mort tragique, en le faisant tomber dans le guet-apensd’un duel, et, même, il avait été sur le point de prendre congé,sous un prétexte quelconque, en voyant entrer le désespéré. Mais oneût trop compris le vrai motif de cette départie, et la politiquele contraignit à rester. Quant à Marchenoir, il n’eut pas trop detoute son énergie pour se tenir tranquille, en attendant uneoccasion meilleure. Quelle danse, alors !

Champignolle est un personnage des plus remarquables, en ce sensqu’il a l’air d’un parfait scélérat, au milieu d’une bande decoupe-jarrets que sa présence fait ressembler à d’inoffensifsbourgeois. A l’exception d’un acte courageux ou spirituel, on peutdire qu’il est absolument capable de tout. Son effronterie est sansexemple et sans précédent. Il est le seul homme de lettres ayantosé publier un livre plagié de tout le monde, à peu près sansexception, et fabriqué de coupures dérobées aux livres les plusconnus, sans autre changement que l’indispensable soudured’adaptation à son sujet. On s’étonne même que cette audace ait eudes bornes et qu’il n’ait pas donné, comme de lui, le Lac deLamartine ou l’une des Diaboliques de Barbey d’Aurevilly. Mais ilest facile de concevoir les résultats esthétiques d’une telleméthode.

La personne d’un chenapan de cet acabit ne serait pas tolérée,un quart de minute, dans une société de voleurs de grand chemin, oùsubsisterait quelque regain de virile solidarité. La société deslettres l’accepte, néanmoins, avec honneur et se serre volontierspour le mettre à l’aise. Il est offert en exemple à l’émulation desjeunes, qui convoitent sa dextérité et naviguent en cohue dans sonsillage.

Sa force est, d’ailleurs, attestée par les précautions qu’on estobligé de prendre pour le recevoir. Non seulement, il est conseilléde cacher soigneusement tous les papiers de quelque importance,mais il faut encore surveiller les mains agiles du visiteur, aussilongtemps qu’il stationne dans un endroit où quelque chose est àprendre.

Chamfort recommandait aux ambitieux d’avaler un crapaud tous lesmatins, avant de sortir, pour se faire la bouche. Champignolle atrouvé mieux. Il a passé le matin de sa vie à solliciter les coupsde pieds au derrière de tous les passants dont la botte pouvaitutilement retentir, et quand il ne les obtenait pas, il inventaitle moyen de les carotter.

On peut donc tout prédire à un aventurier d’un tel caractère.Les journaux ont raconté la touchante cérémonie de son mariage avecune jeune amie de Madame Valtesse… Où n’ira-t-il pas, désormais, cejeune vainqueur, qui commençait hier, à peine, en se glissant,comme une punaise, par les fentes des parquets, et pour qui,bientôt, aucun portail, aucun arc de triomphe ne s’élèverasuffisamment au-dessus du sol ?

Enfin, Hippolyte Maubec, premier reporter de Paris, ainsi qu’ilse qualifie lui-même. Il passe, du moins, pour l’un des meilleursflairs et des plus tenaces à la piste, parmi tous ces chiens dujournalisme dont l’héroïque emploi consiste à réaliser, dans la vieprivée des contemporains illustres, les manoeuvres décriées que laloi martiale rétribue d’une demi-douzaine de balles aux alentoursprésumés du coeur. Ce métier demande, avant tout, du front et del’estomac. Quant à l’esprit, il en faut tout juste assez pour voir,à temps, monter la moutarde dans le nez d’autrui, ou pouraccueillir les coups de bottes des exaspérés, avec le sourire d’ungladiateur de l’information.

Cependant, cette place enviée n’arrivant pas à combler sesvoeux, Hippolyte Maubec s’improvisa moraliste consultant au journalfameux dont s’imprègnent les républicains honnêtes, où ils’arrange, – malgré le voisinage de Sarcey, – pour être la pluslaide chenille de cette feuille de mauvais figuier qui rend un peuplus visibles les parties honteuses de notre histoirecontemporaine.

Il est donc d’une espèce de figure syphilitique et foraminée,aux glandes cutanées perpétuellement juteuses. C’est précisément lecontraire de son croûteux et feuilleté confrère, Jules Dutrou, dontla lèpre est sèche. Quand l’humeur liquide menace de s’indurer, ilpresse délicatement les pustules réfractaires au suintement et faitjaillir son ordure. Malheur à qui se trouve, alors, devant sonabominable gueule !

N’importe. Les boutiquiers et les commis voyageurs, qui lisentassidûment son journal, lui adressent force épîtres anxieusesauxquelles il répond, publiquement, avec un zèle patriotique àpeine surpassé par le ridicule inouï de son ton d’augure, car cevénéneux est pour la vertu et ce hanteur de tripots pour laprobité.

Redouté comme une mouche de pestilence et rempli decharbonneuses notions sur la conjecturale moralité des uns et desautres, on lui abandonne sans discussion toute l’autorité qu’ilveut prendre, et le drôle immonde en profite pour organiser, à sonusage, une sorte de royauté de l’espionnage et de l’intimidation.Il donne ainsi des mots d’ordre à la presse entière, organise lescandale, décrète le bruit, promulgue le silence et, aussi savantdélateur que redouté complice, fait tout trembler de sonomnipotente ignobilité.

Et c’est une juste royauté, une trois fois légitime primatie,nul, – pas même Albert Wolff et Valérien Denizot ! – n’étantplus bas, plus fangeusement coté, plus dénué de talent, plusinvulnérable à un sentiment d’ordre élevé, plus impossible àcalomnier.

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