Le Désespéré

Chapitre 6

 

La loi des « attractions proportionnelles » devait, au contraire,infailliblement précipiter l’un vers l’autre et souder ensembleAlexis Dulaurier et le docteur Chérubin Des Bois. Évidemment, detelles âmes avaient été créées pour fonctionner à l’unisson.

Ils n’avaient à déplorer que de s’être rencontrés si tard. Ilsse connaissaient, par malheur, depuis peu de temps. Quoiqu’ilsfréquentassent à peu près les mêmes salons — l’un raffermissant etcicatrisant ce que l’autre se contentait de lubrifier, — uninconcevable guignon avait longtemps écarté les occasions, quieussent dû être sans nombre, d’une si désirable conjonction.

Cette circonstance, regrettable au point de vue de l’entrelacsde leurs esprits, avait été providentielle pour Marchenoir, que leconsciencieux Dulaurier n’aurait jamais permis de secourir avec untel faste, s’il avait pu être consulté.

Si maintenant celui-ci venait, de lui-même, inciter Des Bois àde nouvelles largesses, c’était uniquement, comme on vient de levoir, pour ménager une amitié dangereuse encore, bien que jugéeinutile, en préservant au meilleur marché, du maculant soupçon deladrerie, sa pure hermine d’excellent enfant.

C’est toujours une allégresse chez le docteur quand Dulauriers’y présente. De part et d’autre, on se placarde de sourires, on seplastronne de simagrées affectueuses, on se badigeonne au lait dechaux d’une sépulcrale sensibilité

C’est un négoce infini de filasse sentimentale,d’attendrissements hyperboréens, de congratulatoires frictions, desusurrements apologétiques, de petites confidences pointues oufendillées, d’anecdotes et de verdicts, une orgie de médiocrité àcinquante services dans le dé à coudre de l’insoupçonnable femellede César !

Car ces fantoches sont, à leur insu, des majestés fort jalouseset c’est une question de savoir si Dieu même, avec toute sapuissance, arriverait à leur inspirer quelque incertitude surl’irréprochable beauté de leur vie morale.

C’est peut-être l’effet le moins aperçu d’une dégringoladefrançaise de quinze années, d’avoir produit ces dominateurs,inconnus des antérieures décadences, qui règnent sur nous sans yprétendre et sans même s’en apercevoir. C’est la surhumaineoligarchie des Inconscients et le Droit Divin de la Médiocritéabsolue.

Ils ne sont, nécessairement, ni des eunuques, ni des méchants,ni des fanatiques, ni des hypocrites, ni des imbéciles affolés. Ilsne sont ni des égoïstes avec assurance, ni des lâches avecprécision. Ils n’ont pas même l’énergie du scepticisme. Ils ne sontabsolument rien. Mais la terre est à leurs pieds et cela leurparaît très simple.

En vertu de ce principe qu’on ne détruit bien que ce qu’onremplace, il fallait boucher l’énorme trou par lequel les anciennesaristocraties s’étaient évadées comme des ordures, en attendantqu’elles refluassent comme une pestilence. Il fallait condamner àtout prix cette dangereuse porte et les Acéphales furent élus pourchevaucher un peuple de décapités !

Aussi, la Fille aînée de l’Église, devenue la Salope du monde,les a triés avec une sollicitude infinie, ces lys d’impuissance,ces nénuphars bleus dont l’innocence ravigote sa perversedécrépitude ! Si l’Exterminateur arrivait enfin, il netrouverait plus une âme vivante dans les quartiers opulents deParis, rien aux Champs-Élysées, rien au Trocadéro, rien au ParcMonceau, trois fois rien au Faubourg Saint-Germain et, sans doute,il dédaignerait angéliquement de frapper du glaive les simulacreshumains pavés de richesses qu’il y découvrirait !

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer