Le Désespéré

Chapitre 8

 

On s’aperçut un jour, il y a trois cents ans, que la Croixsanglante avait trop longtemps obombré la terre. Le déballage deluxure qu’on a voulu nommer la Renaissance venait de s’inaugurer,quelques pions germaniques ou cisalpins ayant divulgué qu’il nefallait plus souffrir. Les mille ans d’extase résignée du Moyen Agereculèrent devant la croupe de Galatée.

Le XVIe siècle fut un équinoxe historique, où l’idéal bafoué parles giboulées du sensualisme s’abattit enfin, racines en l’air. Lespirituel christianisme, sabordé dans ses méninges, saigné au troncdes carotides, vidé de sa plus intime substance, ne mourut pas,hélas ! Il devint idiot et déliquescent dans sa gloirepercée.

Ce fut une convulsion terrible pendant cent ans, accompagnéed’un infiniment inutile et lamentable rappel des âmes. Notrecirculante sphère parut rouler au travers des autres planètes commeun arrosoir de sang. Mais le martyre même ayant perdu sa vertu, lavieille bourbe originelle fut réintégrée triomphalement, toutes lesportes des étables furent arrachées de leurs gonds et l’universelleporcherie moderne commença son bréneux exode.

Le christianisme, qui n’avait su ni vaincre ni mourir, fit alorscomme tous les conquis. Il reçut la loi et paya l’impôt. Poursubsister, il se fit agréable, huileux et tiède. Silencieusement,il se coula par le trou des serrures, s’infiltra dans lesboiseries, obtint d’être utilisé comme essence onctueuse pourdonner du jeu aux institutions et devint ainsi un condimentsubalterne, que tout cuisinier politique put employer ou rejeter àsa convenance. On eut le spectacle, inattendu et délicieux, d’unchristianisme converti à l’idolâtrie païenne, esclave respectueuxdes conculcateurs du Pauvre, et souriant acolyte desphallophores.

Miraculeusement édulcoré, l’ascétisme ancien s’assimila tous lessucres et tous les onguents pour se faire pardonner de ne pas êtreprécisément la volupté, et devint, dans une religion de tolérance,cette chose plausible qu’on pourrait nommer le catinisme de lapiété. Saint François de Sales apparut, en ces temps-là, juste aubon moment, pour tout enduire. De la tête aux pieds, l’Église futcollée de son miel, aromatisée de ses séraphiques pommades. LaSociété de Jésus, épuisée de ses trois ou quatre premiers grandshommes et ne donnant déjà plus qu’une vomitive resucée de sesapostoliques débuts, accueillit avec joie cette parfumeriethéologique, où la gloire de Dieu, définitivement, s’achalanda. Lesbouquets spirituels du prince de Genève furent offerts par decaressantes mains sacerdotales aux explorateurs du Tendre, quidilatèrent aussitôt leur géographie pour y faire entrer un aussicharmant catholicisme… Et l’héroïque Moyen Age fut enterré à dixmille pieds !…

On est bien forcé d’avouer que c’est tout à fait fini,maintenant, le spiritualisme chrétien, puisque, depuis troissiècles, rien n’a pu restituer un semblant de verdeur à la souchecalcinée des vieilles croyances. Quelques formules sentimentalesdonnent encore l’illusion de la vie, mais on est mort, en réalité,vraiment mort. Le Jansénisme, cet infâme arrière-suint del’émonctoire calviniste, n’a-t-il pas fini par se pourlécherlui-même, avec une langue de Jésuites sélectivement obtenue, et laracaille philosophique n’a-t-elle pas fait épouser sa progénitureaux plus hautes nichées du gallicanisme ? La Terreurelle-même, qui aurait dû, semble-t-il, avoir la magnifianteefficacité des persécutions antiques, n’a servi qu’à rapetisserencore les chrétiens qu’elle a raccourcis.

Pour sa peine d’avoir égorgé la simple Colombe qui planait dansles cieux d’or des légendes, l’Art perdit ses propres ailes etdevint le compagnon des reptiles et des quadrupèdes. Lesextra-corporelles Transfixions des Primitifs dévalèrent dansl’ivresse charnelle de la forme et de la couleur, jusqu’aux viergesde pétrin de Raphaël. Arrivée à cette brute de suavité stupide etde fausse foi, l’esthétique religieuse fit un dernier bondprodigieux et disparut dans l’irrévocable liquide que de sénilesgénérations catholiques avaient sécrété.

Aujourd’hui, le Sauveur du monde crucifié appelle à lui tous lespeuples à l’étalage des vitriers de la dévotion, entre unÉvangéliste coquebin et une Mère douloureuse trop avancée. Il setord correctement sur de délicates croix, dans une nuditéd’hortensia pâle ou de lilas crémeux, décortiqué, aux genoux et auxépaules, d’identiques plaies vineuses exécutées sur le typeuniforme d’un panneau crevé. — Genre italien, affirment lesmarchands de mastic.

Le genre français, c’est un Jésus glorieux, en robe de brocartpourpré, entr’ouvrant, avec une céleste modestie, son sein, etdévoilant, du bout des doigts, à une visitandine enfarinée d’extaseun énorme coeur d’or couronné d’épines et rutilant comme unecuirasse.

C’est encore le même Jésus plastronné, déployant ses bras pourl’hypothétique embrassement de la multitude inattentive, c’estl’éternelle Vierge sébacée en proie à la même recette de désolationmillénaire, tenant sur ses genoux, non seulement la tête, mais lecorps entier d’un minable Fils, décloué suivant de cagneusesformules. Puis, les innumérables Immaculées Conceptions de Lourdes,en premières communiantes azurées d’un large ruban, offrant auciel, à mains jointes, l’indubitable innocence de leur émail et deleur carmin.

Enfin, la tourbe polychrome des élus : les saints Joseph,nourriciers et frisés, généralement vêtus d’un tartan rayé debavures de limaces, offrant une fleur de pomme de terre à un pouponbénisseur ; les saints Vincent de Paul en réglisse ramassant,avec une allégresse refrénée, de petits monstres en stéarine,pleins de gratitude ; les saints Louis de France ingénus,porteurs de couronnes d’épines sur de petits coussins enpeluche ; les saints Louis de Gonzague, chérubinementagenouillés et cirés avec le plus grand soin, les mains croiséessur le virginal surplis, la bouche en cul de poule et les yeuxnoyés ; les saints François d’Assise, glauques ou céruléens, àforce d’amour et de continence, dans le pain d’épice de leurpauvreté ; saint Pierre avec ses clefs, saint Paul avec songlaive, sainte Marie-Madeleine avec sa tête de mort, saintJean-Baptiste avec son petit mouton, les martyrs palmés, lesconfesseurs mitrés, les vierges fleuries, les papes aux doigtsspatulés d’infaillibles bénédictions, et l’infinie cohue despompiers de chemins de croix.

Tout cela conditionné et tarifé sagement, confortablement,commercialement, économiquement. Riches ou pauvres, toutes lesparoisses peuvent s’approvisionner de pieux simulacres en cesbazars où se perpétue, pour le chaste assouvissement de l’oeil desfidèles, l’indéracinable tradition raphaélique. Ces purgativesimages dérivent, en effet, de la grande infusion détersive desmadonistes ultra-montains. Les avilisseurs italiens du grand Artmystique furent les incontestables ancêtres de ce crépi. Qu’ilseussent ou non le talent divin qu’on a si jobardement exalté surles lyres de la rengaine, ils n’en furent pas moins lesmatelassiers du lit de prostitution où le paganisme fornicateurvint dépuceler la Beauté chrétienne. Et voilà leurprogéniture !

La Dispute du Saint Sacrement devait inéluctablement aboutir, enmoins de trois siècles, à l’émulation fraternelle des plâtriers deSaint-Sulpice, — qui feraient aujourd’hui paraître orthodoxe etsainte la plus sanguinaire iconoclastie !

Et la littérature est à l’avenant. Ah ! la littératurecatholique ! C’est en elle, surtout, que se vérifie, jusqu’àl’éblouissement, le stupre inégalable de la décadence ! Sonhistoire est, d’ailleurs, infiniment simple.

Après un tas de siècles pleins de liberté et de génie, Bossuetapparaît enfin qui confisque et cadenasse à jamais, pour la gloirede son calife, dans une dépendance ergastulaire du sérail de lamonarchie, toutes les forces génitales de l’intellectualitéfrançaise. Ce fut une opération politique assez analogue auxprécédents élagages de Louis XI et de Richelieu. Ce qu’on avaitfait pour les vassaux redoutés du Roi Très Chrétien, l’aigledomestiqué du diocèse de Meaux l’accomplit pour la féodalité plusmenaçante encore de la pensée. A dater de ce coupeur, silenceabsolu, infécondité miraculeuse.

Toute philosophie religieuse dut se configurer à la sienne etl’on a vu cet inconcevable sacrilège d’un immense clergé, le culpar terre sur l’Hostie sainte et la tête perdue dans le bas vallonde sa soutane, adorativement prosterné devant une perruque pourrie,en obéissance posthume à la consigne épiscopale d’un valet de cour.Cela pendant deux cents ans, depuis 1682 jusqu’à nos imbécilesjours.

L’abortive culture des séminaires n’atteignit pas cependant, dupremier coup, son solstice d’impuissance. Il fallut que l’hostilitégrandissante des temps modernes fît comprendre, peu à peu, à cettemilice la nécessité d’être couarde, et la sublime sagesse dedécamper en jetant ses armes aux pieds de l’ennemi. A chaque foisque l’impiété se montrait plus insolente ou l’antagonismephilosophique mieux équipé, l’enseignement religieux serétrécissait d’autant et le sacerdoce rentrait ses cornes. Letélescope théologique se rapetissait en avalant ses tubes, dansl’inexpugnable espérance de n’avoir plus d’étoiles à découvrir.

Alors, dans la pénombre des garennes apostoliques, sous laplafonnante envergure de l’oie gallicane, on pâturaitvoluptueusement la moisissure du vieux schisme archidécédé. Toutela tradition chrétienne étant réputée tenir dans les tomesappareillés du sublime évêque, et celui-là même résumant l’Égliseuniverselle en son ombilic, — puisqu’il avait fallu qu’il en fît untapis de pieds pour son royal maître — qu’avait-on besoin d’autreautorité et que pouvait tenter, après cela, l’esprit humaindémonétisé ?

La rature devint infinie. Tout ce qui s’est accompli depuis leXVIIe siècle y passa. La pédagogie catholique, pour se châtierd’avoir accordé naguère une estime folâtre à la créature de Dieu,décida de se cantonner éperdument et à jamais dans le catafalque du »grand siècle ». Donc, défense absolue d’écrire autre chose que desimitations de ce corbillard, et fulminant anathème contre la plusobscure velléité de s’en affranchir.

La plus inouïe des littératures est résultée de ce blocus. C’està se demander, vraiment, si Sodome et Gomorrhe que Jésus, dans sonÉvangile, a déclarées « tolérables », ne furent pas saintes etd’odeur divine, en comparaison de ce cloaque d’innocence.

Le grand jour approche ! – La vie n’est pas la vie, – LeSeigneur est mon partage, – Où en sommes-nous ? – L’éclairavant la foudre, – L’horloge de la passion, – Le ver rongeur, -Gouttes de rosée, – Pensez-y bien ! – Le beau soir de la vie,- L’heureux matin de la vie, – Au ciel on se reconnaît, – L’échelledu ciel, – Suivez-moi et je vous guiderai, – La manne de l’âme, -L’aimable Jésus, – Que la religion est donc aimable ! -Plaintes et COMPLAINTES du Sauveur, – La vertu parée de tous sescharmes, – Marie, je vous aime, – Marie mieux connue, — Lecatholique dans toutes les positions de la vie, etc. Tels sont lestitres qui sautent à l’oeil, aussitôt qu’on regarde une boutique delivres dévots.

Et il ne faudrait pas se hâter de croire à d’insignifiantesplaquettes. L’aimable Jésus, à lui seul, a trois volumes. La bêtisede ces ouvrages correspond exactement à la bêtise de leurs titres.Bêtise horrible, tuméfiée et blanche ! C’est la lèpre neigeusedu sentimentalisme religieux, l’éruption cutanée de l’internepurulence accumulée en un douzaine de générations putrides qui nousont transmis leur larcin !

Une inqualifiable librairie de la rue de Sèvres vend ceci, parexemple : Indicateur de la ligne du ciel. Un tout petit papier dela dimension d’un paroissien, pour y être inséré comme une pieuseimage. La première page offre précisément la vue consolante d’untrain de chemin de fer, sur le point de s’engouffrer dans untunnel, au travers d’une petite montagne semée de tombes. C’est « letunnel de la mort » au-delà duquel se trouve « le Ciel, l’Éternitébienheureuse, la Fête du Paradis ». Ces choses sont expliquées entrois pages minuscules de cette écriture liquoreusement joviale,que le journal le Pèlerin a propagée jusqu’aux derniers confins dela planète, et qui paraît être le dernier jus littéraire de lasaliveuse caducité du christianisme. On prend son billet d’allersans retour, au guichet de la Pénitence, on paie en bonnes oeuvres,qui servent en même temps de bagages, il n’y a pas de wagons-lits,et les trains les plus rapides sont précisément ceux où l’on est leplus mal. Enfin, deux locomotives : l’amour en tête, et la crainteen queue. « En voiture, Messieurs, en voiture ! » Lebienveillant opuscule nous laisse malheureusement ignorer si lesdames sont admises, s’il leur est accordé de faire un léger persil,ou s’il est loisible d’organiser des bonneteaux, comme dans lestrains de banlieue. Ce candide blaguoscope n’a l’air de rien,n’est-ce pas ! C’est le hoquet de l’agonie pour la Foichrétienne, d’abord, ensuite pour toute la spiritualité de ce mondequ’elle a engendré, dont elle est l’unique substrat, et qui ne luisurvivra pas un quart d’heure. Mais que penser d’un clergé quitolère ou encourage cette pollution du troupeau qu’on lui a confié,qui prend pour de l’humilité l’enfantillage du crétinisme le plusabject, et que la plus timidement conjecturale hypothèse del’existence d’un art moderne transporte d’indignation ?

Retranché dans les infertiles glaciers du siècle de Louis XIV,les plus hautes têtes contemporaines ont passé devant lui, sansmieux obtenir qu’un outrage ou une dédaigneuse constatation. Desécrivains de la plus curative magnitude se sont offerts pourinfuser un peu de sang jeune à la carcasse desséchée de leuraïeule. Ils en ont été reniés, maudits, placardés d’immondices : -C’est vous qui êtes centenaires et décrépits ! leurcrie-t-elle de sa gueule vide, et le seul grand artiste qui aithonoré sa boutique depuis trente ans, Jules Barbey d’Aurevilly, estmis au pilon sur un ordre formel de l’Archevêché de Paris.

Il est vrai qu’elle a ses grands écrivains, l’Église gallicanetombée en enfance ! Elle arbore, par exemple, au plus haut desa corniche, un évêque non moindre que le schismatique Dupanloup,dont les écoeurantes grisailles sur l’Éducation la font clignoter,comme si c’étaient des torrents de pourpre. Ce porte-mitre, qui futla honte de l’épiscopat le plus médiocre qu’on ait jamais vu, estconsidéré comme un porte-foudre intellectuel par ceux-la même quiméprisent l’étonnante bassesse de son caractère. De Pavone Lupusfactus, disait-on à Rome pendant le Concile, en décomposant le nomde Mademoiselle sa mère. On a beau savoir l’insolence tyrannique etl’incurie pleine de faste de ce pasteur aux douze vicairesgénéraux, qui ne put jamais résider dans son diocèse, on a beauconnaître la turpitude de ses intrigues politiques et l’immondehypocrisie du révolté qui trahissait l’Église universelle, enprotestant de son désir filial de « ne pas exposer le Pape àl’humiliation d’un vote incertain », n’importe ! on le vénèrecomme un maître, et la dysenterie littéraire de ce Trissotinviolet, dont le plus infime journaliste hésiterait à signer leslivres, passe, dans le monde catholique, pour le débordement dugénie.

Infiniment au dessous de ce prélat, resplendissant comme ellespeuvent, des améthystes inférieures, et des subalternes crosses :les Landriot, les Gerbet, les Ségur, les Mermillod, les LaBouillerie, les Freppel, infertiles époux de leurs églisesparticulières et glaireux amants d’une muse en fraise de veau quileur partage ses faveurs.

Puis des soutaniers sans nombre : les Gaume, les Gratry, lesPereyve, les Chocarne, les Martin, les Bautain, les Huguet, lesNorlieu, les Doucet, les Perdrau, les Crampon, tout unfourmillement noir sur la rhétorique décomposée des sièclesdéfunts. On peut en empiler cinquante mille de ces cerveaux, etfaire l’addition. Le total ne fournira pas l’habillement completd’une pauvre idée.

Du côté des laïques, on exhibe à l’admiration du bon fidèle unassortiment considérable de cuistres guindés comme des pendus etarides comme les montagnes de la lune, tels que Poujoulat,Montalembert, Ozanam, Falloux, Cochin, Nettement, Nicolas,Aubineau, Léon Gautier, historiens ou philosophes, hommespolitiques ou simples conférenciers. C’est la voix lactée dufirmament littéraire. Ces roussins de l’esthétique religieuse ontconfisqué la pensée humaine et l’ont coffrée dans la geôle obscuredes petites convenances et des solennelles rengaines du grandsiècle. Nul n’est admis à subsister sans leur permission, et leplus grand art qui fut jamais, le Roman moderne, en qui s’estrésorbée toute conception, est jugé comme rien du tout, quand ilsapparaissent.

 

Mais le phénix d’entre ces volailles, c’est Henri Lasserre, leBenjamin du succès. Il devient inutile de regarder les autres,aussitôt que ce virtuose entre en scène, puisqu’il résume, en sapersonne l’onction des pontifes, le pédantisme chenu des hautscritiques et la graisseuse faconde des hagiographes. Il ajoute àces dons si rares le surcroît tout personnel d’une suffisance deGascon à décourager toutes les Garonnes. C’est un commis-voyageurdans la piété, un Gaudissart du miracle, qui place, mieux que pasun, ses petites guirlandes virginales en papier d’azur. Aussi, laplus incontinente fortune s’est hâtée d’accourir vers cet audacieuxaccapareur, qui débitait la Vierge Marie dans les boutiques et dansles marchés. Il n’a fallu rien moins que le triomphe presque divinde Louis Veuillot pour contre-balancer un tel crédit, – et le purcontemplatif, Ernest Hello, est mort ignoré, dans leresplendissement de leurs gloires.

Il est vrai encore que la même main rémunératrice retient, surle coeur fossile de cette Église hantée du néant, le vétustePontmartin, rossignol de catacombes dont l’eunuchat réfrigèreopportunément, les préhistoriques ardeurs. Il n’est pas moinsvéritable qu’on ramasse à la bouche du collecteur, où ilsophistiquait le guano, un Léo Taxil, désormais adjudant de Dieu ettambouriné prophète.

Enfin, les pasteurs des âmes fertilisent de leurs bénédictionsla bonne presse, instituée par Louis Veuillot pour l’inexorabledéconfiture des établissements de bains de la pensée. Après cela,porte close. Haine, malédiction, excommunication et damnation surtout ce qui s’écartera des paradigmes traditionnels…

« Le clergé saint fait le peuple vertueux, – a dit un hommepuissant en formules, – le clergé vertueux fait le peuple honnête,le clergé honnête fait le peuple IMPIE. » Nous en sommes au clergéhonnête et nous avons des prédicateurs tels que le P. Monsabré.

On a fait à ce misérable la réputation d’un grand orateur. Or,ce piètre thomiste, cet écolâtre exaspérant, systématiquementhostile à toute spontanée illumination de l’esprit, n’a ni uneidée, ni un geste, ni une palpitation cordiale, ni une expression,ni une émotion. C’est un robinet d’eau tiède en sortant, glacéequand elle tombe. Et il lui faut toute une année pour nous préparerces douches !

Il se trouve des naïfs que cette vacuité stupéfie. Mais c’estcomme cela qu’on les fabrique tous, depuis longtemps, lesannonciateurs du Verbe de Dieu !

Une glaire sulpicienne qu’on se repasse de bouche en bouchedepuis deux cents ans, formée de tous les mucus de la tradition etmélangée de bile gallicane recuite au bois flotté dulibéralisme ; une morgue scolastique à défrayer des millionsde cuistres ; une certitude infinie d’avoir inhalé tous lessouffles de l’Esprit-Saint et d’avoir tellement circonscrit laParole que Dieu même, après eux, n’a plus rien à dire. Avec cela,l’intention formelle, quoique inavouée, de n’endurer aucun martyreet de n’évangéliser que très peu de pauvres ; mais unecondescendante estime pour les biens terrestres, qui refrène en cesapôtres le zèle chagrin de la remontrance et les retient decontrister l’opulente bourgeoisie qui pavonne au pied de leurchaire. Tout juste la dose congrue, – presque impondérable, – debave amère, sur les délicates fleurs du Grand Livre, pourlesquelles fut inventée la distinction laxative du précepte et duconseil. Enfin l’éternelle politique régénératrice, l’inamoviblegémissement sur les spoliations de la Libre Pensée etl’incommutable anxiété de péroraison sur l’avenir présumé de lachère patrie… Quand on entend autre chose, c’est qu’on a la joied’être sourd ou l’irrévérencieuse consolation de dormir.

Le P. Monsabré est incontestablement le sujet le plus réussi, etles bonnes maisons où se conditionne l’article travaillent,présentement, à lui manufacturer d’innombrables émules. Il y a bienaussi un autre courant qu’il faudrait appeler Didonien, où lamédiocrité d’âme paraît plus complète encore et le génie plusabsent. Car ils sont de divers paillons, les bateleurs, dansl’Ordre dominicain tel que l’a confectionné ce trombone libérâtrede Lacordaire. Ils ont tous, plus ou moins, la nostalgie duboniment. Mais le Didon, qui ne se satisfait pas d’être une bouchedu néant, et qui va prostituant sa robe de moine sur les tréteauxdu cabotinisme international, nous sortirait du clergé honnête pournous mener droit aux soutaniers apostats ou schismatiques, – ce quiserait évidemment moins décisif, comme sputation à la Faceendurante du Christ !

Quant aux autres serviteurs de l’autel et à la masse entière desfidèles, c’est inexprimable et confondant.

On se serre, on se tient les coudes, on s’empile en fumierd’imbécillité et de lâcheté. On se précipite au Rien de la pensée,pour échapper à la contamination du libertinage ou del’incrédulité.

En même temps, par un repli tout orthodoxe, on met soigneusementà profit l’impiété du siècle pour allonger quelque peu la corde desprescriptions ecclésiastiques. L’Église ayant réduit à presque rienla rigueur de ses pénitences, dans l’espoir toujours déçu d’un plusprompt retour des brebis folâtres qu’elle a perdues, les moutonsdemeurés fidèles utilisent, en gémissant au fond du bercail, lesregrettables concessions de leurs pasteurs et toutes les pratiquessuivent la même pente, l’époque n’étant pas du tout à l’héroïsmedes oeuvres surérogatoires.

Jamais, d’ailleurs, il ne fut autant parlé d’oeuvres. S’occuperd’oeuvres, être dans les oeuvres, sont des locutions acclimatées,significatives de tout bien, quoiqu’elles aient l’air, dans leurimprécision, d’impliquer, au moral, un protestantisme limitrophedes plus imminents. Les catholiques, en effet, entendent etpratiquent la charité, l’amour de leurs frères indigents, à lamanière protestante, c’est-à-dire avec ce faste usuraire qui exigel’entier abandon préalable de la dignité du Pauvre, en échange desplus dérisoires secours. Il est presque sans exemple qu’un de ceschrétiens gorgés de richesses ait pris dans ses bras son frèreruisselant de pleurs, pour le sauver en une seule fois, en payantsa rançon d’une partie de son superflu.

Cela ressemble même à une politique. « Vous aurez toujours despauvres parmi vous », dit l’Évangile, et cette parole effrayante,qui condamne les détenteurs, est précisément l’occasion du sophismede cannibales qui procure leur sécurité. Dieu a réglé qu’il yaurait toujours des pauvres, afin que les riches se consolassentpieusement de ne l’être pas, en se résignant à la nécessitéprovidentielle de ne pas diminuer leur nombre.

Il leur faut donc des pauvres pour s’attester à eux-mêmes, aumeilleur marché possible, la sensibilité de leurs tendres coeurs,pour prêter à la petite semaine sur le Paradis, pour s’amuserenfin, pour danser, pour décolleter leurs femelles jusqu’aunombril, pour s’émotionner au champagne sur les agonisants par lafaim, pour laver d’un bol de bouillon les fornications parfumées oùles plus altissimes vertus peuvent se laisser choir.

On serait forcé d’en faire pour eux s’il n’y en avait pas, caril leur en faut pour toutes les circonstances de la vie, pour lajoie et pour la tristesse, pour les fêtes et pour les deuils, pourla ville et pour la campagne, pour toutes les attitudesd’attendrissement que les poètes ont prévues. Il leur en fautabsolument, pour qu’ils puissent répondre à la Pauvreté : Nousavons NOS pauvres, et, d’un geste lassé, se détourner de cetteagenouillée lamentable, que le Sauveur des hommes a choisie pourson Épouse et dont l’escorte est de dix mille anges.

Il se peut que le Dieu terrible, Vomisseur des Tièdes,accomplisse, un jour, le miracle de donner quelque sapidité moraleà cet écoeurant troupeau qui fait penser, analogiquement, àl’effroyable mélange symbolique d’acidité et d’amertume que legénie tourmenteur des Juifs le força de boire dans son agonie.

Mais il faudra, c’est fort à craindre, d’étranges flambées etl’assaisonnement de pas mal de sang pour rendre digérables, en cejour, ces rebutants chrétiens de boucherie.

Il faudra du désespoir et des larmes, comme l’oeil humain n’enversa jamais, et ce seront précisément ces mêmes impies tantméprisés par eux, du haut de leurs dégoûtantes vertus, — maisjustement désignés pour leur châtiment, saintement élus pour leurconfusion parfaite, — qui les forceront à les répandre !…

En attendant, le Christ est indubitablement traîné audépotoir.

Cette Face sanglante de Crucifié qui avait dardé dix-neufsiècles, ils L’ont rebaignée dans une si nauséabonde ignominie, queles âmes les plus fangeuses s’épouvantent de Son contact et sontforcées de s’en détourner en poussant des cris.

Il avait jeté le défi à l’opprobre humain, ce Fils de l’homme,et l’opprobre humain L’a vaincu !

Vainement, Il triomphait des abominations du Prétoire et duGolgotha, et du sempiternel recommencement de ces abominations duMépris. Maintenant, Il succombe sous l’abomination duRESPECT !

Ses ministres et Ses croyants, éperdus de zèle pour l’Idolefétide montée de leurs coeurs sur Son autel, L’ont éclaboussé d’unridicule tellement destructeur, nous ne disons pas de l’adoration,mais de la plus embryonnaire velléité d’attendrissement religieux,que le miracle des miracles serait, à cette heure, de Luiressusciter un culte.

Le songe tragique de Jean-Paul n’est plus de saison. Ce n’estplus le Christ pleurant qui dirait aux hommes sortis des tombeaux:

– Je vous avais promis un Père dans les cieux et Je ne sais oùIl est. Me souvenant de ma promesse, Je L’ai cherché deux mille anspar tous les univers, et Je ne L’ai pas trouvé et voici,maintenant, que Je suis orphelin comme vous.

C’est le Père qui répondrait à ces âmes dolentes et sans asile:

– J’avais permis à Mon Verbe, engendré de Moi, de Se rendresemblable à vous, pour vous délivrer en souffrant. Vous autres, Mesadorateurs fidèles, qu’ils a cautionnés par Son Sacrifice, vousvenez Me demander ce Rédempteur dont vous avez contemné lafournaise de tortures et que vous avez tellement défiguré de votreamour qu’aujourd’hui, Moi-même, Son Consubstantiel et Son Père, Jene pourrais plus Le reconnaître…

Je suppose qu’Il habite le tabernacle que Lui ont fait sesderniers disciples, mille fois plus lâches et plus atroces que lesbourreaux qui L’avaient couvert d’outrages et mis en sang.

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