Quatre vingt-treize

QUELQU’UN ÉCHAPPE

 

Le passager n’avait pas quitté le pont, ilobservait tout, impassible.

Boisberthelot s’approcha de lui.

– Monsieur, lui dit-il, les préparatifs sontfaits. Nous voilà maintenant cramponnés à notre tombeau, nous nelâcherons pas prise. Nous sommes prisonniers de l’escadre ou del’écueil. Nous rendre à l’ennemi ou sombrer dans les brisants, nousn’avons pas d’autre choix. Il nous reste une ressource, mourir.Combattre vaut mieux que naufrager. J’aime mieux être mitraillé quenoyé ; en fait de mort, je préfère le feu à l’eau. Maismourir, c’est notre affaire à nous autres, ce n’est pas la vôtre, àvous. Vous êtes l’homme choisi par les princes, vous avez unegrande mission, diriger la guerre de Vendée. Vous de moins, c’estpeut-être la monarchie perdue ; vous devez donc vivre. Notrehonneur à nous est de rester ici, le vôtre est d’en sortir. Vousallez, mon général, quitter le navire. Je vais vous donner un hommeet un canot. Gagner la côte par un détour n’est pas impossible. Iln’est pas encore jour, les lames sont hautes, la mer est obscure,vous échapperez. Il y a des cas où fuir, c’est vaincre.

Le vieillard fit, de sa tête sévère, un gravesigne d’acquiescement.

Le comte du Boisberthelot éleva lavoix :

– Soldats et matelots, cria-t-il.

Tous les mouvements s’arrêtèrent, et de tousles points du navire, les visages se tournèrent vers lecapitaine.

Il poursuivit :

– L’homme qui est parmi nous représente leroi. Il nous est confié, nous devons le conserver. Il estnécessaire au trône de France ; à défaut d’un prince, il sera,c’est du moins notre attente, le chef de la Vendée. C’est un grandofficier de guerre. Il devait aborder en France avec nous, il fautqu’il y aborde sans nous. Sauver la tête, c’est tout sauver.

– Oui ! oui ! oui ! crièrenttoutes les voix de l’équipage.

Le capitaine continua :

– Il va courir, lui aussi, de sérieux dangers.Atteindre la côte n’est pas aisé. Il faudrait que le canot fûtgrand pour affronter la haute mer et il faut qu’il soit petit pouréchapper à la croisière. Il s’agit d’aller atterrir à un pointquelconque, qui soit sûr, et plutôt du côté de Fougères que du côtéde Coutances. Il faut un matelot solide, bon rameur et bonnageur ; qui soit du pays et qui connaisse les passes. Il y aencore assez de nuit pour que le canot puisse s’éloigner de lacorvette sans être aperçu. Et puis, il va y avoir de la fumée quiachèvera de le cacher. Sa petitesse l’aidera à se tirer desbas-fonds. Où la panthère est prise, la belette échappe. Il n’y apas d’issue pour nous ; il y en a pour lui. Le canots’éloignera à force de rames ; les navires ennemis ne leverront pas ; et d’ailleurs pendant ce temps-là, nous ici,nous allons les amuser. Est-ce dit ?

– Oui ! oui ! oui ! crial’équipage.

– Il n’y a pas une minute à perdre, reprit lecapitaine.

Y a-t-il un homme de bonne volonté ?

Un matelot dans l’obscurité sortit des rangset dit :

– Moi.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer