Quatre vingt-treize

DE LA PORTE DE PIERRE À LA PORTE DEFER

 

Toute une armée éperdue autour d’un sauvetageimpossible ; quatre mille hommes ne pouvant secourir troisenfants ; telle était la situation.

On n’avait pas d’échelle en effet ;l’échelle envoyée de Javené n’était pas arrivée ;l’embrasement s’élargissait comme un cratère qui s’ouvre ;essayer de l’éteindre avec le ruisseau du ravin presque à sec étaitdérisoire ; autant jeter un verre d’eau sur un volcan.

Cimourdain, Guéchamp et Radoub étaientdescendus dans le ravin ; Gauvain était remonté dans la salledu deuxième étage de la Tourgue où étaient la pierre tournante,l’issue secrète et la porte de fer de la bibliothèque. C’est làqu’avait été la mèche soufrée allumée par l’Imânus ; c’étaitde là que l’incendie était parti.

Gauvain avait amené avec lui vingt sapeurs.Enfoncer la porte de fer, il n’y avait plus que cette ressource.Elle était effroyablement bien fermée.

On commença par des coups de hache. Les hachescassèrent. Un sapeur dit :

– L’acier est du verre sur ce fer-là.

La porte était en effet de fer battu, et faitede doubles lames boulonnées ayant chacune trois poucesd’épaisseur.

On prit des barres de fer et l’on essaya despesées sous la porte. Les barres de fer cassèrent.

– Comme des allumettes, dit le sapeur.

Gauvain, sombre, murmura :

– Il n’y a qu’un boulet qui ouvrirait cetteporte.

Il faudrait pouvoir monter ici une pièce decanon.

. – Et encore ! dit le sapeur.

Il y eut un moment d’accablement. Tous cesbras impuissants s’arrêtèrent. Muets, vaincus, consternés, ceshommes considéraient l’horrible porte inébranlable. Uneréverbération rouge passait par-dessous. Derrière, l’incendiecroissait.

L’affreux cadavre de l’Imânus était là,sinistre victorieux.

Encore quelques minutes peut-être, et toutallait s’effondrer.

Que faire ? Il n’y avait plusd’espérance.

Gauvain exaspéré s’écria, l’œil fixé sur lapierre tournante du mur et sur l’issue ouverte del’évasion :

– C’est pourtant par là que le marquis deLantenac s’en est allé !

– Et qu’il revient, dit une voix.

Et une tête blanche se dessina dansl’encadrement de pierre de l’issue secrète.

C’était le marquis.

Depuis bien des années Gauvain ne l’avait pasvu de si près. Il recula.

Tous ceux qui étaient là restèrent dansl’attitude où ils étaient, pétrifiés.

Le marquis avait une grosse clef à la main, ilrefoula d’un regard altier quelques-uns des sapeurs qui étaientdevant lui, marcha droit à la porte de fer, se courba sous la voûteet mit la clef dans la serrure. La serrure grinça, la portes’ouvrit, on vit un gouffre de flamme, le marquis y entra.

Il y entra d’un pied ferme, la tête haute.

Tous le suivaient des yeux, frissonnants.

À peine le marquis eut-il fait quelques pasdans la salle incendiée que le parquet miné par le feu et ébranlépar son talon s’effondra derrière lui et mit entre lui et la porteun précipice. Le marquis ne tourna pas la tête et continuad’avancer. Il disparut dans la fumée.

On ne vit plus rien.

Avait-il pu aller plus loin ? Unenouvelle fondrière de feu s’était-elle ouverte sous lui ?N’avait-il réussi qu’à se perdre lui-même ? On ne pouvait riendire. On n’avait devant soi qu’une muraille de fumée et de flamme.Le marquis était au delà, mort ou vivant.

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