Quatre vingt-treize

LIVRE VI – C’EST APRÈS LA VICTOIRE QU’ALIEU LE COMBAT

LANTENAC PRIS

 

C’était dans le sépulcre en effet que lemarquis était redescendu.

On l’emmena.

La crypte-oubliette du rez-de-chaussée de laTourgue fut immédiatement rouverte sous l’œil sévère deCimourdain ; on y mit une lampe, une cruche d’eau et un painde soldat, on y jeta une botte de paille, et, moins d’un quartd’heure après la minute où la main du prêtre avait saisi lemarquis, la porte du cachot se refermait sur Lantenac.

Cela fait, Cimourdain alla trouverGauvain ; en ce moment-là l’église lointaine de Parignésonnait onze heures du soir ; Cimourdain dit àGauvain :

– Je vais convoquer la cour martiale, tu n’enseras pas. Tu es Gauvain et Lantenac est Gauvain. Tu es trop procheparent pour être juge, et je blâme Égalité d’avoir jugé Capet. Lacour martiale sera composée de trois juges, un officier, lecapitaine Guéchamp, un sous-officier, le sergent Radoub, et moi,qui présiderai. Rien de tout cela ne te regarde plus. Nous nousconformerons au décret de la Convention ; nous nous borneronsà constater l’identité du ci-devant marquis de Lantenac. Demain lacour martiale, après-demain la guillotine. La Vendée est morte.

Gauvain ne répliqua pas une parole, etCimourdain, préoccupé de la chose suprême qui lui restait à faire,le quitta. Cimourdain avait des heures à désigner et desemplacements à choisir. Il avait comme Lequinio à Granville, commeTallien à Bordeaux, comme Châlier à Lyon, comme Saint-Just àStrasbourg, l’habitude, réputée de bon exemple, d’assister de sapersonne aux exécutions ; le juge venant voir travailler lebourreau ; usage emprunté par la Terreur de 93 aux parlementsde France et à l’inquisition d’Espagne.

Gauvain aussi était préoccupé.

Un vent froid soufflait de la forêt. Gauvain,laissant Guéchamp donner les ordres nécessaires, alla à sa tentequi était dans le pré de la lisière du bois, au pied de la Tourgue,et y prit son manteau à capuchon, dont il s’enveloppa. Ce manteauétait bordé de ce simple galon qui, selon la mode républicaine,sobre d’ornements, désignait le commandant en chef. Il se mit àmarcher dans ce pré sanglant où l’assaut avait commencé. Il étaitlà seul. L’incendie continuait, désormais dédaigné ; Radoubétait près des enfants et de la mère, presque aussi maternelqu’elle ; le châtelet du pont achevait de brûler, les sapeursfaisaient la part du feu, on creusait des fosses, on enterrait lesmorts, on pansait les blessés, on avait démoli la retirade, ondésencombrait de cadavres les chambres et les escaliers, onnettoyait le lieu du carnage, on balayait le tas d’ordures terriblede la victoire, les soldats faisaient, avec la rapidité militaire,ce qu’on pourrait appeler le ménage de la bataille finie. Gauvainne voyait rien de tout cela.

À peine jetait-il un regard, à travers sarêverie, au poste de la brèche doublé sur l’ordre deCimourdain.

Cette brèche, il la distinguait dansl’obscurité, à environ deux cents pas du coin de la prairie où ils’était comme réfugié. Il voyait cette ouverture noire. C’était parlà que l’attaque avait commencé, il y avait trois heures decela ; c’était par là que lui Gauvain avait pénétré dans latour ; c’était là le rez-de-chaussée où était laretirade ; c’était dans ce rez-de-chaussée que s’ouvrait laporte du cachot où était le marquis. Ce poste de la brèche gardaitce cachot.

En même temps que son regard apercevaitvaguement cette brèche, son oreille entendait confusément revenir,comme un glas qui tinte, ces paroles : Demain la courmartiale, après-demain la guillotine.

L’incendie, qu’on avait isolé et sur lequelles sapeurs lançaient toute l’eau qu’on avait pu se procurer, nes’éteignait pas sans résistance et jetait des flammesintermittentes ; on entendait par instants craquer lesplafonds et se précipiter l’un sur l’autre les étagescroulants ; alors des tourbillons d’étincelles s’envolaientcomme d’une torche secouée, une clarté d’éclair faisait visiblel’extrême horizon, et l’ombre de la Tourgue, subitementgigantesque, s’allongeait jusqu’à la forêt.

Gauvain allait et venait à pas lents danscette ombre et devant la brèche de l’assaut. Par moments ilcroisait ses deux mains derrière sa tête recouverte de son capuchonde guerre. Il songeait.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer