Quatre vingt-treize

LA COUR MARTIALE

 

Tout alors dans les cours martiales était àpeu près discrétionnaire. Dumas, à l’assemblée législative, avaitesquissé une ébauche de législation militaire, retravaillée plustard par Talot au conseil des Cinq-Cents, mais le code définitifdes conseils de guerre n’a été rédigé que sous l’empire. C’est del’empire que date, par parenthèse, l’obligation imposée auxtribunaux militaires de ne recueillir les votes qu’en commençantpar le grade inférieur. Sous la révolution cette loi n’existaitpas.

En 1793, le président d’un tribunal militaireétait presque à lui seul tout le tribunal ; il choisissait lesmembres, classait l’ordre des grades, réglait le mode duvote ; il était le maître en même temps que le juge.

Cimourdain avait désigné, pour prétoire de lacour martiale, cette salle même du rez-de-chaussée où avait été laretirade et où était maintenant le corps de garde. Il tenait à toutabréger, le chemin de la prison au tribunal et le trajet dutribunal à l’échafaud.

À midi, conformément à ses ordres, la courétait en séance avec l’apparat que voici : trois chaises depaille, une table de sapin, deux chandelles allumées, un tabouretdevant la table.

Les chaises étaient pour les juges et letabouret pour l’accusé. Aux deux bouts de la table il y avait deuxautres tabourets, l’un pour le commissaire-auditeur qui était unfourrier, l’autre pour le greffier qui était un caporal.

Il y avait sur la table un bâton de cirerouge, le sceau de la République en cuivre, deux écritoires, desdossiers de papier blanc, et deux affiches imprimées, étaléestoutes grandes ouvertes, contenant l’une, la mise hors la loi,l’autre, le décret de la Convention.

La chaise du milieu était adossée à unfaisceau de drapeaux tricolores ; dans ces temps de rudesimplicité, un décor était vite posé, et il fallait peu de tempspour changer un corps de garde en cour de justice.

La chaise du milieu, destinée au président,faisait face à la porte du cachot.

Pour public, les soldats.

Deux gendarmes gardaient la sellette.

Cimourdain était assis sur la chaise dumilieu, ayant à sa droite le capitaine Guéchamp, premier juge, et àsa gauche le sergent Radoub, deuxième juge.

Il avait sur la tête son chapeau à panachetricolore, à son côté son sabre, dans sa ceinture ses deuxpistolets. Sa balafre, qui était d’un rouge vif, ajoutait à son airfarouche.

Radoub avait fini par se faire panser. Ilavait autour de la tête un mouchoir sur lequel s’élargissaitlentement une plaque de sang.

À midi, l’audience n’était pas encore ouverte,une estafette, dont on entendait dehors piaffer le cheval, étaitdebout près de la table du tribunal. Cimourdain écrivait. Ilécrivait ceci :

« Citoyens membres du Comité de salutpublic.

« Lantenac est pris. Il sera exécutédemain. »

Il data et signa, plia et cacheta la dépêche,et la remit à l’estafette, qui partit.

Cela fait, Cimourdain dit d’une voixhaute :

– Ouvrez le cachot.

Les deux gendarmes tirèrent les verrous,ouvrirent le cachot, et y entrèrent.

Cimourdain leva la tête, croisa les bras,regarda la porte, et cria :

– Amenez le prisonnier.

Un homme apparut entre les deux gendarmes,sous le cintre de la porte ouverte.

C’était Gauvain.

Cimourdain eut un tressaillement.

– Gauvain ! s’écria-t-il.

Et il reprit :

– Je demande le prisonnier.

– C’est moi, dit Gauvain.

– Toi ?

– Moi.

– Et Lantenac ?

– Il est libre.

– Libre !

– Oui.

– Évadé ?

– Évadé.

Cimourdain balbutia avec untremblement :

– En effet, ce château est à lui, il enconnaît toutes les issues, l’oubliette communique peut-être àquelque sortie, j’aurais dû y songer, il aura trouvé moyen des’enfuir, il n’aura eu besoin pour cela de l’aide de personne.

– Il a été aidé, dit Gauvain.

– À s’évader ?

– À s’évader.

– Qui l’a aidé ?

– Moi.

– Toi !

– Moi.

– Tu rêves !

– Je suis entré dans le cachot, j’étais seulavec le prisonnier, j’ai ôté mon manteau, je le lui ai mis sur ledos, je lui ai rabattu le capuchon sur le visage, il est sorti à maplace et je suis resté à la sienne. Me voici.

– Tu n’as pas fait cela !

– Je l’ai fait.

– C’est impossible.

– C’est réel.

– Amenez-moi Lantenac !

– Il n’est plus ici. Les soldats, lui voyantle manteau de commandant, l’ont pris pour moi et l’ont laissépasser. Il faisait encore nuit.

– Tu es fou.

– Je dis ce qui est.

Il y eut un silence. Cimourdainbégaya :

– Alors tu mérites…

– La mort, dit Gauvain.

Cimourdain était pâle comme une tête coupée.Il était immobile comme un homme sur qui vient de tomber la foudre.Il semblait ne plus respirer. Une grosse goutte de sueur perla surson front.

Il raffermit sa voix et dit :

– Gendarmes, faites asseoir l’accusé.

Gauvain se plaça sur le tabouret.

Cimourdain reprit :

– Gendarmes, tirez vos sabres.

C’était la formule usitée quand l’accusé étaitsous le poids d’une sentence capitale.

Les gendarmes tirèrent leurs sabres.

La voix de Cimourdain avait repris son accentordinaire.

– Accusé, dit-il, levez-vous.

Il ne tutoyait plus Gauvain.

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