Quatre vingt-treize

APRÈS CIMOURDAIN JUGE, CIMOURDAINMAÎTRE

 

Un camp, c’est un guêpier. En temps derévolution surtout. L’aiguillon civique, qui est dans le soldat,sort volontiers et vite, et ne se gêne pas pour piquer le chefaprès avoir chassé l’ennemi. La vaillante troupe qui avait pris laTourgue eut des bourdonnements variés, d’abord contre le commandantGauvain quand on apprit l’évasion de Lantenac. Lorsqu’on vitGauvain sortir du cachot où l’on croyait tenir Lantenac, ce futcomme une commotion électrique, et en moins d’une minute tout lecorps fut informé. Un murmure éclata dans la petite armée, cepremier murmure fut : – Ils sont en train de juger Gauvain.Mais c’est pour la frime. Fiez-vous donc aux ci-devant et auxcalotins ! Nous venons de voir un vicomte qui sauve unmarquis, et nous allons voir un prêtre qui absout unnoble !

– Quand on sut la condamnation de Gauvain, ily eut un deuxième murmure : – Voilà qui est fort ! notrechef, notre brave chef, notre jeune commandant, un héros !C’est un vicomte, eh bien, il n’en a que plus de mérite à êtrerépublicain ! comment ! lui, le libérateur de Pontorson,de Villedieu, de Pont-au-Beau ! le vainqueur de Dol et de laTourgue ! celui par qui nous sommes invincibles ! celuiqui est l’épée de la république dans la Vendée ! l’homme quidepuis cinq mois tient tête aux chouans et répare toutes lessottises de Léchelle et des autres ! ce Cimourdain ose lecondamner à mort ! pourquoi ? parce qu’il a sauvé unvieillard qui avait sauvé trois enfants ! un prêtre tuer unsoldat !

Ainsi grondait le camp victorieux etmécontent. Une sombre colère entourait Cimourdain. Quatre millehommes contre un seul, il semble que ce soit une force ; cen’en est pas une. Ces quatre mille hommes étaient une foule, etCimourdain était une volonté. On savait que Cimourdain fronçaitaisément le sourcil, et il n’en fallait pas davantage pour tenirl’armée en respect. Dans ces temps sévères, il suffisait quel’ombre du Comité de salut public fût derrière un homme pour fairecet homme redoutable et pour faire aboutir l’imprécation auchuchotement et le chuchotement au silence. Avant comme après lesmurmures, Cimourdain restait l’arbitre du sort de Gauvain comme dusort de tous. On savait qu’il n’y avait rien à lui demander etqu’il n’obéirait qu’à sa conscience, voix surhumaine entendue delui seul. Tout dépendait de lui. Ce qu’il avait fait comme jugemartial, seul, il pouvait le défaire comme délégué civil. Seul ilpouvait faire grâce. Il avait pleins pouvoirs ; d’un signe ilpouvait mettre Gauvain en liberté ; il était le maître de lavie et de la mort ; il commandait à la guillotine. En cemoment tragique, il était l’homme suprême.

On ne pouvait qu’attendre.

La nuit vint.

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