Quatre vingt-treize

LE CAPUCHON DU CHEF

 

C’est au devoir en effet qu’on avaitaffaire.

Le devoir se dressait ; sinistre devantCimourdain, formidable devant Gauvain.

Simple devant l’un ; multiple, divers,tortueux, devant l’autre. Minuit sonna, puis une heure dumatin.

Gauvain s’était, sans s’en apercevoir,insensiblement rapproché de l’entrée de la brèche.

L’incendie ne jetait plus qu’une réverbérationdiffuse et s’éteignait.

Le plateau, de l’autre côté de la tour, enavait le reflet, et devenait visible par instants, puiss’éclipsait, quand la fumée couvrait le feu. Cette lueur, ravivéepar soubresauts et coupée d’obscurités subites, disproportionnaitles objets et donnait aux sentinelles du camp des aspects delarves. Gauvain, à travers sa méditation, considérait vaguement ceseffacements de la fumée par le flamboiement et du flamboiement parla fumée. Ces apparitions et ces disparitions de la clarté devantses yeux avaient on ne sait quelle analogie avec les apparitions etles disparitions de la vérité dans son esprit.

Soudain, entre deux tourbillons de fumée uneflammèche envolée du brasier décroissant éclaira vivement le sommetdu plateau et y fit saillir la silhouette vermeille d’unecharrette. Gauvain regarda cette charrette ; elle étaitentourée de cavaliers qui avaient des chapeaux de gendarme. Il luisembla que c’était la charrette que la longue-vue de Guéchamp luiavait fait voir à l’horizon, quelques heures auparavant, au momentoù le soleil se couchait. Des hommes étaient sur la charrette etavaient l’air occupés à la décharger. Ce qu’ils retiraient de lacharrette paraissait pesant, et rendait par moments un son deferraille ; il eût été difficile de dire ce que c’était ;cela ressemblait à des charpentes ; deux d’entre euxdescendirent et posèrent à terre une caisse qui, à en juger par saforme, devait contenir un objet triangulaire. La flammèches’éteignit, tout rentra dans les ténèbres ; Gauvain, l’œilfixe, demeura pensif devant ce qu’il y avait là dansl’obscurité.

Des lanternes s’étaient allumées, on allait etvenait sur le plateau, mais les formes qui se mouvaient étaientconfuses, et d’ailleurs Gauvain d’en bas, et de l’autre côté duravin, ne pouvait voir que ce qui était tout à fait sur le bord duplateau.

Des voix parlaient, mais on ne percevait pasles paroles. Çà et là, des chocs sonnaient sur du bois. Onentendait aussi on ne sait quel grincement métallique pareil aubruit d’une faulx qu’on aiguise.

Deux heures sonnèrent.

Gauvain lentement, et comme quelqu’un quiferait volontiers deux pas en avant et trois pas en arrière, sedirigea vers la brèche. À son approche, reconnaissant dans lapénombre le manteau et le capuchon galonné du commandant, lasentinelle présenta les armes. Gauvain pénétra dans la salle durez-de-chaussée, transformée en corps de garde. Une lanterne étaitpendue à la voûte. Elle éclairait juste assez pour qu’on pûttraverser la salle sans marcher sur les hommes du poste, gisant àterre sur de la paille, et la plupart endormis.

Ils étaient couchés là ; ils s’y étaientbattus quelques heures auparavant ; la mitraille, éparse souseux en grains de fer et de plomb, et mal balayée, les gênait un peupour dormir ; mais ils étaient fatigués, et ils se reposaient.Cette salle avait été le lieu horrible ; là on avaitattaqué ; là on avait rugi, hurlé, grincé, frappé, tué,expiré ; beaucoup des leurs étaient tombés morts sur ce pavéoù ils se couchaient assoupis ; cette paille qui servait àleur sommeil buvait le sang de leurs camarades ; maintenantc’était fini, le sang était étanché, les sabres étaient essuyés,les morts étaient morts ; eux ils dormaient paisibles. Telleest la guerre. Et puis, demain, tout le monde aura le mêmesommeil.

À l’entrée de Gauvain, quelques-uns de ceshommes assoupis se levèrent, entre autres l’officier qui commandaitle poste. Gauvain lui désigna la porte du cachot :

– Ouvrez-moi, dit-il.

Les verrous furent tirés, la portes’ouvrit.

Gauvain entra dans le cachot.

La porte se referma derrière lui.

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