Quatre vingt-treize

L’IMANUS AUSSI S’ÉVADE

 

En cet instant-là, un grand bruit se fit, lecoffre violemment poussé s’effondra, et livra passage à un hommequi se rua dans la salle, le sabre à la main.

– C’est moi, Radoub ; qui en veut ?Ça m’ennuie d’attendre. Je me risque. C’est égal, je viens toujoursd’en éventrer un. Maintenant je vous attaque tous. Qu’on me suiveou qu’on ne me suive pas, me voilà. Combien êtes-vous ?

C’était Radoub, en effet, et il était seul.Après le massacre que l’Imânus venait de faire dans l’escalier,Gauvain, redoutant quelque fougasse masquée, avait fait replier seshommes et se concertait avec Cimourdain.

Radoub, le sabre à la main sur le seuil, danscette obscurité où la torche presque éteinte jetait à peine unelueur, répéta sa question :

– Je suis un. Combien êtes-vous ?

N’entendant rien, il avança. Un de ces jets declarté qu’exhalent par instants les foyers agonisants et qu’onpourrait appeler des sanglots de lumière, jaillit de la torche etillumina toute la salle.

Radoub avisa un des petits miroirs accrochésau mur, s’en approcha, regarda sa face ensanglantée et son oreillependante, et dit :

– Démantibulage hideux.

Puis il se retourna, stupéfait de voir lasalle vide.

– Il n’y a personne ! s’écria-t-il. Zérod’effectif.

Il aperçut la pierre qui avait tourné,l’ouverture et l’escalier.

– Ah ! je comprends. Clef des champs.Venez donc tous ! camarades, venez ! ils s’en sont allés.Ils ont filé, fusé, fouiné, fichu le camp. Cette cruche de vieilletour était fêlée. Voici le trou par où ils ont passé,canailles ! Comment veut-on qu’on vienne à bout de Pitt etCobourg avec des farces comme ça ! C’est le bon Dieu du diablequi est venu à leur secours ! Il n’y a pluspersonne !

Un coup de pistolet partit, une balle luieffleura le coude et s’aplatit contre le mur.

– Mais si ! il y a quelqu’un. Qui est-cequi a la bonté de me faire cette politesse ?

– Moi, dit une voix.

Radoub avança la tête et distingua dans leclair-obscur quelque chose qui était l’Imânus.

– Ah ! cria-t-il. J’en tiens un. Lesautres se sont échappés, mais toi, tu n’échapperas pas.

– Crois-tu ? répondit l’Imânus.

Radoub fit un pas et s’arrêta.

– Hé, l’homme qui es par terre, quies-tu ?

– Je suis celui qui est par terre et qui semoque de ceux qui sont debout.

– Qu’est-ce que tu as dans ta maindroite ?

– Un pistolet.

– Et dans ta main gauche ?

– Mes boyaux.

– Je te fais prisonnier.

– Je t’en défie.

Et l’Imânus, se penchant sur la mèche encombustion, soufflant son dernier soupir sur l’incendie,expira.

Quelques instants après, Gauvain etCimourdain, et tous, étaient dans la salle. Tous virentl’ouverture. On fouilla les recoins, on sonda l’escalier ; ilaboutissait à une sortie dans le ravin. On constata l’évasion. Onsecoua l’Imânus, il était mort. Gauvain, une lanterne à la main,examina la pierre qui avait donné issue aux assiégés ; ilavait entendu parler de cette pierre tournante, mais lui aussitenait cette légende pour une fable. Tout en considérant la pierre,il aperçut quelque chose qui était écrit au crayon ; ilapprocha la lanterne et lut ceci :

–Au revoir, monsieur le vicomte. –

LANTENAC.

Guéchamp avait rejoint Gauvain. La poursuiteétait évidemment inutile, la fuite était consommée et complète, lesévadés avaient pour eux tout le pays, le buisson, le ravin, letaillis, l’habitant ; ils étaient sans doute déjà bienloin ; nul moyen de les retrouver ; et la forêt deFougères tout entière était une immense cachette. Que faire ?Tout était à recommencer. Gauvain et Guéchamp échangeaient leursdésappointements et leurs conjectures.

Cimourdain écoutait, grave, sans dire uneparole.

– À propos, Guéchamp, dit Gauvain, etl’échelle ?

– Commandant, elle n’est pas arrivée.

– Mais pourtant nous avons vu venir unevoiture escortée par des gendarmes.

Guéchamp répondit :

– Elle n’apportait pas l’échelle.

– Qu’est-ce donc qu’elle apportait ?

– La guillotine, dit Cimourdain.

Auteurs::

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer