Quatre vingt-treize

III

 

En ce moment-là, René-Jean, satisfait durésultat de ses observations sur le cloporte, relevait la tête etdisait :

– C’est une femelle.

Le rire de Georgette fit rire René-Jean, et lerire de René-Jean fit rire Gros-Alain.

Georgette opéra sa jonction avec ses frères,et cela fit un petit cénacle assis par terre.

Mais le cloporte avait disparu.

Il avait profité du rire de Georgette pour sefourrer dans un trou du plancher.

D’autres événements suivirent le cloporte.

D’abord, des hirondelles passèrent.

Leurs nids étaient probablement sous le reborddu toit. Elles vinrent voler tout près de la fenêtre, un peuinquiètes des enfants, décrivant de grands cercles dans l’air, etpoussant leur doux cri du printemps. Cela fit lever les yeux auxtrois enfants et le cloporte fut oublié.

Georgette braqua son doigt sur les hirondelleset cria : – Coco !

René-Jean la réprimanda.

– Mamoiselle, on ne dit pas des cocos, on ditdes oseaux.

– Zozo, dit Georgette.

Et tous les trois regardèrent leshirondelles.

Puis une abeille entra.

Rien ne ressemble à une âme comme une abeille.Elle va de fleur en fleur comme une âme d’étoile en étoile, et ellerapporte le miel comme l’âme rapporte la lumière.

Celle-ci fit grand bruit en entrant, ellebourdonnait à voix haute, et elle avait l’air de dire :J’arrive, je viens de voir les roses, maintenant je viens voir lesenfants. Qu’est-ce qui se passe ici ?

Une abeille, c’est une ménagère, et celagronde en chantant.

Tant que l’abeille fut là, les trois petits nela quittèrent pas des yeux.

L’abeille explora toute la bibliothèque,fureta les recoins, voleta ayant l’air d’être chez elle et dans uneruche, et rôda, ailée et mélodieuse, d’armoire en armoire,regardant à travers les vitres les titres des livres, comme si elleeût été un esprit.

Sa visite faite, elle partit.

– Elle va dans sa maison, dit René-Jean.

– C’est une bête, dit Gros-Alain.

– Non, repartit René-Jean, c’est unemouche.

– Muche, dit Georgette.

Là-dessus, Gros-Alain, qui venait de trouver àterre une ficelle à l’extrémité de laquelle il y avait un nœud,prit entre son pouce et son index le bout opposé au nœud, fit de laficelle une sorte de moulinet, et la regarda tourner avec uneattention profonde.

De son côté, Georgette, redevenue quadrupèdeet ayant repris son va-et-vient capricieux sur le plancher, avaitdécouvert un vénérable fauteuil de tapisserie mangé des vers dontle crin sortait par plusieurs trous. Elle s’était arrêtée à cefauteuil. Elle élargissait les trous et tirait le crin avecrecueillement.

Brusquement, elle leva un doigt, ce quivoulait dire : – Écoutez.

Les deux frères tournèrent la tête.

Un fracas vague et lointain s’entendait audehors ; c’était probablement le camp d’attaque qui exécutaitquelque mouvement stratégique dans la forêt ; des chevauxhennissaient, des tambours battaient, des caissons roulaient, deschaînes s’entre-heurtaient, des sonneries militaires s’appelaientet se répondaient, confusion de bruits farouches qui en se mêlantdevenaient une sorte d’harmonie ; les enfants écoutaient,charmés.

– C’est le mondieu qui fait ça, ditRené-Jean.

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