Quatre vingt-treize

DOLOROSA

 

Cependant la mère cherchait ses petits.

Elle allait devant elle. Commentvivait-elle ? Impossible de le dire. Elle ne le savait paselle-même. Elle marcha des jours et des nuits ; elle mendia,elle mangea de l’herbe, elle coucha à terre, elle dormit en pleinair, dans les broussailles, sous les étoiles, quelquefois sous lapluie et la bise.

Elle rôdait de village en village, de métairieen métairie, s’informant. Elle s’arrêtait aux seuils. Sa robe étaiten haillons. Quelquefois on l’accueillait, quelquefois on lachassait. Quand elle ne pouvait entrer dans les maisons, elleallait dans les bois.

Elle ne connaissait pas le pays, elle ignoraittout, excepté Siscoignard et la paroisse d’Azé, elle n’avait pointd’itinéraire, elle revenait sur ses pas, recommençait une routedéjà parcourue, faisait du chemin inutile. Elle suivait tantôt lepavé, tantôt l’ornière d’une charrette, tantôt les sentiers dansles taillis. À cette vie au hasard, elle avait usé ses misérablesvêtements. Elle avait marché d’abord avec ses souliers, puis avecses pieds nus, puis avec ses pieds sanglants.

Elle allait à travers la guerre, à travers lescoups de fusil, sans rien entendre, sans rien voir, sans rienéviter, cherchant ses enfants. Tout étant en révolte, il n’y avaitplus de gendarmes, plus de maires, plus d’autorité. Elle n’avaitaffaire qu’aux passants.

Elle leur parlait. Elle demandait :

– Avez-vous vu quelque part trois petitsenfants ?

Les passants levaient la tête.

– Deux garçons et une fille, disait-elle.

Elle continuait :

– René-Jean, Gros-Alain, Georgette ? Vousn’avez pas vu ça ?

Elle poursuivait :

– L’aîné a quatre ans et demi, la petite avingt mois.

Elle ajoutait :

– Savez-vous où ils sont ? on me les apris.

On la regardait et c’était tout.

Voyant qu’on ne la comprenait pas, elledisait :

– C’est qu’ils sont à moi. Voilà pourquoi.

Les gens passaient leur chemin. Alors elles’arrêtait et ne disait plus rien, et se déchirait le sein avec lesongles.

Un jour pourtant un paysan l’écouta. Lebonhomme se mit à réfléchir.

– Attendez donc, dit-il. Troisenfants ?

– Oui.

– Deux garçons ?

– Et une fille.

– C’est ça que vous cherchez ?

– Oui.

– J’ai ouï parler d’un seigneur qui avait pristrois petits enfants et qui les avait avec lui.

– Où est cet homme ? cria-t-elle. Oùsont-ils ?

Le paysan répondit :

– Allez à la Tourgue.

– Est-ce que c’est là que je trouverai mesenfants ?

– Peut-être bien que oui.

– Vous dites ?…

– La Tourgue.

– Qu’est-ce que c’est que laTourgue ?

– C’est un endroit.

– Est-ce un village ? un château ?une métairie ?

– Je n’y suis jamais allé.

– Est-ce loin ?

– Ce n’est pas près.

– De quel côté ?

– Du côté de Fougères.

– Par où y va-t-on ?

– Vous êtes à Ventortes, dit le paysan, vouslaisserez Ernée à gauche et Coxelles à droite, vous passerez parLorchamps et vous traverserez le Leroux.

Et le paysan leva sa main vers l’occident.

– Toujours devant vous en allant du côté où lesoleil se couche.

Avant que le paysan eût baissé son bras, elleétait en marche.

Le paysan lui cria :

– Mais prenez garde. On se bat par là.

Elle ne se retourna point pour lui répondre,et continua d’aller en avant.

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