Quatre vingt-treize

LE SAUVETAGE S’ÉBAUCHE

 

Toute la nuit se passa de part et d’autre enpréparatifs.

Sitôt le sombre pourparler qu’on vientd’entendre terminé, le premier soin de Gauvain fut d’appeler sonlieutenant.

Guéchamp, qu’il faut un peu connaître, étaitun homme de second plan, honnête, intrépide, médiocre, meilleursoldat que chef, rigoureusement intelligent jusqu’au point où c’estle devoir de ne plus comprendre, jamais attendri, inaccessible à lacorruption, quelle qu’elle fût, aussi bien à la vénalité quicorrompt la conscience qu’à la pitié qui corrompt la justice. Ilavait sur l’âme et sur le cœur ces deux abat-jour, la discipline etla consigne, comme un cheval a ses garde-vue sur les deux yeux, etil marchait devant lui dans l’espace que cela lui laissait libre.Son pas était droit, mais sa route était étroite.

Du reste, homme sûr ; rigide dans lecommandement, exact dans l’obéissance.

Gauvain adressa vivement la parole àGuéchamp.

– Guéchamp, une échelle.

– Mon commandant, nous n’en avons pas.

– Il faut en avoir une.

– Pour escalade ?

– Non. Pour sauvetage.

Guéchamp réfléchit et répondit :

– Je comprends. Mais pour ce que vous voulez,il la faut très haute.

– D’au moins trois étages.

– Oui, mon commandant, c’est à peu près lahauteur.

– Et il faut dépasser cette hauteur, car ilfaut être sûr de réussir.

– Sans doute.

– Comment se fait-il que vous n’ayez pasd’échelle ?

– Mon commandant, vous n’avez pas jugé àpropos d’assiéger la Tourgue par le plateau ; vous vous êtescontenté de la bloquer de ce côté-là ; vous avez vouluattaquer, non par le pont, mais par la tour. On ne s’est plusoccupé que de la mine, et l’on a renoncé à l’escalade. C’estpourquoi nous n’avons pas d’échelles.

– Faites-en faire une sur-le-champ.

– Une échelle de trois étages ne s’improvisepas.

– Faites ajouter bout à bout plusieurséchelles courtes.

– Il faut en avoir.

– Trouvez-en.

– On n’en trouvera pas. Partout les paysansdétruisent les échelles, de même qu’ils démontent les charrettes etqu’ils coupent les ponts.

– Ils veulent paralyser la république, c’estvrai.

– Ils veulent que nous ne puissions ni traînerun charroi, ni passer une rivière, ni escalader un mur.

– Il me faut une échelle, pourtant.

– J’y songe, mon commandant, il y a à Javené,près de Fougères, une grande charpenterie. On peut en avoir unelà.

– Il n’y a pas une minute à perdre.

– Quand voulez-vous avoir l’échelle ?

– Demain, à pareille heure, au plus tard.

– Je vais envoyer à Javené un exprès àfranc-étrier. Il portera l’ordre de réquisition. Il y a à Javené unposte de cavalerie qui fournira l’escorte. L’échelle pourra êtreici demain avant le coucher du soleil.

– C’est bien, cela suffira, dit Gauvain,faites vite. Allez.

Dix minutes après, Guéchamp revint et dit àGauvain :

– Mon commandant, l’exprès est parti pourJavené.

Gauvain monta sur le plateau et demeuralongtemps l’œil fixé sur le pont-châtelet qui était en travers duravin. Le pignon du châtelet, sans autre baie que la basse entréefermée par le pont-levis dressé, faisait face à l’escarpement duravin. Pour arriver du plateau au pied des piles du pont, ilfallait descendre le long de cet escarpement, ce qui n’était pasimpossible, de broussaille en broussaille. Mais une fois dans lefossé, l’assaillant serait exposé à tous les projectiles pouvantpleuvoir des trois étages. Gauvain acheva de se convaincre qu’aupoint où le siège en était, la véritable attaque était par labrèche de la tour.

Il prit toutes ses mesures pour qu’aucunefuite ne fût possible ; il compléta l’étroit blocus de laTourgue ; il resserra les mailles de ses bataillons de façonque rien ne pût passer au travers. Gauvain et Cimourdain separtagèrent l’investissement de la forteresse ; Gauvain seréserva le côté de la forêt et donna à Cimourdain le côté duplateau. Il fut convenu que, tandis que Gauvain, secondé parGuéchamp, conduirait l’assaut par la sape, Cimourdain, toutes lesmèches de la batterie haute allumées, observerait le pont et leravin.

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