Quatre vingt-treize

VII

 

Telle fut la deuxième mise à mort de saintBarthélemy qui avait déjà été une première fois martyr l’an 49 deJésus-Christ.

Cependant le soir venait, la chaleuraugmentait, la sieste était dans l’air, les yeux de Georgettedevenaient vagues, René-Jean alla à son berceau, en tira le sac depaille qui lui tenait lieu de matelas, le traîna jusqu’à lafenêtre, s’allongea dessus et dit : – Couchons-nous.Gros-Alain mit sa tête sur René-Jean, Georgette mit sa tête surGros-Alain, et les trois malfaiteurs s’endormirent.

Les souffles tièdes entraient par les fenêtresouvertes ; des parfums de fleurs sauvages, envolés des ravinset des collines, erraient mêlés aux haleines du soir ;l’espace était calme et miséricordieux ; tout rayonnait, touts’apaisait, tout aimait tout ; le soleil donnait à la créationcette caresse, la lumière ; on percevait par tous les poresl’harmonie qui se dégage de la douceur colossale des choses ;il y avait de la maternité dans l’infini ; la création est unprodige en plein épanouissement, elle complète son énormité par sabonté ; il semblait que l’on sentît quelqu’un d’invisibleprendre ces mystérieuses précautions qui dans le redoutable conflitdes êtres protègent les chétifs contre les forts ; en mêmetemps, c’était beau ; la splendeur égalait la mansuétude. Lepaysage, ineffablement assoupi, avait cette moire magnifique quefont sur les prairies et sur les rivières les déplacements del’ombre et de la clarté ; les fumées montaient vers lesnuages, comme des rêveries vers des visions ; des volsd’oiseaux tourbillonnaient au-dessus de la Tourgue ; leshirondelles regardaient par les croisées, et avaient l’air de venirvoir si les enfants dormaient bien. Ils étaient gracieusementgroupés l’un sur l’autre, immobiles, demi-nus, dans des posesd’amours ; ils étaient adorables et purs, à eux trois ilsn’avaient pas neuf ans, ils faisaient des songes de paradis qui sereflétaient sur leurs bouches en vagues sourires, Dieu leur parlaitpeut-être à l’oreille, ils étaient ceux que toutes les langueshumaines appellent les faibles et les bénis, ils étaient lesinnocents vénérables ; tout faisait silence comme si lesouffle de leurs douces poitrines était l’affaire de l’univers etétait écouté de la création entière, les feuilles ne bruissaientpas, les herbes ne frissonnaient pas ; il semblait que levaste monde étoilé retînt sa respiration pour ne point troubler cestrois humbles dormeurs angéliques, et rien n’était sublime commel’immense respect de la nature autour de cette petitesse.

Le soleil allait se coucher et touchaitpresque à l’horizon. Tout à coup, dans cette paix profonde, éclataun éclair qui sortit de la forêt, puis un bruit farouche. On venaitde tirer un coup de canon. Les échos s’emparèrent de ce bruit et enfirent un fracas. Le grondement prolongé de colline en colline futmonstrueux. Il réveilla Georgette.

Elle souleva un peu sa tête, dressa son petitdoigt, écouta et dit :

– Poum !

Le bruit cessa, tout rentra dans le silence,Georgette remit sa tête sur Gros-Alain, et se rendormit.

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