Quatre vingt-treize

MARAT DANS LA COULISSE

 

Comme il l’avait annoncé à Simonne Évrard,Marat, le lendemain de la rencontre de la rue du Paon, alla à laConvention.

Il y avait à la Convention un marquismaratiste, Louis de Montaut, celui qui plus tard offrit à laConvention une pendule décimale surmontée du buste de Marat.

Au moment où Marat entrait, Chabot venait des’approcher de Montaut.

– Ci-devant… dit-il.

Montaut leva les yeux.

– Pourquoi m’appelles-tu ci-devant ?

– Parce que tu l’es.

– Moi ?

– Puisque tu étais marquis.

– Jamais.

– Bah !

– Mon père était soldat, mon grand-père étaittisserand.

– Qu’est-ce que tu nous chantes là,Montaut ?

– Je ne m’appelle pas Montaut.

– Comment donc t’appelles-tu ?

– Je m’appelle Maribon.

– Au fait, dit Chabot, cela m’est égal.

Et il ajouta entre ses dents :

– C’est à qui ne sera pas marquis.

Marat s’était arrêté dans le couloir de gaucheet regardait Montaut et Chabot.

Toutes les fois que Marat entrait, il y avaitune rumeur ; mais loin de lui. Autour de lui on se taisait.Marat n’y prenait pas garde. Il dédaignait le « coassement dumarais ».

Dans la pénombre des bancs obscurs d’en bas,Conpé de l’Oise, Prunelle, Villars, évêque, qui plus tard futmembre de l’Académie française, Boutroue, Petit, Plaichard, Bonet,Thibaudeau, Valdruche, se le montraient du doigt.

– Tiens, Marat !

– Il n’est donc pas malade ?

– Si, puisqu’il est en robe de chambre.

– En robe de chambre ?

– Pardieu oui !

– Il se permet tout !

– Il ose venir ainsi à laConvention !

– Puisqu’un jour il y est venu coiffé delauriers, il peut bien y venir en robe de chambre !

– Face de cuivre et dents de vert-de-gris.

– Sa robe de chambre paraît neuve.

– En quoi est-elle ?

– En reps.

– Rayé.

– Regardez donc les revers.

– Ils sont en peau.

– De tigre.

– Non, d’hermine.

– Fausse.

– Et il a des bas !

– C’est étrange.

– Et des souliers à boucles.

– D’argent !

– Voilà ce que les sabots de Camboulas ne luipardonneront pas.

Sur d’autres bancs on affectait de ne pas voirMarat. On causait d’autre chose. Santhonax abordait Dussaulx.

– Vous savez, Dussaulx ?

– Quoi ?

– Le ci-devant comte de Brienne ?

– Qui était à la Force avec le ci-devant ducde Villeroy ?

– Oui.

– Je les ai connus tous les deux. Ehbien ?

– Ils avaient si grand’peur qu’ils saluaienttous les bonnets rouges de tous les guichetiers, et qu’un jour ilsont refusé de jouer une partie de piquet parce qu’on leurprésentait un jeu de cartes à rois et à reines.

– Eh bien ?

– On les a guillotinés hier.

– Tous les deux ?

– Tous les deux.

– En somme, comment avaient-ils été dans laprison ?

– Lâches.

– Et comment ont-ils été surl’échafaud ?

– Intrépides.

Et Dussaulx jetait cetteexclamation :

– Mourir est plus facile que vivre.

Barère était en train de lire unrapport : il s’agissait de la Vendée. Neuf cents hommes duMorbihan étaient partis avec du canon pour secourir Nantes. Redonétait menacé par les paysans. Paimbœuf était attaqué. Une stationnavale croisait à Maindrin pour empêcher les descentes. DepuisIngrande jusqu’à Maure, toute la rive gauche de la Loire étaithérissée de batteries royalistes. Trois mille paysans étaientmaîtres de Pornic. Ils criaient Vivent les Anglais !Une lettre de Santerre à la Convention, que Barère lisait, seterminait ainsi : « Sept mille paysans ont attaquéVannes. Nous les avons repoussés, et ils ont laissé dans nos mainsquatre canons… »

– Et combien de prisonniers ? interrompitune voix.

Barère continua… – Post-scriptum de lalettre : « Nous n’avons pas de prisonniers, parce quenous n’en faisons plus. » Marat toujours immobile n’écoutaitpas, il était comme absorbé par une préoccupation sévère.

Il tenait dans sa main et froissait entre sesdoigts un papier sur lequel quelqu’un qui l’eût déplié eût pu lireces lignes, qui étaient de l’écriture de Momoro et qui étaientprobablement une réponse à une question posée par Marat :

« – Il n’y a rien à faire contrel’omnipotence des commissaires délégués, surtout contre lesdélégués du Comité de salut public. Génissieux a eu beau dire dansla séance du 6 mai : » Chaque commissaire est plusqu’un roi «, cela n’y fait rien. Ils ont pouvoir de vie et demort. Massade à Angers, Trullard à Saint-Amand, Nyon près dugénéral Marcé, Parrein à l’armée des Sables, Millier à l’armée deNiort, sont tout-puissants. Le club des Jacobins a été jusqu’ànommer Parrein général de brigade. Les circonstances absolventtout. Un délégué du Comité de salut public tient en échec ungénéral en chef. »

Marat acheva de froisser le papier, le mitdans sa poche et s’avança lentement vers Montaut et Chabot quicontinuaient à causer et ne l’avaient pas vu entrer.

Chabot disait :

– Maribon ou Montaut, écoute ceci : jesors du Comité de salut public.

– Et qu’y fait-on ?

– On y donne un noble à garder à unprêtre.

– Ah !

– Un noble comme toi…

– Je ne suis pas noble, dit Montaut.

– À un prêtre…

– Comme toi.

– Je ne suis pas prêtre, dit Chabot.

Tous deux se mirent à rire.

– Précise l’anecdote, repartit Montaut.

– Voici ce que c’est. Un prêtre appeléCimourdain est délégué avec pleins pouvoirs près d’un vicomte nomméGauvain ; ce vicomte commande la colonne expéditionnaire del’armée des Côtes. Il s’agit d’empêcher le noble de tricher et leprêtre de trahir.

– C’est bien simple, répondit Montaut. Il n’ya qu’à mettre la mort dans l’aventure.

– Je viens pour cela, dit Marat.

Ils levèrent la tête.

– Bonjour, Marat, dit Chabot, tu assistesrarement à nos séances.

– Mon médecin me commande les bains, réponditMarat.

– Il faut se défier des bains, repritChabot ; Sénèque est mort dans un bain.

Marat sourit :

– Chabot, il n’y a pas ici de Néron.

– Il y a toi, dit une voix rude.

C’était Danton qui passait et qui montait àson banc.

Marat ne se retourna pas.

Il pencha sa tête entre les deux visages deMontaut et de Chabot.

– Écoutez, je viens pour une chose sérieuse,il faut qu’un de nous trois propose aujourd’hui un projet de décretà la Convention.

– Pas moi, dit Montaut, on ne m’écoute pas, jesuis marquis.

– Moi, dit Chabot, on ne m’écoute pas, je suiscapucin.

– Et moi, dit Marat, on ne m’écoute pas, jesuis Marat.

Il y eut entre eux un silence.

Marat préoccupé n’était pas aisé à interroger.Montaut pourtant hasarda une question.

– Marat, quel est le décret que tudésires ?

– Un décret qui punisse de mort tout chefmilitaire qui fait évader un rebelle prisonnier.

Chabot intervint.

– Ce décret existe, on a voté cela finavril.

– Alors c’est comme s’il n’existait pas, ditMarat. Partout dans toute la Vendée, c’est à qui fera évader lesprisonniers, et l’asile est impuni.

– Marat, c’est que le décret est endésuétude.

– Chabot, il faut le remettre en vigueur.

– Sans doute.

– Et pour cela parler à la Convention.

– Marat, la Convention n’est pasnécessaire ; le Comité de salut public suffit.

– Le but est atteint, ajouta Montaut, si leComité de salut public fait placarder le décret dans toutes lescommunes de la Vendée, et fait deux ou trois bons exemples.

– Sur les grandes têtes, reprit Chabot. Surles généraux.

Marat grommela : – En effet, celasuffira.

– Marat, repartit Chabot, va toi-même direcela au Comité de salut public.

Marat le regarda entre les deux yeux, ce quin’était pas agréable, même pour Chabot.

– Chabot, dit-il, le Comité de salut public,c’est chez Robespierre ; je ne vais pas chez Robespierre.

– J’irai, moi, dit Montaut.

– Bien, dit Marat.

Le lendemain était expédié dans toutes lesdirections un ordre du Comité de salut public enjoignant d’afficherdans les villes et villages de Vendée et de faire exécuterstrictement le décret portant peine de mort contre toute connivencedans les évasions de brigands et d’insurgés prisonniers.

Ce décret n’était qu’un premier pas ; laConvention devait aller plus loin encore. Quelques mois après, le11 brumaire an II (novembre 1793), à propos de Laval qui avaitouvert ses portes aux Vendéens fugitifs, elle décréta que touteville qui donnerait asile aux rebelles serait démolie etdétruite.

De leur côté, les princes de l’Europe, dans lemanifeste du duc de Brunswick, inspiré par les émigrés et rédigépar le marquis de Linnon, intendant du duc d’Orléans, avaientdéclaré que tout Français pris les armes à la main serait fusillé,et que, si un cheveu tombait de la tête du roi, Paris seraitrasé.

Sauvagerie contre barbarie.

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