Quatre vingt-treize

SAUVEUR

 

– C’est toi, Halmalo ?

– Moi, monseigneur. Vous voyez bien que lespierres qui tournent, cela existe, et qu’on peut sortir d’ici.J’arrive à temps, mais faites vite. Dans dix minutes, vous serez enpleine forêt.

– Dieu est grand, dit le prêtre.

– Sauvez-vous, monseigneur, crièrent toutesles voix.

– Vous tous d’abord, dit le marquis.

– Vous le premier, monseigneur, dit l’abbéTurmeau.

– Moi le dernier.

Et le marquis reprit d’une voixsévère :

– Pas de combat de générosité. Nous n’avonspas le temps d’être magnanimes. Vous êtes blessés. Je vous ordonnede vivre et de fuir. Vite ! et profitez de cette issue. Merci,Halmalo.

– Monsieur le marquis, dit l’abbé Turmeau,nous allons nous séparer ?

– En bas, sans doute. On ne s’échappe jamaisqu’un à un.

– Monseigneur nous assigne-t-il unrendez-vous ?

– Oui. Une clairière dans la forêt. LaPierre-Gauvaine. Connaissez-vous l’endroit ?

– Nous le connaissons tous.

– J’y serai demain, à midi. Que tous ceux quipourront marcher s’y trouvent.

– On y sera.

– Et nous recommencerons la guerre, dit lemarquis.

Cependant Halmalo, en pesant sur la pierretournante, venait de s’apercevoir qu’elle ne bougeait plus.L’ouverture ne pouvait plus se clore.

– Monseigneur, dit-il, dépêchons-nous, lapierre résiste à présent. J’ai pu ouvrir le passage, mais je nepourrai le fermer.

La pierre, en effet, après une longuedésuétude, était comme ankylosée dans sa charnière. Impossibledésormais de lui imprimer un mouvement.

– Monseigneur, reprit Halmalo, j’espéraisrefermer le passage, et que les bleus, quand ils entreraient, netrouveraient plus personne, et n’y comprendraient rien, et vouscroiraient en allés en fumée. Mais voilà la pierre qui ne veut pas.L’ennemi verra la sortie ouverte et pourra poursuivre. Au moins neperdons pas une minute. Vite, tous dans l’escalier.

L’Imânus posa la main sur l’épaule deHalmalo :

– Camarade, combien de temps faut-il pourqu’on sorte par cette passe et qu’on soit en sûreté dans laforêt ?

– Personne n’est blessé grièvement ?demanda Halmalo.

Ils répondirent :

– Personne.

– En ce cas, un quart d’heure suffit.

– Ainsi, repartit l’Imânus, si l’ennemin’entrait ici que dans un quart d’heure…

– Il pourrait nous poursuivre, il ne nousatteindrait pas.

– Mais, dit le marquis, ils seront ici danscinq minutes, ce vieux coffre n’est pas pour les gêner longtemps.Quelques coups de crosse en viendront à bout. Un quartd’heure ! Qui est-ce qui les arrêtera un quartd’heure ?

– Moi, dit l’Imânus.

– Toi, Gouge-le-Bruant ?

– Moi, monseigneur. Écoutez. Sur six, vousêtes cinq blessés. Moi je n’ai pas une égratignure.

– Ni moi, dit le marquis.

– Vous êtes le chef, monseigneur. Je suis lesoldat. Le chef et le soldat, c’est deux.

– Je le sais, nous avons chacun un devoirdifférent.

– Non, monseigneur, nous avons, vous et moi,le même devoir, qui est de vous sauver.

L’Imânus se tourna vers ses camarades.

– Camarades, il s’agit de tenir en échecl’ennemi et de retarder la poursuite le plus possible. Écoutez.J’ai toute ma force, je n’ai pas perdu une goutte de sang ;n’étant pas blessé, je durerai plus longtemps qu’un autre. Parteztous. Laissez-moi vos armes. J’en ferai bon usage. Je me charged’arrêter l’ennemi une bonne demi-heure. Combien y a-t-il depistolets chargés ?

– Quatre.

– Mettez-les à terre.

On fit ce qu’il voulait.

– C’est bien. Je reste. Ils trouveront à quiparler. Maintenant, vite, allez-vous-en.

Les situations à pic suppriment lesremerciements. À peine prit-on le temps de lui serrer la main.

– À bientôt, lui dit le marquis.

– Non, monseigneur. J’espère que non. Pas àbientôt ; car je vais mourir.

Tous s’engagèrent l’un après l’autre dansl’étroit escalier, les blessés d’abord. Pendant qu’ilsdescendaient, le marquis prit le crayon de son carnet de poche, etécrivit quelques mots sur la pierre qui ne pouvait plus tourner etqui laissait le passage béant.

– Venez, monseigneur, il n’y a plus que vous,dit Halmalo.

Et Halmalo commença à descendre.

Le marquis le suivit.

L’Imânus resta seul.

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