Quatre vingt-treize

CE QUE FAIT L’IMANUS

 

Pendant que le marquis s’occupait de la brècheet de la tour, l’Imânus s’occupait du pont. Dès le commencement dusiège, l’échelle de sauvetage suspendue transversalement en dehorset au-dessous des fenêtres du deuxième étage, avait été retirée parordre du marquis, et placée par l’Imânus dans la salle de labibliothèque. C’est peut-être à cette échelle-là que Gauvainvoulait suppléer. Les fenêtres du premier étage entresol, dit salledes gardes, étaient défendues par une triple armature de barreauxde fer scellés dans la pierre, et l’on ne pouvait ni entrer nisortir par là.

Il n’y avait point de barreaux aux fenêtres dela bibliothèque, mais elles étaient très hautes.

L’Imânus se fit accompagner de trois hommes,comme lui capables de tout et résolus à tout. Ces hommes étaientHoisnard, dit Branche-d’Or, et les deux frères Pique-en-Bois.L’Imânus prit une lanterne sourde, ouvrit la porte de fer, etvisita minutieusement les trois étages du châtelet du pont.Hoisnard Branche-d’Or était aussi implacable que l’Imânus, ayant euun frère tué par les républicains.

L’Imânus examina l’étage d’en haut, regorgeantde foin et de paille, et l’étage d’en bas, dans lequel il fitapporter quelques pots à feu, qu’il ajouta aux tonnes degoudron ; il fit mettre le tas de fascines de bruyères encontact avec les tonnes de goudron, et il s’assura du bon état dela mèche soufrée dont une extrémité était dans le pont et l’autredans la tour. Il répandit sur le plancher, sous les tonnes et sousles fascines, une mare de goudron où il immergea le bout de lamèche soufrée ; puis il fit placer, dans la salle de labibliothèque, entre le rez-de-chaussée où était le goudron et legrenier où était la paille, les trois berceaux où étaientRené-Jean, Gros-Alain et Georgette, plongés dans un profondsommeil. On apporta les berceaux très doucement pour ne pointréveiller les petits.

C’étaient de simples petites crèches decampagne, sorte de corbeilles d’osier très basses qu’on pose àterre, ce qui permet à l’enfant de sortir du berceau seul et sansaide. Près de chaque berceau, l’Imânus fit placer une écuelle desoupe avec une cuiller de bois. L’échelle de sauvetage décrochée deses crampons avait été déposée sur le plancher, contre lemur ; l’Imânus fit ranger les trois berceaux bout à bout lelong de l’autre mur en regard de l’échelle. Puis, pensant que descourants d’air pouvaient être utiles, il ouvrit toutes grandes lessix fenêtres de la bibliothèque. C’était une nuit d’été, bleue ettiède.

Il envoya les frères Pique-en-Bois ouvrir lesfenêtres de l’étage inférieur et de l’étage supérieur ; ilavait remarqué, sur la façade orientale de l’édifice, un grandvieux lierre desséché, couleur d’amadou, qui couvrait tout un côtédu pont du haut en bas et encadrait les fenêtres des trois étages.Il pensa que ce lierre ne nuirait pas. L’Imânus jeta partout undernier coup d’œil ; après quoi, ces quatre hommes sortirentdu châtelet et rentrèrent dans le donjon. L’Imânus referma lalourde porte de fer à double tour, considéra attentivement laserrure énorme et terrible, et examina, avec un signe de têtesatisfait, la mèche soufrée qui passait par le trou pratiqué parlui, et était désormais la seule communication entre la tour et lepont. Cette mèche partait de la chambre ronde, passait sous laporte de fer, entrait sous la voussure, descendait l’escalier durez-de-chaussée du pont, serpentait sur les degrés en spirale,rampait sur le plancher du couloir entresol, et allait aboutir à lamare de goudron sous le tas de fascines sèches. L’Imânus avaitcalculé qu’il fallait environ un quart d’heure pour que cettemèche, allumée dans l’intérieur de la tour, mît le feu à la mare degoudron sous la bibliothèque. Tous ces arrangements pris, et toutesces inspections faites, il rapporta la clef de la porte de fer aumarquis de Lantenac qui la mit dans sa poche.

Il importait de surveiller tous les mouvementsdes assiégeants. L’Imânus alla se poster en vedette, sa trompe debouvier à la ceinture, dans la guérite de la plate-forme, au hautde la tour. Tout en observant, un œil sur la forêt, un œil sur leplateau, il avait près de lui, dans l’embrasure de la lucarne de laguérite, une poire à poudre, un sac de toile plein de balles decalibre, et de vieux journaux qu’il déchirait, et il faisait descartouches.

Quand le soleil parut, il éclaira dans laforêt huit bataillons, le sabre au côté, la giberne au dos, labayonnette au fusil, prêts à l’assaut ; sur le plateau, unebatterie de canons, avec caissons, gargousses et boîtes àmitraille ; dans la forteresse dix-neuf hommes chargeant destromblons, des mousquets, des pistolets et des espingoles, et dansles trois berceaux trois enfants endormis.

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