Quatre vingt-treize

C’EST LA SECONDE FOIS

 

La victoire était complète.

Gauvain se tourna vers les hommes du bataillondu Bonnet-Rouge, et leur dit :

– Vous êtes douze, mais vous en valezmille.

Un mot du chef, c’était la croix d’honneur dece temps-là.

Guéchamp, lancé par Gauvain hors de la ville,poursuivit les fuyards et en prit beaucoup.

On alluma des torches et l’on fouilla laville.

Tout ce qui ne put s’évader se rendit. Onillumina la grande rue avec des pots à feu. Elle était jonchée demorts et de blessés. La fin d’un combat s’arrache toujours,quelques groupes désespérés résistaient encore çà et là, on lescerna, et ils mirent bas les armes.

Gauvain avait remarqué dans le pêle-mêleeffréné de la déroute un homme intrépide, espèce de faune agile etrobuste, qui avait protégé la fuite des autres et ne s’était pasenfui. Ce paysan s’était magistralement servi de sa carabine,fusillant avec le canon, assommant avec la crosse, si bien qu’ill’avait cassée ; maintenant il avait un pistolet dans un poinget un sabre dans l’autre. On n’osait l’approcher. Tout à coupGauvain le vit qui chancelait et qui s’adossait à un pilier de lagrande rue. Cet homme venait d’être blessé. Mais il avait toujoursaux poings son sabre et son pistolet.

Gauvain mit son épée sous son bras et alla àlui.

– Rends-toi, dit-il.

L’homme le regarda fixement. Son sang coulaitsous ses vêtements d’une blessure qu’il avait, et faisait une mareà ses pieds.

– Tu es mon prisonnier, reprit Gauvain.

L’homme resta muet.

– Comment t’appelles-tu ?

L’homme dit :

– Je m’appelle Danse-à-l’ombre.

– Tu es un vaillant, dit Gauvain.

Et il lui tendit la main.

L’homme répondit :

– Vive le roi !

Et ramassant ce qui lui restait de force,levant les deux bras à la fois, il tira au cœur de Gauvain un coupde pistolet et lui asséna sur la tête un coup de sabre.

Il fit cela avec une promptitude detigre ; mais quelqu’un fut plus prompt encore. Ce fut un hommeà cheval qui venait d’arriver et qui était là depuis quelquesinstants, sans qu’on eût fait attention à lui. Cet homme, voyant leVendéen lever le sabre et le pistolet, se jeta entre lui etGauvain. Sans cet homme, Gauvain était mort. Le cheval reçut lecoup de pistolet, l’homme reçut le coup de sabre, et tous deuxtombèrent. Tout cela se fit le temps de jeter un cri.

Le Vendéen de son côté s’était affaissé sur lepavé.

Le coup de sabre avait frappé l’homme en pleinvisage ; il était à terre, évanoui. Le cheval était tué.

Gauvain s’approcha.

– Qui est cet homme ? dit-il.

Il le considéra. Le sang de la balafreinondait le blessé, et lui faisait un masque rouge. Il étaitimpossible de distinguer sa figure. On lui voyait des cheveuxgris.

– Cet homme m’a sauvé la vie, poursuivitGauvain. Quelqu’un d’ici le connaît-il ?

– Mon commandant, dit un soldat, cet homme estentré dans la ville tout à l’heure. Je l’ai vu arriver. Il venaitpar la route de Pontorson.

Le chirurgien-major de la colonne étaitaccouru avec sa trousse. Le blessé était toujours sansconnaissance. Le chirurgien l’examina et dit :

– Une simple balafre. Ce n’est rien. Cela serecoud. Dans huit jours il sera sur pied. C’est un beau coup desabre.

Le blessé avait un manteau, une ceinturetricolore, des pistolets, un sabre. On le coucha sur une civière.On le déshabilla. On apporta un seau d’eau fraîche, le chirurgienlava la plaie, le visage commença à apparaître, Gauvain leregardait avec une attention profonde.

– A-t-il des papiers sur lui ? demandaGauvain.

Le chirurgien tâta la poche de côté et en tiraun portefeuille qu’il tendit à Gauvain.

Cependant le blessé, ranimé par l’eau froide,revenait à lui. Ses paupières remuaient vaguement.

Gauvain fouillait le portefeuille ; il ytrouva une feuille de papier pliée en quatre, il la déplia, illut :

« Comité de salut public. Le citoyenCimourdain… »

Il jeta un cri :

– Cimourdain !

Ce cri fit ouvrir les yeux au blessé.

Gauvain était éperdu.

– Cimourdain ! c’est vous ! c’est laseconde fois que vous me sauvez la vie.

Cimourdain regardait Gauvain. Un ineffableéclair de joie illuminait sa face sanglante.

Gauvain tomba à genoux devant le blessé encriant :

– Mon maître !

– Ton père, dit Cimourdain.

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