Quatre vingt-treize

BOURREAU

 

Les quatre pistolets avaient été posés sur lesdalles, car cette salle n’avait pas de plancher. L’Imânus en pritdeux, un dans chaque main.

Il s’avança obliquement vers l’entrée del’escalier que le coffre obstruait et masquait.

Les assaillants craignaient évidemment quelquesurprise, une de ces explosions finales qui sont la catastrophe duvainqueur en même temps que celle du vaincu. Autant la premièreattaque avait été impétueuse, autant la dernière était lente etprudente. Ils n’avaient pas pu, ils n’avaient pas voulu peut-être,enfoncer violemment le coffre ; ils en avaient démoli le fondà coups de crosse, et troué le couvercle à coups de bayonnette, etpar ces trous ils tâchaient de voir dans la salle avant de serisquer à y pénétrer.

La lueur des lanternes dont ils éclairaientl’escalier passait à travers ces trous.

L’Imânus aperçut à un de ces trous une de cesprunelles qui regardaient. Il ajusta brusquement à ce trou le canond’un de ses pistolets et pressa la détente. Le coup partit, etl’Imânus, joyeux, entendit un cri horrible. La balle avait crevél’œil et traversé la tête, et le soldat qui regardait venait detomber dans l’escalier à la renverse.

Les assaillants avaient entamé assez largementle bas du couvercle en deux endroits, et y avaient pratiqué deuxespèces de meurtrières, l’Imânus profita de l’une de ces entailles,y passa le bras, et lâcha au hasard dans le tas des assiégeants sondeuxième coup de pistolet. La balle ricocha probablement, car onentendit plusieurs cris, comme si trois ou quatre étaient tués oublessés, et il se fit dans l’escalier un grand tumulte d’hommes quilâchent pied et qui reculent.

L’Imânus jeta les deux pistolets qu’il venaitde décharger, et prit les deux qui restaient, puis, les deuxpistolets à ses deux poings, il regarda par les trous ducoffre.

Il constata le premier effet produit.

Les assaillants avaient redescendu l’escalier.Des mourants se tordaient sur les marches ; le tournant de laspirale ne laissait voir que trois ou quatre degrés.

L’Imânus attendit.

– C’est du temps de gagné, pensait-il.

Cependant il vit un homme, à plat ventre,monter en rampant les marches de l’escalier, et en même temps, plusbas, une tête de soldat apparut derrière le pilier central de laspirale. L’Imânus visa cette tête et tira.

Il y eut un cri, le soldat tomba, et l’Imânusfit passer de sa main gauche dans sa main droite le dernierpistolet chargé qui lui restait.

En ce moment-là il sentit une affreusedouleur, et ce fut lui qui, à son tour, jeta un hurlement. Un sabrelui fouillait les entrailles. Un poing, le poing de l’homme quirampait, venait de passer à travers la deuxième meurtrière du basdu coffre, et ce poing avait plongé un sabre dans le ventre del’Imânus.

La blessure était effroyable. Le ventre étaitfendu de part en part.

L’Imânus ne tomba pas. Il grinça des dents, etdit :

– C’est bon !

Puis chancelant et se traînant, il reculajusqu’à la torche qui brûlait à côté de la porte de fer, il posason pistolet à terre et empoigna la torche, et, soutenant de lamain gauche ses intestins qui sortaient, de la main droite ilabaissa la torche et mit le feu à la mèche soufrée.

Le feu prit, la mèche flamba. L’Imânus lâchala torche, qui continua de brûler à terre, ressaisit son pistolet,et, tombé sur la dalle, mais se soulevant encore, attisa la mèchedu peu de souffle qui lui restait.

La flamme courut, passa sous la porte de feret gagna le pont-châtelet.

Alors, voyant cette exécrable réussite, plussatisfait peut-être de son crime que de sa vertu, cet homme quivenait d’être un héros et qui n’était plus qu’un assassin, et quiallait mourir, sourit.

– Ils se souviendront de moi, murmura-t-il. Jevenge, sur leurs petits, notre petit à nous, le roi qui est auTemple.

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