Quatre vingt-treize

L’ÂME DE LA TERRE PASSE DANS L’HOMME

 

La Vendée insurgée ne peut être évaluée àmoins de cinq cent mille hommes, femmes et enfants. Un demi-millionde combattants, c’est le chiffre donné par Tuffin de LaRouarie.

Les fédéralistes aidaient ; la Vendée eutpour complice la Gironde. La Lozère envoyait au Bocage trente millehommes. Huit départements se coalisaient, cinq en Bretagne, troisen Normandie. Évreux, qui fraternisait avec Caen, se faisaitreprésenter dans la rébellion par Chaumont, son maire, etGardembas, notable. Buzot, Gorsas et Barbaroux à Caen, Brissot àMoulins, Chassan à Lyon, Rabaut-Saint-Étienne à Nismes, Meillan etDuchâtel en Bretagne, toutes ces bouches soufflaient sur lafournaise.

Il y a eu deux Vendées ; la grande quifaisait la guerre des forêts, la petite qui faisait la guerre desbuissons ; là est la nuance qui sépare Charette de JeanChouan. La petite Vendée était naïve, la grande étaitcorrompue ; la petite valait mieux. Charette fut fait marquis,lieutenant-général des armées du roi, et grand-croix deSaint-Louis ; Jean Chouan resta Jean Chouan. Charette confineau bandit, Jean Chouan au paladin.

Quant à ces chefs magnanimes, Bonchamps,Lescure, La Rochejaquelein, ils se trompèrent. La grande arméecatholique a été un effort insensé ; le désastre devaitsuivre ; se figure-t-on une tempête paysanne attaquant Paris,une coalition de villages assiégeant le Panthéon, une meute denoëls et d’oremus aboyant autour de la Marseillaise, la cohue dessabots se ruant sur la légion des esprits ? Le Mans et Savenaychâtièrent cette folie. Passer la Loire était impossible à laVendée. Elle pouvait tout, excepté cette enjambée. La guerre civilene conquiert point. Passer le Rhin complète César et augmenteNapoléon ; passer la Loire tue La Rochejaquelein.

La vraie Vendée, c’est la Vendée chezelle ; là elle est plus qu’invulnérable, elle estinsaisissable. Le Vendéen chez lui est contrebandier, laboureur,soldat, pâtre, braconnier, franc-tireur, chevrier, sonneur decloches, paysan, espion, assassin, sacristain, bête des bois.

La Rochejaquelein n’est qu’Achille, JeanChouan est Protée.

La Vendée a avorté. D’autres révoltes ontréussi, la Suisse par exemple. Il y a cette différence entrel’insurgé de montagne comme le Suisse et l’insurgé de forêt commele Vendéen, que, presque toujours, fatale influence du milieu, l’unse bat pour un idéal, et l’autre pour des préjugés. L’un plane,l’autre rampe. L’un combat pour l’humanité, l’autre pour lasolitude ; l’un veut la liberté, l’autre veutl’isolement ; l’un défend la commune, l’autre la paroisse.Communes ! communes ! criaient les héros de Morat. L’un aaffaire aux précipices, l’autre aux fondrières ; l’un estl’homme des torrents et des écumes, l’autre est l’homme des flaquesstagnantes d’où sort la fièvre ; l’un a sur la tête l’azur,l’autre une broussaille ; l’un est sur une cime, l’autre estdans une ombre.

L’éducation n’est point la même, faite par lessommets ou par les bas-fonds.

La montagne est une citadelle, la forêt estune embuscade ; l’une inspire l’audace, l’autre le piège.L’antiquité plaçait les dieux sur les faîtes et les satyres dansles halliers. Le satyre c’est le sauvage ; demi-homme,demi-bête. Les pays libres ont des Apennins, des Alpes, desPyrénées, un Olympe. Le Parnasse est un mont. Le mont Blanc étaitle colossal auxiliaire de Guillaume Tell ; au fond etau-dessus des immenses luttes des esprits contre la nuit quiemplissent les poëmes de l’Inde, on aperçoit l’Himalaya. La Grèce,l’Espagne, l’Italie, l’Helvétie, ont pour figure la montagne ;la Cimmérie, Germanie ou Bretagne, a le bois. La forêt estbarbare.

La configuration du sol conseille à l’hommebeaucoup d’actions. Elle est complice, plus qu’on ne croit. Enprésence de certains paysages féroces, on est tenté d’exonérerl’homme et d’incriminer la création ; on sent une sourdeprovocation de la nature ; le désert est parfois malsain à laconscience, surtout à la conscience peu éclairée ; laconscience peut être géante, cela fait Socrate et Jésus ; ellepeut être naine, cela fait Atrée et Judas. La conscience petite estvite reptile ; les futaies crépusculaires, les ronces, lesépines, les marais sous les branches, sont une fatale fréquentationpour elle ; elle subit là la mystérieuse infiltration despersuasions mauvaises. Les illusions d’optique, les miragesinexpliqués, les effarements d’heure ou de lieu, jettent l’hommedans cette sorte d’effroi, demi-religieux, demi-bestial, quiengendre, en temps ordinaires, la superstition, et dans les époquesviolentes, la brutalité. Les hallucinations tiennent la torche quiéclaire le chemin du meurtre. Il y a du vertige dans le brigand. Laprodigieuse nature a un double sens qui éblouit les grands espritset aveugle les âmes fauves. Quand l’homme est ignorant, quand ledésert est visionnaire, l’obscurité de la solitude s’ajoute àl’obscurité de l’intelligence ; de là dans l’homme desouvertures d’abîmes. De certains rochers, de certains ravins, decertains taillis, de certaines claires-voies farouches du soir àtravers les arbres, poussent l’homme aux actions folles et atroces.On pourrait presque dire qu’il y a des lieux scélérats.

Que de choses tragiques a vues la sombrecolline qui est entre Baignon et Plélan.

Les vastes horizons conduisent l’âme aux idéesgénérales ; les horizons circonscrits engendrent les idéespartielles ; ce qui condamne quelquefois de grands cœurs àêtre de petits esprits : témoin Jean Chouan.

Les idées générales haïes par les idéespartielles, c’est là la lutte même du progrès.

Pays, Patrie, ces deux mots résument toute laguerre de Vendée ; querelle de l’idée locale contre l’idéeuniverselle ; paysans contre patriotes.

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