La Femme immortelle

Chapitre 25

 

 

M. le marquis de la Roche-Maubert étaitfou, en dépit de ses cheveux blancs, fou d’amour, – ce qui est chezun vieillard, la folie la plus terrible, – mais il avait dansl’esprit cette logique rigoureuse que les maniaques appliquent à lapoursuite de leur idée fixe.

Après que M. de Simiane fut parti,après s’être écrié que puisque tout le monde voulait qu’il partît,il ne partirait pas, le vieux marquis se prit à réfléchir.

Il dit que si grand seigneur qu’on puisseêtre, si riche qu’on fût, on ne résistait ouvertement ni àmonseigneur le Régent ni à Son Éminence le cardinal Dubois.

Ils veulent que je parte, se dit-il, eh bien,je partirai, mais ce sera pour revenir.

Dès lors, M. de la Roche-Maubertannonça qu’il quittait Paris.

Il fit monter Simon [sic] le Borgne,l’hôtelier de la Pomme-d’Or, et lui enjoignit de luitrouver des chevaux de poste.

Le marquis était venu à Paris dans un vieuxcarrosse de famille qui avait servi au mariage de son père.

Il avait amené avec lui un serviteur, à lafois secrétaire et valet de chambre, lequel était couché depuislongtemps, la veille, quand il était revenu du Palais-Royal.

M. de la Roche-Maubert fit venir cevalet, qui se nommait Jonquille, et lui dit :

– Tu vas t’en aller chez le cardinal ettu lui diras que, sur le point de quitter Paris, je sollicite lafaveur de prendre congé de Son Éminence.

Pendant que maître Jonquille sortait pouraller exécuter cet ordre, le marquis faisait charger ses bagagessur le carrosse, faisait une toilette de voyage, soldait la dépenseà la Pomme-d’Or et faisait assez de bruit et d’embarraspour que tout le quartier sût qu’il retournait dans ses terres.

Jonquille revint et lui dit que le cardinalserait heureux de lui serrer la main avant son départ.

Le marquis monta donc dans son carrosse, lespostillons se mirent en selle, firent claquer leurs fouets, et lemarquis prit bruyamment le chemin du Palais-Royal.

Cependant, vers le milieu de la rueSaint-Honoré, il fit arrêter un moment à la porte de Buffalo.

Qu’était-ce que Buffalo ?

Un enchanteur, un sorcier, que personne, dureste, ne songeait à brûler.

Buffalo avait une belle boutique qui portaitpour enseigne :

À la Fontaine de Jouvence.

Buffalo était Italien de naissance etparfumeur de profession.

Il vendait ses odeurs exquises aux petitesmaîtresses de la cour, des cosmétiques rares et précieux, des eauxmerveilleuses qui rendaient aux cheveux blancs leur couleurprimitive, des savons qui assouplissaient la peau, des pâtes quifaisaient disparaître les rides.

On entrait vieux chez Buffalo, on enressortait jeune.

Néanmoins le marquis n’y subit aucunemétamorphose.

Il se borna à acheter une caisse de petitesfioles, de savons, de pâtes et de cosmétiques, fit mettre le toutdans son carrosse, et continua son chemin vers le Palais-Royal.

Dubois l’attendait.

– Mon cher parent, lui dit-il, je ne puisque vous féliciter d’avoir suivi le conseil de monseigneur leRégent.

– En vérité ! fit le marquis avec unsourire.

– Croyez-nous, poursuivit Dubois, la viede Paris ne vaut rien à un certain âge. Vous êtes robuste, vousavez l’œil encore plein de jeunesse, et vous êtes en passe dedevenir centenaire si vous restez dans votre beau château de laRoche-Maubert, qui est situé tout à fait en bon air et dans le plusriche et le plus charmant pays qu’on puisse voir.

Puis, ce petit discours débité, ce cardinalétrange que le Régent traitait de faquin et qui ne croyait pas àDieu, donna une poignée de main au marquis et le reconduisitjusqu’à son carrosse.

– Route de Normandie ! criaM. de la Roche-Maubert aux postillons.

La route de Normandie était alors ce qu’elleest encore aujourd’hui.

On sortait de Paris en traversant le villagede Chaillot, puis en passant la Seine à Courbevoie ; deCourbevoie on se dirigeait vers Bezons, et de Bezons on se rendaità Mantes, en laissant Saint-Germain sur la gauche.

Il était presque nuit quand le marquis avaitquitté Paris, il était deux heures du matin lorsque son carrosseconduit en poste vint s’arrêter à la porte de l’hôtellerie duSinge-vert.

Le Singe-vert était la premièreauberge de Mantes, et cette auberge était tenue par un brave hommede Normand, né sur les terres du marquis et qu’on appelaitBlaisotin.

Le marquis annonça à Blaisotin, qui s’étaitlevé en toute hâte pour le recevoir, qu’il coucherait chez lui,après avoir soupé ; et il lui demanda le meilleur cheval deselle de ses écuries, car Blaisotin était maître de poste en mêmetemps qu’aubergiste.

Que voulait-il faire d’un cheval de selle,puisqu’il voyageait en voiture ?

Voilà ce que Blaisotin ne put savoir.

Le marquis fit à Jonquille, son valet dechambre, l’honneur de l’admettre à sa table ; il soupa de bonappétit ; puis, ayant commandé à Blaisotin de tenir leschevaux de poste et le cheval de selle prêts, il se retira dansl’appartement qu’on lui avait préparé à la hâte.

Jonquille le suivit pour le déshabiller.

Mais quelle [sic] ne fut pasl’étonnement du valet, lorsqu’il vit son maître, au lieu de semettre au lit, étaler sur une table les cosmétiques et les flaconsachetés chez Buffalo.

Son étonnement devint de la stupeur lorsque,avec l’aide de ces mystérieuses préparations, le marquis se mit àteindre ses cheveux en un beau noir d’ébène, ainsi que samoustache, à passer sur ses lèvres une couche de vermillon, et àappliquer sur son front parcheminé, avec un couteau à lamed’argent, une belle pâte nacrée qui fit disparaître ses rides.

Quand ce fut fait, le marquis dit àJonquille :

– Tu vas descendre aux écuries.

Jonquille s’inclina.

– Tu feras seller le cheval que m’apromis Blaisotin.

– Et je monterai dessus ? demanda levalet.

– Non pas, c’est moi.

– Comment ! monsieur le marquis neva pas se coucher ?

– Non, je repars pour Paris.

– Seul ?

– Et toi tu vas retourner enNormandie.

Jonquille était ahuri, mais il exécuta lesordres qu’on lui donnait.

Une heure après, le carrosse dont les rideauxde cuir étaient soigneusement tirés, sortait de la cour duSinge-vert, aussi bruyamment qu’il y était entré.

Le marquis que personne ne reconnut, dont lamétamorphose était complète, chevauchait à la portière.

Le carrosse traversa Mantes dans toute salongueur et alors, le marquis tourna bride et prit au galop laroute de Paris, murmurant :

– C’est la femme immortelle qu’il me fautmaintenant !…

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