La Femme immortelle

Chapitre 13

 

 

Que se passa-t-il alors entre le Régent etcette femme qui était si merveilleusement belle ?

C’est ce que personne n’aurait pu dire, carils demeurèrent seuls pendant plus d’une heure et causèrent à voixbasse. Mais certainement, il n’avait pas été question d’amour entreeux, et la galanterie bien connue de monseigneur Philippe d’Orléansn’eut rien à voir dans cet entretien.

Le chevalier d’Esparron s’était éclipsé, nousl’avons dit, mais sans doute qu’il n’était pas loin, car le Régentl’ayant appelé, il revint aussitôt.

Le prince était pâle et tout son visagetrahissait une violente émotion.

Il tenait dans sa main la main de la femmeimmortelle, et il attachait sur elle un affectueux regard.

Qu’aurait donc pensé le marquis de laRoche-Maubert ?

– Approche, dit-il au chevalier.

Et il lui prit pareillement la main et il lamit dans celle de la jeune femme.

Puis, d’une voix triste et grave :

– Maintenant que je sais tout, dit-il,écoutez-moi, mes enfants.

Ils se groupèrent auprès de lui comme s’il eûtété réellement leur père.

– Je ne suis pas vindicatif, dit leRégent, je pardonne même trop facilement ; cependant j’avoueque si j’étais en votre lieu et place, je penserais comme vous etje poursuivrais le but que vous vous êtes donné, comme le plussaint des devoirs.

« Malheureusement, mes enfants, au dessus ducœur humain, il y a la raison de l’homme, et l’homme, enraisonnant, a forgé des lois pour réfréner ses passions.

« Que demain, la vérité se fasse jour, que,votre vengeance accomplie, vous soyez arrêtés, traduits devant leparlement assemblé en chambre criminelle, les juges vous absoudrontpeut-être, au fond de leur conscience, mais ils vous condamnerontsûrement.

« Vous serez brûlée comme sorcière, ma pauvrepetite, et toi aussi, mon bon ami.

Ils ne répondirent pas, mais leur silencetémoignait d’une résolution inébranlable.

Le Régent les regardait toujours.

– Pourtant, dit-il, sans cet héritage dehaine qui vous est transmis, vous pourriez être si heureux, mesenfants ! vous êtes jeunes, vous êtes beaux, vous vousaimez…

– Oh ! oui, dit la créaturemystérieuse en passant ses deux bras au cou du chevalier.

– Vivre et mourir ensemble, c’est lebonheur, ajouta le chevalier.

– Écoutez-moi encore, poursuivit Philipped’Orléans. Je suis Régent, j’ai pour quelques années encore lepouvoir suprême, mais le roi deviendra majeur et je ne serai plusrien, et si votre œuvre n’est pas accomplie alors, je ne pourraiplus vous sauver.

« Hâtez-vous donc et priez Dieu qu’il meconserve, car si je venais à mourir demain, mon héritage pourraitbien advenir à ce prêtre austère qu’on appelleM. de Fréjus et qui se montrerait d’autant plus sanspitié pour les sorciers, qu’il ne croit pas à la sorcellerie.

« Hâtez-vous donc ; puis, votre œuvreaccomplie, quittez Paris, fuyez le royaume et allez-vous-en enquelque coin du monde où vous puissiez vivre heureux.

En prononçant ces derniers mots, le Régentbaisa la main de cette femme étrange, puis il s’appuya sur l’épauledu chevalier d’Esparron pour se lever, et quand il fut debout, illeur dit encore :

– Adieu, mes enfants, et Dieu vousgarde !

– Monseigneur, dit alors le chevalier, jevais vous reconduire.

– Par le même chemin ?

– Oh ! non. Venez. Maintenant queVotre Altesse sait tout, à quoi bon le merveilleux ?

– Adieu, monseigneur, dit la jeune femmequi, à son tour, prit la main du Régent et la baisa.

Alors le chevalier écarta un rideau defeuillage et le prince se trouva au seuil d’une autre salle d’unedécoration toute différente, et qui n’avait plus riend’oriental.

Le chevalier fit traverser cette salle auRégent, puis après elle un corridor, puis gravir un escalier, etenfin, ils se trouvèrent dans un vestibule sombre, garni devieilles boiseries.

Au fond de ce vestibule d’Esparron ouvrit uneporte.

Alors une bouffée d’air vif et froid frappa leRégent au visage, et il se trouva dans la rue.

Une rue étroite, bordée de maisons hautes etnoires.

– Ah ! ah ! dit-il, est-ce parhasard la rue de l’Hirondelle, cela ?

– Oui, monseigneur.

– Et la maison d’où noussortons ?…

– Est celle, fit le chevalier ensouriant, dans laquelle on vit entrer la vieille femme et le bouc,le soir du supplice.

– Et vous osez rester ici ?

– Monseigneur, dit froidement lechevalier, toute la police du cardinal Dubois, le compère de VotreAltesse, fouillerait cette maison de fond en comble, qu’elle netrouverait rien.

– Pas même la grotte desNymphes ?

– Pas plus la grotte que le canalsouterrain par lequel nous sommes venus.

– Je le souhaite pour vous, dit leRégent.

Il poussa un soupir, puis il s’enveloppa dansson manteau, et tous deux se dirigèrent vers la rue Gît-le-Cœur,qui, parallèle à celle de l’Hirondelle, descendait vers larivière.

** * *

Le lendemain matin, le cardinal Dubois pénétrade bonne heure dans le cabinet du Régent.

Le prince, levé depuis longtemps,travaillait.

– Ah ! te voilà compère ?dit-il.

– Oui, monseigneur, Votre Altessen’a-t-elle pas eu le cauchemar ?

– Aucunement, compère.

– Cependant le récit de mon vieuxparent ?…

Le Régent fronça le sourcil.

– Écoute, Dubois, fit-il. Veux-tu que jete donne un bon conseil ?

– Parlez, monseigneur.

– Ton parent est logé rue de l’Arbre-Sec,n’est-ce pas ?

– Oui.

– Va le voir.

– Bon.

– Mets-le dans une chaise de poste.

– Après ?

– Et renvoie-le dans ses terres.

– Mais, monseigneur…

– En lui disant que s’il tient à vivrevieux, l’air des champs vaut mieux pour lui que celui de Paris.C’est tout ce que je puis te dire.

Et le Régent congédia Dubois d’un geste quisignifiait : Tu ne sauras rien autre chose.

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