La Femme immortelle

Chapitre 5

 

 

L’auditoire du marquis de la Roche-Maubert nese composait pas précisément de gens crédules.

Autour de cette même table on avait souventdiscuté jusqu’à l’existence de Dieu, et ce vieillard de province,qui venait raconter à ces roués de cour qu’une femme brûlée vive etréduite en cendres n’était cependant pas morte, ressemblaitfurieusement à un fou ou à un mystificateur.

Néanmoins personne ne se récria ;personne ne traita ce vieillard d’imposteur.

La curiosité, – une curiosité mélangée deterreur, – poussa tous ces gens-là à se taire.

Ils attendirent la suite du récit.

– Pardonnez-moi, dit le marquis enessuyant ses larmes, – mais à quarante années de distance,j’éprouve toujours la même émotion.

Puis il reprit :

– La rue de l’Hirondelle, vous le savez,est une des plus étroites de Paris, elle donne dans la rueGît-le-Cœur, au couchant, et conduit, au levant, jusqu’au pontSaint-Michel.

« C’était au beau milieu de cette rue qu’étaitla maison où la femme masquée se livrait à son mystérieux etétrange commerce de sorcellerie.

« Chose bizarre ! les bourgeois, le menupeuple du quartier avaient à peine entendu parler d’elle.

« Elle sortait rarement et presque toujours lesoir et en litière.

« Quand les archers du guet étaient venus pourl’arrêter, il y avait eu grande rumeur parmi les bonnes gens, dontla plupart ne l’avaient jamais vue.

« Mais dès le soir de son supplice, il sepassa dans la rue de l’Hirondelle une chose fort extraordinaire,comme vous allez voir.

« On était alors en été, en plein mois dejuin, et les habitants de la rue passaient la soirée sur le pas deleurs portes, cherchant un peu d’air frais, jusqu’à l’heure ducouvre-feu.

« Le soir donc de ce jour où le vampire étaitmonté sur le bûcher, son nom était dans toutes les bouches, et lesprivilégiés, ceux qui avaient été assez heureux pour approcher dubûcher racontaient complaisamment aux autres tous les détails dusupplice.

« Or la maison de la sorcière avait été ferméele jour de son arrestation, et depuis portes et fenêtres étaientdemeurées clauses. [sic][2]

« Eh bien, comme la nuit approchait, on vitdéboucher par la rue Gît-le-Cœur une vieille femme qui portait,d’une main, un petit sac qui paraissait être plein de cendres, etconduisait de l’autre, tenu en laisse par un bout de corde, ungrand bouc tout noir, dont les yeux étaient si brillants qu’on eûtdit des charbons.

« Cette vieille avait un mauvais rire sur seslèvres minces, et quand elle entra dans la rue de l’Hirondelle, lesuns la regardèrent en frissonnant, les autres ne purent supporterl’éclat des yeux du bouc, enfin tout le monde l’évita avec uneterreur superstitieuse.

« Où donc allait cette femme que l’on voyaitpour la première fois ?

« Elle s’achemina ainsi jusque vers la maisonde la suppliciée.

« Là, ce fut un redoublement d’étonnement,quand on la vit tirer une clef de sa poche et ouvrir la porte.

« La porte ouverte, le bouc entra le premier,puis la vieille le suivit, et tous deux demeurèrent dans lamaison.

« On vit alors courir des lumières derrièreles croisées et passer des ombres enlacées ; on entendit desbruits mélodieux, et chacun se sauva, car le bruit se répandit queSatan venait de prendre possession de la maison et qu’il donnait unbal aux gens de marque de l’enfer.

« Pourtant, un homme, plus brave et pluscurieux que les autres, résolut de savoir au juste ce qui sepassait dans la maison.

« C’était un ancien soldat qu’on appelaitPivoine et qui eût pris le diable par les cornes s’il l’avaitrencontré.

« Il frappa donc hardiment à la porte, quis’ouvrit devant lui.

« Au même instant la musique et le balcessèrent, et les croisées illuminées rentrèrent dans lesténèbres.

« Mais Pivoine ne reparut pas ce soir-là.

« Ce ne fut que le lendemain, au petit jour,que les sergents du guet le trouvèrent assis sur une borne, à centpas environ de la maison mystérieuse.

« Ses cheveux étaient devenus blancs et unrire idiot glissait sur ses lèvres.

« Pendant plus de huit jours, cet homme fut enproie à un délire effrayant, et on ne put rien tirer de lui.

« Enfin, au bout de ce temps, la raison parutlui revenir, et voici ce qu’il raconta :

« Quand il avait frappé à la porte, elles’était ouverte. Alors un flot de lumières l’avait ébloui, et ils’était senti entraîner par une force mystérieuse vers une grandesalle dans laquelle il y avait une trentaine de personnes.

« Ces gens-là dansaient, mais ne parlaientpas, et Pivoine avait remarqué avec terreur qu’ils étaienttransparents comme du verre.

« Ce n’étaient pas des êtres humains, mais desfantômes.

« Les hommes portaient tous à la gorge unepetite marque rouge, quelque chose comme un coup d’épingle, etPivoine, qui avait suivi les débats du procès de la femme vampire,pensa que tous ces gens-là étaient ses victimes.

« Cette force mystérieuse qui l’avait attirédans cette salle le contraignit à s’asseoir dans un coin.

« Tout à coup, un bruit métallique, commecelui d’un timbre sur lequel on frappe avec une baguette, se fitentendre.

« Alors les portes s’ouvrirent au fond de lasalle, et Pivoine vit entrer la vieille femme, conduisant son boucet portant son sac de toile grise.

« Les danses cessèrent.

« La vieille s’avança vers le milieu de lasalle, délia le sac et en versa le contenu sur le sol.

« C’était un peu de cendre.

« – Voilà ! dit-elle, tout ce qui restede celle que vous avez aimée.

« Elle prit alors un bâton et se mit à tracertout à l’entour des cercles magiques, des lignes bizarres, puiselle fit un signe au bouc noir.

« Et celui-ci, se dressant sur ses pattes dederrière, se mit à exécuter une espèce de sarabande autour dumonceau de cendres.

« Puis encore, tout à coup, le même bruitmétallique se fit entendre et l’obscurité se fit, et quand Pivoine,qui était tombé à la renverse, se releva, se frotta les yeux etchercha à comprendre ce qui s’était passé, il se vit assis sur uneottomane, auprès d’une femme jeune et belle, qu’il reconnut pourcelle-là même qui était montée sur le bûcher.

« – Je viens de renaître de mes cendres,dit-elle, et si tu veux m’aimer, je te ferai le plus heureux deshommes…

Le marquis de la Roche-Maubert en était là deson récit, lorsque le son d’une cloche arriva jusqu’à l’oreille desconvives.

Or cette cloche ne tintait jamais que pourannoncer un hôte en retard, un invité qui ne se trouvait pas auPalais-Royal quand on s’était mis à table.

Et le Régent, regardant Simiane, luidit :

– Mais qui donc attendons-nousencore ?

– Personne, monseigneur, à moins que cene soit ce pauvre d’Esparron.

– Il est mort, dit Dubois.

– Ou marié avec la femme vampire, fit unautre.

– Ni mort, ni marié, répondit une voixsonore et joyeuse sur le seuil de la salle.

Et les convives, de plus en plus étonnés,virent apparaître ce même chevalier d’Esparron dont la disparitionavait tant occupé depuis quelques semaines la cour et la ville.

M. de la Roche-Maubert attachait surlui un œil ardent et instigateur.

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