La Femme immortelle

Chapitre 28

 

 

La servante, cette fille rousse à qui maîtreGuillaume avait donné le nom de Suzon, se trouvait dans levestibule, quand le marquis et le bourgeois sortirent.

– Suzon, lui dit Guillaume, tu peuxmonter dans ta chambre et te coucher.

La servante salua et se dirigea vers l’immensecage d’escalier, qui montait aux étages supérieurs.

C’était sous ce même escalier que s’ouvrait laporte des caves ou plutôt de la cave, car maître Guillaume, enouvrant la porte, dit au marquis :

– Notre visite sera bientôt faite,monseigneur, la cave n’est ni grande ni profonde.

La vue de sa servante paraissait avoir un peucalmé l’épouvante du maître Guillaume.

Ce fut presque d’un pas ferme qu’il s’engageale premier sur les marches humides et glissantes de l’escalier.

Il levait le flambeau au dessus de sa tête, etM. de la Roche-Maubert marchait derrière lui sanshésitation.

À la trentième marche, Guillaume seretourna.

– Nous y sommes, dit-il.

Le marquis vit alors une salle souterrainevoûtée, qui paraissait avoir la largeur de la maison qu’ellesupportait, et autour de laquelle étaient rangées de bellesfutailles, pleines pour la plupart.

– Peste, dit le marquis, voilà un beaucaveau, et bien meublé, monsieur Guillaume.

Le bourgeois s’inclina.

– Voyons les autres, continua lemarquis.

– Quels autres, monseigneur ?

– Les autres caves, pardieu !

– Il n’y en a pas d’autres ; dumoins, je n’en connais pas.

– Par exemple !

M. de la Roche-Maubert était unhomme consciencieux. Soutenu par cette conviction double d’abordque le laboratoire de Janine était sous terre, ensuite que la femmeimmortelle habitait quelque part dans cette maison, à l’insu dubourgeois lui-même, il s’arma d’un marteau de tonnelier qu’iltrouva sur une futaille.

– Qu’allez-vous faire ? demandaGuillaume.

– Chercher les portes condamnées.

Il lui prit alors le flambeau, puis le tenantd’une main et le marteau de l’autre, il se mit à frapper sur lesmurs de la cave, de distance en distance, tantôt en haut, tantôt enbas.

Le marquis savait parfaitement qu’une porte,même murée, rend toujours un son moins plein qu’une murailleordinaire.

Et, d’ailleurs, il était persuadé que la portede fer dont lui avait parlé Conrad existait encore, mais, qu’elleavait disparu sous une couche de badigeon, car les murs semblaientavoir été recrépis il y avait quelques années seulement.

Le marquis en fut pour ses frais. Partout lemarteau rendit le même son.

Alors, comme l’un des bouts était pointu,destiné qu’il était à glisser au besoin entre les douves detonneaux, M. de la Roche-Maubert, qui ne se décourageaitpas, creusa le sol çà et là.

Le marteau s’enfonçait dans une terre humideet poreuse et ne rencontrait nulle part une résistance.

– Voilà qui est bizarre !murmura-t-il enfin ; il doit pourtant exister une voûte ou unautre plancher sous nos pieds.

– Je ne crois pas, murmura Guillaume.

Le marquis se remit à la besogne. Au boutd’une heure, il n’était pas plus avancé.

– Il faut que je me trompe, murmura-t-ilenfin, et que la porte, l’issue que je cherche soit ailleursqu’ici.

Maître Guillaume paraissait d’une parfaitebonne foi.

Le marquis voulut remonter au rez-de-chaussée,Guillaume le suivit de nouveau.

Le marquis avait conservé le marteau.

Il recommença au rez-de-chaussée, puis d’étageen étage, ce sondage des murs qui n’amena aucun résultat.

Rien n’était moins mystérieux que cettemaison, et c’était bien l’habitation d’un bourgeois paisible quimange ses petites rentes.

– Vous le voyez, monseigneur, ditGuillaume, il n’y a ni murs creux, ni portes secrètes, nisouterrains. Je n’ai jamais entendu dire que cette maison eût étéhabitée par des sorciers, et je crois bien qu’on vous aura malrenseigné.

Il disait cela avec une candeur parfaite, – siparfaite qu’un soupçon traversa l’esprit du marquis : – Jepourrais bien m’être trompé de maison, se dit-il.

Alors il fit mille excuses à maître Guillaume,lui dit qu’il ne tarderait pas à lui venir donner des nouvelles dece grand seigneur, son ami, qui s’intéressait à lui, et il finitpar s’en aller sans lui avoir donné d’autre explication.

Mais, une fois dans la rue, le marquis ne setint pas pour battu.

Il était, en effet, possible qu’il se fûttrompé et qu’il eût pris la maison de Guillaume pour celle de lafemme immortelle ; mais enfin, il était dans la rue del’Hirondelle, ceci n’était pas douteux, et c’était bien la rue del’Hirondelle que Jeanne [sic] habitait autrefois.

Tandis que le marquis s’était trouvé avecmaître Guillaume, la lune s’était levée, et ricochant sur lespignons pointus des maisons, elle laissait ruisseler ses rayonsdans la rue.

Le marquis se prit à examiner une à une toutesles maisons du côté gauche, car il se souvenait parfaitement quec’était à gauche et non à droite que celle qu’il cherchait setrouvait.

Mais plus son examen était consciencieux, plussa conviction devenait forte.

La maison de Janine était bien celle d’où ilsortait, la maison de ce bélître de Guillaume.

– Dussé-je passer la nuit ici, se ditl’entêté vieillard, je saurai bien quelque chose.

Juste en face de cette maison, il y en avaitune autre dont le porche était perdu dans l’ombre.

Le marquis alla s’y placer et y resta les yeuxfixés sur la maison dont une seule fenêtre était éclairée, celle dela chambre du bourgeois qui se mettait sans doute au lit.

Le marquis attendit environ une heure. Lalumière s’éteignit. Guillaume dormait ou s’apprêtait à dormir.

Cependant le marquis ne bougea.

Quelque chose lui disait qu’il allait assisterà des choses imprévues, sinon extraordinaires.

En effet, comme minuit sonnait dans lelointain à Saint-Germain l’Auxerrois, un pas d’homme, suivi d’uncliquetis d’épée heurtant le pavé, se fit entendre.

Au clair de la lune, le marquis vit un hommequi marchait lestement, le nez dans son manteau retroussé par uncoin.

Ce pouvait être un passant.

Pourtant le marquis eut un battement de cœurqui se trouva bientôt justifié, car l’homme au manteau s’arrêtadevant la porte de maître Guillaume.

Alors le marquis traversa la rue et vint secamper devant lui.

L’inconnu eut un geste de surprise, etM. de la Roche-Maubert s’aperçut qu’il avait un masquesur le visage.

– Mon gentilhomme, dit le marquis, mepermettrez-vous de vous demander où vous allez ?

– Chez moi, répondit l’homme aumanteau.

– Cette maison est à vous ?

– Sans doute.

Et, pour preuve, il tira de sa poche une clefqu’il mit dans la serrure.

– Voilà qui est trop fort ! s’écriale marquis.

Et il se plaça devant la porte,ajoutant :

– Vous n’entrerez pas que vous ne m’ayezdonné une explication.

En même temps il tira son épée.

L’homme au manteau en fit autant et le marquisl’entendit ricaner au travers de son masque.

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