La Femme immortelle

Chapitre 6

 

 

Porion avait dit la vérité au marquis de laRoche-Maubert. Le Régent était mort.

Cet événement que tout Paris savait, depuis lematin, les hôtes de la mystérieuse maison de la rue del’Hirondelle, l’ignoraient. Comment cela pouvait-il sefaire ?

C’est ce que nous allons expliquer en quelquesmots.

Comme on s’en souvient le présidentBoisfleury, éconduit par le lieutenant de police, d’abord, par leRégent ensuite, avait fait grand tapage.

Mais le Régent à qui Janine avait fait desconfidences et qui aimait fort son ami le chevalier d’Esparron,s’était juré de les protéger.

Il avait donc dit à d’Esparron, la veille aumatin :

– Je te donne huit jours encore, etpendant ces huit jours, le lieutenant de police aidant, je tepromets qu’on ne pénétrera point dans la maison de la rue del’Hirondelle, mais au bout de ce temps, je ne réponds plus de rien.Arrange-toi donc pour que, votre œuvre accomplie, Janine et toivous puissiez vous sauver.

De son côté, le lieutenant de police avaitmandé Porion auprès de lui.

Porion qui s’était mis corps et âme au servicedu président s’était présenté d’un air insolent.

– Drôle, lui avait dit alors lelieutenant de police, écoute bien ce que je vais te dire. Tu sersle parlement contre nous, mais nous disposons, nous, de la Bastilleet voici une lettre de cachet toute prête pour toi.

– Monseigneur, avait répondu Porion, jesuis sous la protection du parlement.

– Hors d’ici, c’est possible. Mais tu vasvoir que je vais te faire arrêter.

Ce disant, le lieutenant de police avaitappelé deux exempts qui étaient venus se placer aux côtés dePorion.

– Je suis pris, avait murmuré l’agent depolice avec dépit.

– À moins que tu ne veuilles composeravec moi. Tu sers qui te paie, n’est-ce pas ?

– Oui, répondit Porion, et si VotreSeigneurie me donnait de la besogne, je n’irai pas en chercherailleurs.

Alors le lieutenant de police avait proposé àPorion cette singulière transaction :

« Pendant huit jours, il s’engageait à ne paspénétrer, lui et ses hommes, dans la rue de l’Hirondelle et àamuser le président Boisfleury par des rapports insignifiants.

Au bout de huit jours, il pourrait faire ceque bon lui semblerait.

En échange de cette concession, il toucheraitune somme de deux cents pistoles, le huitième jour. »

Cependant Porion avait ce qu’on nomme letempérament d’un homme de police.

Tout en travaillant pour de l’argent, il avaitl’amour de son art, et il s’était juré de prendre la prétenduesorcière et son complice, de savoir ce qu’était devenu le marquisde la Roche-Maubert et ce que deviendrait le margrave, et il n’eûtpas renoncé à sa mission pour tout l’or du monde.

Aussi, avant de souscrire aux conditions dulieutenant de police, fit-il cette restriction :

« Il n’entrerait pas dans la maison, mais ilaurait le droit de la cerner et d’arrêter quiconque en sortirait outenterait d’y pénétrer. »

Le lieutenant de police avait consenti à cetteclause.

La raison de cette concession était toutesimple, du reste.

Le lieutenant était sûr de sauver le chevalierd’Esparron et Janine le dernier jour.

Comment ? De la manière la plus naturellecomme on va voir.

Le lieutenant de police savait, par le Régent,qu’un chenal souterrain creusé sous la maison de la rue del’Hirondelle aboutissait à la Seine.

Ni le président Boisfleury, ni Porion ne s’endoutaient encore.

Il ne s’agissait donc que de deuxchoses : d’abord convenir avec le chevalier d’Esparron qu’ilne sortirait plus de la maison.

Ensuite fixer d’avance l’heure où Janine etlui s’échapperaient par le chenal souterrain, dans une barque.

À cette époque, la police avait établi unservice de sûreté sur la Seine.

Un lourd bateau, monté par une troupe desergents et d’archers, faisait une ronde de nuit pour surveillerles nombreuses embarcations amarrées sur les deux rives.

Le bateau avait ordre de stationner, à l’heuredite, auprès du chenal et recueillerait ainsi deux fugitifs, à labarbe de Porion et de ses hommes, qui ne seraient pas en nombresuffisant pour tenter leur arrestation.

Comme on le voit, tout cela avait été assezbien combiné.

Malheureusement, le chevalier d’Esparron, àqui le Régent avait fait part du plan conçu par le lieutenant depolice, répondit qu’il avait besoin de se concerter avecJanine.

Il avait été convenu alors qu’on enverrait unhomme sûr prendre ses ordres, et que cet homme entrerait par lechenal au lieu de se présenter à la porte de la rue del’Hirondelle.

Quelques heures après, en effet, que lechevalier fut entré et eut délivré Guillaume, qu’il avait trouvégarrotté, l’homme se présenta.

C’était un vigoureux gaillard qui nageaitcomme un poisson et dont le lieutenant de police était sûr.

Cet homme pénétra dans le chenal, et lechevalier d’Esparron, qui l’attendait au bas de l’escalier parlequel le marquis de la Roche-Maubert devait se sauver lelendemain, lui dit :

– Nous serons prêts samedi, à minuit.

L’homme s’était remis à la nage ; mais ilfaisait clair de lune, et Porion, qui était en surveillance sur lepont Saint-Michel, l’aperçut.

Alors Porion avait compris que la maison avaitune seconde issue sur la rivière.

Seulement, fidèle à ses conventions avec lelieutenant de police, il s’était borné à placer un bateau et deuxhommes à portée de l’entrée du chenal, se disant :

– M. le lieutenant de police serabien penaud, les huit jours expirés.

Personne n’était donc plus sorti de lamaison.

La nuit suivante, le Régent mourut subitementen sortant de souper.

Alors Porion se trouva dégagé, d’autant mieuxque le premier soin du duc de Bourbon, proclamé premier ministre,avait été de destituer le lieutenant de police.

Et pourtant la journée tout entière s’étaitécoulée sans qu’il osât envahir la maison de la rue del’Hirondelle.

Mais, comme il l’avait dit àM. de la Roche-Maubert, il avait été arrêté jusque-là parla crainte qu’on ne se défît du marquis.

Le marquis sauvé, Porion n’avait plus àhésiter, et c’est ce qu’il fit, comme on va le voir.

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