La Femme immortelle

Chapitre 1

 

 

La rue Saint-Honoré était alors une rue dubel air.

Plus d’un grand seigneur s’enorgueillissaitd’y avoir son hôtel, et les litières et les beaux équipages s’ycroisaient en tout sens.

Le feu roi n’avait presque pas quittéVersailles ; mais le Régent aimait Paris.

Or le Régent c’était alors le pouvoir, c’est àdire la cour, car un roi de neuf ans ne comptait guère.

Le beau monde avait donc fui Versailles pourParis, et la rue Saint-Honoré, qui passait devant le Palais-Royal,était la rue à la mode entre toutes les rues.

On ne s’étonna donc point, un matin,d’apprendre que le très haut et très puissant seigneur le princemargrave de Lansbourg-Nassau, après avoir passé quarante-huitheures rue de l’Arbre-Sec, s’était installé dans un bel hôtel de larue Saint-Honoré, à l’angle même de la rue des Bons-Enfants.

L’arrivée de ce haut personnage avait faitquelque bruit dans Paris.

On disait de lui des choses merveilleuses.

D’abord, le margrave était fabuleusementriche ; ensuite, il jetait l’or par les fenêtres.

Enfin, il venait à Paris pour se marier.

Annoncez qu’un homme riche est à marier, etles jeunes filles pleuvront.

Le margrave aurait eu cent vingt ans et latête de Méduse, qu’il aurait encore trouvé du choix.

La cour et la ville s’étaient émues.

Aux environs de l’hôtel qu’il habitait, lescommentaires s’entassaient sur les commentaires.

Les bonnes gens du quartier, au mépris ducouvre-feu, s’entassaient le soir au seuil des portes et selivraient à mille conjectures.

Cependant personne n’avait vu le margrave.

Il était entré de nuit dans sa nouvelledemeure et ne s’était plus montré.

Était-il jeune ?

Était-il vieux ?

C’était là une question que personne nepouvait résoudre.

Tout ce qu’on savait, c’est que le princeavait fait savoir dans Paris que les plus jolies filles pouvaientse présenter et qu’il ferait un choix, à partir du lundi de laPentecôte, qui était précisément le jour où cette histoirerecommence.

Juste en face de l’hôtel, et par conséquent del’autre côté de la rue, se trouvait la boutique de maîtreChaubourdin.

Chaubourdin était un apothicaire.

Les apothicaires, en général, ont toujoursjoué un rôle dans l’histoire des peuples, et Chaubourdin, mieuxqu’aucun de ses confrères, avait droit à une certaineconsidération.

Chaubourdin était un petit homme entre deuxâges, qui se mêlait de tout ce qui ne le regardait pas, et dontl’officine était ouverte à quiconque avait une nouvelle à répandre,ou une histoire à raconter.

La boutique de Chaubourdin était un véritablebureau de renseignements, où chacun apportait son petit récit etson cancan du jour.

Le rôle du spectateur ne contentait pointChaubourdin.

Il cherchait des nouvelles, de son côté, avecbeaucoup de zèle et de conscience, et, quand il n’en avait pas, ilen inventait.

Chaubourdin s’était donc mis sous les armesdès l’installation du margrave, bien décidé à ne pas laisser passerinaperçu le moindre fait et le moindre geste de ce hautpersonnage.

Le premier jour, il s’était mis à causer avecun petit page gouailleur qui lui avait parlé des projetsmatrimoniaux de son maître.

Une heure après, il avait fait la connaissancede maître Conrad, l’intendant vêtu d’écarlate que nous avons vufaire ses confidences au marquis de la Roche-Maubert.

À midi, Chaubourdin savait que le margraveétait vieux.

À cinq heures du soir, il pouvait affirmer quela fortune du margrave rendrait le roi de France jaloux.

Le lendemain matin, comme il ouvrait saboutique, la porte de l’hôtel s’ouvrit pareillement.

Un homme en sortit.

C’était Conrad, l’intendant vêtu de rouge.

Chaubourdin, en le voyant traverser la rue etvenir à lui, crut qu’il lui faisait une visite de politesse pure etsimple.

Mais Conrad le combla de joie en ledésillusionnant.

– J’ai besoin de vous lui dit-il.

Chaubourdin, qui était tout petit, se sentittout à coup grandi de cent coudées.

Conrad lui dit :

– Le prince a un médecin.

– Est-il malade ?

– Non.

– Alors, à quoi bon le médecin ? fitl’apothicaire qui était plein de scepticisme.

– Pour ne pas le devenir, répliquaConrad.

Et il mit une ordonnance sous le nez del’apothicaire.

Chaubourdin la lut.

Cette ordonnance était tellement bizarre, quel’apothicaire s’écria :

– Bon Dieu ! mais à quoi donc peutservir tout cela ?

L’intendant se mit à rire…

– Bah ! fit-il, vous me paraissez unhomme de bon sens…

– Je m’en vante, fit Chaubourdin avecorgueil.

– Discret…

– Comme la tombe.

– Et je puis bien vous faire uneconfidence ?

– Parlez…

– Le prince est vieux.

– Ah !

– Si vieux qu’il veut se rajeunir.

– C’est difficile.

– L’ordonnance que je vous apporte est deson médecin. Vous confectionnerez, grâce à elle, un breuvage quirendra quelque force à Son Altesse.

– Parfait.

– En outre du breuvage, l’ordonnanceprescrit une certaine pâte, n’est-ce pas ?

– Oui.

– Cette pâte est destinée à couvrir lesrides du prince et à les faire disparaître.

– À merveille !

– Ensuite, il est question d’uncosmétique, je crois ?

– Oui, certes.

– Ce cosmétique a pour but de teindre enbrun les cheveux et la barbe du prince qui sont blancs.

– De mieux en mieux.

– Mettez-vous donc à la besogne.

– À l’instant même.

– Et soyez discret…

– Je vous le jure.

L’intendant avait eu raison de se fier à ladiscrétion de maître Chaubourdin l’apothicaire.

Le soir même, tout le quartier savait que leprince margrave de Lansbourg-Nassau employait des breuvages, despâtes et des cosmétiques destinés à le rajeunir.

Et tout le monde attendait.

Car, Chaubourdin l’avait dit, un grandévénement se préparait…

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