La Femme immortelle

Chapitre 16

 

 

Le premier des deux porteurs l’avait fort biendit, le président Boisfleury était couché et dormait probablement,car les deux drôles frappèrent plusieurs fois à tour de bras sur lavieille porte de la vieille maison sans obtenir de réponse.

Le président Boisfleury s’était mis au lit enrentrant et il dormait sans doute de ce lourd sommeil qui est commela récompense des consciences tranquilles.

Enfin une fenêtre s’ouvrit au dessus de lagrande porte et le président, coiffé d’un bonnet de coton, demandace qu’on lui voulait.

– C’est nous, monsieur le président,répondit l’un des porteurs.

Le président reconnut la chaise dont ils’était servi toute la soirée.

– Hé ! que voulez-vous,drôles ? fit-il, qu’avez-vous à réclamer ? Vous aurais-jepar hasard payé avec un écu rogné ?

La voix du magistrat était aigre comme celled’un homme mécontent d’avoir été éveillé en sursaut.

– Non, monsieur le président, réponditl’autre drôle sans se déconcerter le moins du monde.

Seulement nous croyons avoir découvert latrace d’un crime, et nous venons vous en prévenir.

À ce mot de crime, le zélé président avaitbondi comme un cheval de bataille, rendu à la charrue, dressel’oreille quand il entend le clairon.

Le premier porteur acheva de le subjuguer enajoutant :

– Et, comme nous savons votre grand amourpour la justice et votre exécration pour les malfaiteurs, nousn’avons pas hésité à vous réveiller.

– Mais de quel crime est-ilquestion ? demanda encore le président.

– Nous avons trouvé un homme dans larue.

– Bon !

– Un homme qui n’est pas mort, et qui,cependant, ne peut pas parvenir à s’éveiller. Nous pensons qu’il ya dans cette singulière ivresse dont il paraît atteint quelquechose qui n’est pas naturel.

– Et où est-il, cet homme ?

– Nous l’avons laissé dans la chaise, etnous vous l’apportons.

Le président disparut de la fenêtre endisant :

– Attendez… je descends…

– Eh bien, dit le second porteur, que tedisais-je ? Le bonhomme est capable de passer une nuit tout àfait blanche par amour de la justice et en haine des voleurs.

– C’est pourtant vrai.

– N’est-ce pas un bon tour ?

– Oh ! excellent.

La vieille gouvernante du président Boisfleuryétait sourde ; elle n’avait donc pas entendu frapper, et sonmaître, enfin éveillé, n’ayant pas hésité à se lever, jugea inutilede troubler son repos.

Il descendit donc lui-même ouvrir la porte, encaleçon, en bonnet de coton, tenant, en guise de lampe, unechandelle à la main.

À peine la porte s’était-elle ouverte, que lesdeux porteurs ne donnèrent point au président le temps de mettre lepied dans la rue.

Tout au contraire, ils prirent la chaise et laportèrent dans le vestibule.

M. Boisfleury s’approcha alors, sachandelle à la main, écarta les rideaux de cuir de la chaise et vitle chevalier de Castirac toujours plongé dans un sommeilprofond.

– Hum ! hum ! fit-il, voilà unvisage qui ne me revient qu’à moitié.

– C’est l’effet qu’il nous a produit, ditle premier porteur.

– Aussi n’avons-nous pas hésité, repritle second…

– C’est bien, c’est bien, fit leprésident.

Puis il examina les vêtements dépenaillés duchevalier.

– Hum ! hum ! répétait-il,c’est un aventurier… un soudard, cela se voit.

Puis il ajouta :

– Pincez-moi ce gaillard-là, qu’ils’éveille et que je l’interroge.

Les deux porteurs secouèrent la tête.

– Nous n’avons jamais pu l’éveiller,dirent-ils.

– Pincez-le toujours.

Ils obéirent en conscience et le chevalier nes’éveilla point.

– Sortez-le de la chaise, ordonna encorele président Boisfleury.

Le chevalier était comme une masse inerte.

Les deux porteurs l’étendirent sur le sol duvestibule.

– Mais il est mort ! dit leprésident.

– Nous l’avons cru comme vous,monsieur ; mais vous allez voir que son cœur bat.

Le président, ravi, posa sa main sur le cœurdu chevalier et en sentit parfaitement les pulsations.

Alors il se mit à le secouer lui-même et à lepincer aux deux bras, de façon à lui faire de véritables bleus.

Le chevalier dormait toujours.

– Voilà qui est bienextraordinaire ! murmurait le petit homme, dont les yeuxbrillaient d’une sombre joie ; car il entrevoyait déjà unemagnifique instruction à faire.

Il ouvrit une porte qui donnait sur levestibule.

Cette porte était celle d’une petite salledans laquelle il y avait un lit.

– Prenez-moi cet homme, ordonna encore leprésident, et apportez-le moi ici.

En même temps, il passa le premier et s’arrêtaauprès du lit, sa chandelle à la main.

Le chevalier fut étendu dessus, et l’un desporteurs, sur un signe du président, se mit à dégrafer sa veste età déboutonner sa chemise.

Ni la gorge ni la poitrine ne portaient aucunetrace de violence ni aucune blessure.

En même temps, le sommeil léthargique danslequel il était plongé paraissait d’une régularité parfaite et sapoitrine se soulevait comme celle d’un homme qui dortnaturellement.

– Voilà qui est vraiment bienextraordinaire ! murmurait le président de plus en plusjoyeux.

Il alla chercher du vinaigre et en imbiba lestempes, les lèvres et les narines du chevalier.

Ce fut peine perdue.

– Et où l’avez-vous trouvé ?dit-il.

– Dans le ruisseau, rue Saint-Honoré, aucoin de la rue des Bons-Enfants.

– Ah !

– Il avait une lanterne sur leventre.

Un souvenir parut traverser l’esprit duprésident :

– Rue des Bons-Enfants,dites-vous ?

– Oui, monsieur le président.

– N’est-ce pas là qu’est un hôtel danslequel est descendu un personnage un peu… extraordinaire… un princeallemand ?…

– Justement.

– Hum ! hum !

Et le président Boisfleury flairait de plus enplus une belle instruction criminelle.

– Fouillez-moi ce drôle-là, dit-il,peut-être a-t-il sur lui quelques papiers importants.

Les deux porteurs obéirent encore, et ce futcelui qui avait émis l’opinion, un quart d’heure auparavant, qu’unhomme dont les habits étaient aussi fanés ne pouvait loger que lediable en sa bourse, qui fourra sa main dans les poches duchevalier.

À la grande stupeur de son compagnon, il enretira une bourse.

Et cette bourse était ronde, et le présidentl’ayant ouverte, elle se trouva pleine d’or.

Les deux porteurs se regardèrent consternés,et celui qui s’était montré si honnête soupira.

Le président, au contraire,murmurait :

– Un homme aussi mal vêtu, et qui a del’or plein ses poches, voilà qui est de moins en moins naturel.

Et il posa la bourse sur la cheminée,ajoutant :

– Ce sera le point de départ de moninstruction.

En même temps, il regarda les deuxporteurs :

– Vous êtes de braves gens, leur dit-il,vous avez, selon toute apparence, rendu un grand service à lajustice, et vous méritez une récompense.

Ce disant, il fouilla dans sa propre poche eten retira une seconde pièce de douze sous qu’il leur offritmajestueusement.

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