La Femme immortelle

Chapitre 39

 

 

Le marquis avait l’épée à la main.

Quand il se trouva en présence de l’homme aumasque, il poussa comme un rugissement.

– À nous deux, fit-il.

L’homme au masque laissa sa rapière aufourreau.

– Vous voulez donc votre revanche ?demanda-t-il avec calme.

– Sans doute, dit le marquis, et jem’étonne que vous n’ayez point dégainé encore.

– C’est que je ne vous savais pas aussipressé.

– Vraiment !

– Et que je ne le suis pas moi-même.

– Vous deviez pourtant vous attendre à meretrouver sur votre chemin, dit le marquis furieux.

– Très certainement, et la preuve en estque je suis venu vous ouvrir.

– Ah ! c’est juste, fit le marquisfrappé de la logique de cette réponse.

– Or, poursuivit le chevalier, si vousvoulez m’écouter une seconde, vous verrez…

– Parlez !

– Vous êtes entré dans la maison,là-haut…

– Naturellement.

– Vous voulez absolument voir la femmeimmortelle, comme vous l’appelez ; et, poursuivit l’homme aumasque, toutes les bonnes raisons qu’aura pu vous donner maîtreGuillaume vous auront paru mauvaises, puisque vous voilà ici.

– Vous savez cela ?

– Je l’imagine, puisque Guillaume afrappé la plaque de la cheminée, derrière laquelle se trouve untimbre qui correspond à l’endroit où je me trouvais, ce qui faitque je suis venu à votre rencontre.

– Eh bien, monsieur, dit le marquis,maintenant que vous voilà fixé, en garde, s’il vous plaît.

– Un mot encore, et je suis à vosordres.

– Soit, mais hâtez-vous.

– Il est bien convenu, poursuivit l’hommeau masque, que vous n’êtes pas venu jusqu’ici uniquement pour vousrencontrer avec moi de nouveau et prendre votre revanche.

– Non, je suis venu, parce que je veux lavoir.

– Eh bien, si nous nous battons tout desuite et que je vous tue, vous ne la verrez pas.

Ceci était encore parfaitement logique.

Cependant le marquis eut un geste dedéfiance :

– Je crois, dit-il, que vous avez peur etque vous cherchez à m’échapper.

– Dieu m’en garde ! et j’irai plusloin encore, dit l’homme au masque avec colère. Du moment que vousêtes venu jusqu’ici, nous n’avons plus de raison pour vous barrerle chemin, et si vous voulez voir la femme immortelle, je suis prêtà vous conduire auprès d’elle. Après quoi, si le cœur vous en ditencore, je me mettrai à votre disposition.

En bonne conscience, le marquis de laRoche-Maubert n’avait plus aucune objection à faire.

– Eh bien, soit, dit-il, marchons.

– Suivez-moi, répondit l’homme aumasque.

Puis, élevant son flambeau au dessus de satête de façon à éclairer la route, il passa le premier.

Le marquis avait remis son épée aufourreau.

Le corridor était long, tournait sur lui-mêmecomme un large escalier, affectait une pente assez rapide, etrappelait à M. de la Roche-Maubert, cette voie originaleconstruite par Louis VIII dans une des tours du château d’Amboise,laquelle permettait au monarque d’arriver en litière, à cheval ouen char jusque sur la plate-forme du palais qui est à plus de centpieds au dessus du niveau de la Loire.

– Mais ce corridor ne finira doncjamais ? s’écria le marquis perdant patience.

L’homme au masque se retourna :

– Il finira toujours trop vite pour vous,dit-il d’une voix empreinte d’une raillerie triste.

– Ah ! oui, ricana le marquis, vousallez sans doute me tenir le même langage que le Régent.

– Le Régent vous aimait beaucoup,marquis.

– Il m’aimera encore…

– Ou du moins il vous regrettera.

– Plaît-il ?

L’homme au masque s’était arrêté.

– Écoutez, marquis, dit-il, vous êtesfou, mais l’honneur doit vous être cher encore, et je suisconvaincu que si vous me donniez votre parole, vous latiendriez…

– Que voulez-vous dire ? fit lemarquis avec hauteur.

– Que vous allez, tête baissée, à lamort.

– Oh ! oh ! est-ce vous qui metuerez ?

– Je ne puis rien dire. Seulement, degrâce, écoutez-moi encore. Vous avez fait violence à Guillaume,vous avez trouvé un chemin qu’on ne voulait pas vous laisserparcourir, vous êtes venu jusqu’ici, tout cela est fort bien.Consentez à revenir en arrière, donnez-moi votre parole degentilhomme que vous retournerez dans votre province, que vous neparlerez plus à personne de ce que vous avez vu, que vous neprononcerez plus désormais le nom de la femme immortelle et il enest temps encore, je vous sauve !

– Monsieur, dit le marquis avec colère,je vous ai accepté comme guide et non comme conseiller.

– Ainsi, vous voulez aller enavant ?

– Morbleu ! oui, je leveux !

– Eh bien, dit tristement l’homme aumasque, que votre volonté soit faite.

Et il se remit en marche.

En outre de son épée, on s’en souvient, lemarquis s’était muni de ses pistolets.

– Vive Dieu ! murmurait-il ensuivant l’homme au masque qui avait allongé le pas, une armée ne meferait pas reculer maintenant.

Le corridor fit une dernière évolution surlui-même, et le marquis se trouva en présence d’une nouvelleporte.

– Écoutez, dit encore l’homme au masque,si depuis tout à l’heure vous aviez réfléchi, il serait temps derevenir sur vos pas.

– Jamais ! s’écria le marquis.

L’homme au masque ôta silencieusement sonchapeau.

– Que faites-vous ? demanda lemarquis hors de lui.

– Je salue celui qui va mourir,dit-il.

Et il frappa à cette porte qu’il avait devantlui.

Une voix de femme se fit entendre derrièrecette porte, disant :

– Qui est là ?

– Le marquis de la Roche-Maubert,répondit l’homme au masque.

– Vous n’avez donc pu lui fairerebrousser chemin ?

– Non.

– C’est la voix de Janine, je lareconnais ! s’écria le marquis ; je veux la voir.

– Que la volonté de la destinées’accomplisse donc ! reprit la même voix.

En même temps la porte s’ouvrit.

Alors le marquis ébloui par une gerbe delumière, se trouva au seuil de cette salle orientale dans laquellele Régent avait pénétré quelques nuits auparavant.

Janine était assise sur une pile de coussins,son enivrant sourire aux lèvres.

Et le marquis, ivre d’amour, se précipita verselle et lui dit en se mettant à genoux :

– Oh ! oui, c’est bien toi… toi quej’ai aimée… toi que j’aime encore !…

Et il prit une des mains de la femmeimmortelle et la porta avec transport à ses lèvresparcheminées.

La porte qu’il venait de franchir s’étaitrefermée et l’homme au masque avait disparu.

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