La Femme immortelle

Chapitre 4

 

 

Pénétrons maintenant avant le chevalier deCastirac et sa nouvelle alliée Jeanne la Bayonnaise, à l’intérieurde l’hôtel du margrave, dont la cour était illuminée comme unecathédrale un jour de fête.

Paris était alors ce qu’il estaujourd’hui.

La baguette d’or y transformait tout enquelques heures.

Tandis que le vieux prince allemand, l’ancienassocié de Janine la chercheuse d’or, passait deux jours àl’hôtellerie de l’Arbre-Sec, une armée de tapissiers, de maçons etde peintres sous les ordres de maître Conrad, l’intendant vêtu derouge et le tremblant époux de la terrible madame Edwige, avaientenvahi ce vieil hôtel inhabité et l’avaient converti en un palaisdes Mille et une Nuits.

Le margrave y était entré l’avant-veille ausoir, à une heure assez avancée pour que nul ne le vît.

Il était descendu péniblement de sa litière,tant il était vieux et cassé ; puis, appuyé sur l’épaule del’un de ses pages, donnant le bras à madame Edwige, il s’étaittraîné jusqu’à la somptueuse chambre à coucher qu’on lui avaitpréparée.

Là, madame Edwige l’avait confié à ses deuxmédecins, dont l’un était allemand et l’autre hongrois.

Pendant quarante-huit heures, le vieillardavait été plongé dans différents bains odorants, frotté d’huiles etde parfums ; on l’avait enduit de pâtes mystérieuses ;puis on l’avait, au moyen d’un narcotique, plongé dans un sommeilprofond.

Il s’endormait vieux et devait se réveillerjeune… au moins pour quelques heures.

Le moment de cette résurrection venu, lemargrave qui était fait du reste à ces métamorphoses, avait ouvertles yeux, étiré ses membres, auxquels on avait rendu une souplessemomentanée.

Il s’était regardé dans un petit miroir qu’onlui avait apporté, et il s’était vu jeune, les cheveux noirs, lefront sans rides.

En même temps, madame Edwige était entrée.

– Eh bien, monseigneur, avait-elle dit,êtes-vous toujours dans l’intention de passer en revue les plusbelles fille de Paris et d’épouser celle qui vous plaira leplus ?

– Oui, certes, avait répondu lemargrave.

– J’ai fait répandre cette nouvelle auxquatre coins de la ville, poursuivit madame Edwige.

– Fort bien.

– Et déjà la rue est encombrée delitières et de carrosses. Vous avez du choix, et il est possibleque vous soyez embarrassé.

– Bah ! fit le margrave, je suisassez connaisseur pour discerner la plus belle au premier coupd’œil.

– Il suffit de ne pas se presser, ditmadame Edwige.

Elle était sortie alors et avait envoyé aumargrave deux de ses pages.

Ceux-ci avaient procédé à la toilette de leurseigneur et maître.

Certes, cette toilette terminée, aucun de ceuxqui avaient vu le vieux margrave descendre de son carrosse à laporte de l’hôtellerie de la rue de l’Arbre-Sec, ne l’eussentreconnu alors, tant il était changé.

Le vieillard était presque un jeune homme, etil était vêtu avec une extrême élégance.

Il se mit à marcher la tête haute, tendant lejarret, la main entourée de dentelles, coquettement placée sur lacoquille de son épée de gala.

– Vous avez vingt ans, lui dit madameEdwige en reparaissant, et je ne plains pas celle qui aura lebonheur de plaire à Votre Altesse.

– Où sont-elles ? demandale margrave.

– Oh ! fit en souriant madameEdwige, Votre Altesse y met trop d’impatience. Il en est venu plusde cent à l’heure qu’il est, et nous avons dû, Conrad et moi,imaginer un petit système de triage.

– Comment cela ?

– Conrad est dans la cour.

– Bon.

– Si une femme n’est que médiocrementbelle, il la prie de remonter en carrosse ou en litière, etl’avertit qu’elle n’a aucune chance de plaire à Votre Altesse.

– Ah ! cela est fort bien, dit lemargrave. C’est une manière de simplifier les choses.

– Justement. Quant aux femmes plusjolies, reprit madame Edwige, on les introduit dans un petit salon.Il y en a déjà une demi-douzaine.

– Alors, j’y vais, dit le margrave.

– Non, dit madame Edwige, ce n’est pasainsi que les choses sont disposées : prenez ma main,monseigneur, et accompagnez-moi…

Le margrave subissait toujours la volonté demadame Edwige.

Il ne fit donc aucune objection et obéit.

Elle le conduisit dans une salle à peineéclairée par une lampe à verre dépoli, le fit asseoir sur un canapéet souleva un rideau.

– Maintenant, regardez, dit-elle.

Le rideau qu’elle venait d’écarter recouvraitune glace sans tain.

À travers cette glace on voyait le petit salondont avait parlé madame Edwige brillamment éclairé, et dans cesalon plusieurs jeunes filles.

Le margrave les regarda une à une.

– Peuh ! fit-il, elles sontlaides !

– Fort bien, dit madame Edwige, je vaisles éconduire, alors.

Elle quitta le margrave, gagna un corridor etentra par une autre porte dans le petit salon.

Le margrave, à travers la glace, ne putentendre ce qu’elle disait, mais il vit les jeunes filles se leverl’une après l’autre, pâlir et rougir tour à tour, et se retirer uneà une pleines de confusion.

En même temps Conrad entra.

– Le prince est-il à son poste ?demanda-t-il à sa terrible femme.

– Oui, depuis quelques minutes.

– Bien. Aucune de celles-là ne lui aplu ?

– Tu penses, répondit madame Edwige ensouriant, que la glace à travers laquelle il regarde et qui élargitet grossit les traits, n’est pas faite pour embellir. Nous luiferons passer ainsi devant les yeux toutes les femmes de Paris sansqu’une seule lui plaise.

– Et c’est bien ce que nous voulons,n’est-ce pas ? murmura Conrad.

– Dame ! pour que celle à qui nousobéissons triomphe, il le faut bien.

– Mais, reprit madame Edwige, tu peux enfaire entrer tant que tu voudras.

Conrad sortit.

Le prince, dans sa cachette, vit alorsparaître l’une après l’autre, six autres jeunes filles.

Certes, elles étaient belles à l’envi, maiscette glace dont madame Edwige avait trahi le secret, n’était pasde nature à les avantager.

Et le prince frappa deux petits coups à laglace.

Madame Edwige quitta le salon et allarejoindre le bizarre personnage.

– Tout cela est laid, dit-il. Et je nevois pas pourquoi l’on me dérange pour si peu.

Madame Edwige retourna dans le salon etcongédia les six autres jeunes filles.

En ce moment, le chevalier de Castiractraversait la cour, donnant la main à Jeanne la Bayonnaise.

Conrad l’arrêta au passage.

– Où allez-vous ? dit-il.

– Mademoiselle est ma sœur, dit-il.

– Eh bien ?

– Elle est assez belle, comme vous voyez,pour prétendre à quelque succès.

– Je ne dis pas non, fit Conrad, et simademoiselle veut me suivre…

– Non pas, dit le Gascon, je l’accompagnepartout et je veux entrer avec elle.

– Mais, c’est impossible !

– Allons donc ! fit le Gascon quiregarda Conrad dans le blanc des yeux.

Et il repoussa l’intendant et entra dans lepetit salon où madame Edwige attendait.

Jeanne était triomphante et sedisait :

– Le margrave va tomber à mes pieds etm’offrir sa fortune et sa main !…

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