La Femme immortelle

Chapitre 3

 

 

Près de huit jours s’étaient écoulés.

La captivité change en haine féroce tous lesautres sentiments qui se partageaient autrefois l’âme et le cœurd’un prisonnier.

Le marquis de la Roche-Maubert n’aimait plusJanine. Le marquis avait conçu pour elle une haine sauvage etmortelle.

Cependant au lieu de l’abattre, cet isolementavait surexcité sa fureur.

Pendant huit jours, le marquis avait hurlé etblasphémé sans relâche, injuriant le chevalier d’Esparron qui levisitait tous les soirs et lui faisait passer des provisions àtravers les barreaux de sa cage.

Puis il avait vu, une nuit, venir deux autresvisions, – on s’en souvient, – Janine et le margrave.

Et Janine lui avait dit d’un tonmoqueur :

– L’heure de votre délivrance approche,marquis, et je veux que vous y puissiez travailler vous-même.

Et sur ces mots, on se le rappelle encore,elle lui avait jeté une petite lime en lui disant :

– Voilà pour scier vos barreaux ;mais, en travaillant sans relâche, vous n’arriverez pas àreconquérir votre liberté avant quinze jours.

Janine disparue, il s’était écoulé environtrois heures.

Le marquis n’avait même pas ramassé la lime etil avait continué à vociférer.

Au bout de ce temps, la lumière avait reparudans l’escalier.

C’était encore le chevalier d’Esparron.

Le chevalier portait un énorme panier, cettefois, et qui devait renfermer des vivres pour plusieurs jours.

– Marquis, dit-il, je vais être trèsoccupé désormais, et je ne sais pas si j’aurai le temps de vousvenir visiter régulièrement.

« Aussi vous apporté-je des vivres pour unesemaine. D’autant plus qu’elle m’a dit vous avoir donné une limedont vous pourrez faire bon usage.

Sur ces mots, le chevalier fit passer du paincoupé en petits morceaux et des viandes froides à travers lesbarreaux, puis il jeta dans l’intérieur de la cage un paquet dechandelles et en laissa une allumée auprès des barreauxajoutant :

– Puisque vous allez travailler, il est àpropos que vous y voyiez !

Et le chevalier s’en alla.

Le marquis n’avait même pas ramassé lalime.

Cet outil était si petit et les barreaux de lacage si gros, que sa première pensée avait été que Janine et lechevalier d’Esparron se moquaient de lui.

Cependant, la lumière succédant aux ténèbresqui l’enveloppaient depuis sa captivité, ramena un peu de calmedans son esprit.

Il cessa tout à coup de hurler et deblasphémer.

Puis il ramassa la lime et se prit àl’examiner.

Elle était petite, mais d’acier bien trempé,et comme il l’essayait sur un des barreaux, il sentit que ses dentsmordaient bien.

Alors il se souvint d’une foule d’histoires deprisonniers qui avaient percé des murs avec un clou et scié leurschaînes avec un ressort de montre.

Et l’espoir de la délivrance lui monta aucerveau comme une ivresse et il se mit à la besogne.

Pendant une demi-journée environ, le marquislima, lima sans relâche, ne s’arrêtant que pour remplacer par uneautre la chandelle consumée et oubliant même de manger.

Au bout de plusieurs heures, le marquis,essoufflé, le front baigné de sueur, reconnut la vérité des parolesde Janine.

À travailler sans relâche, il en avait pourquinze jours. La lime mordait bien, mais les barreaux étaient siépais ! Et puis ils étaient serrés les uns contre les autres,au point qu’il faudrait en scier au moins quatre de haut en bas, ettout autant en travers pour pratiquer une ouverture assez grandepour que le marquis pût passer au travers.

Il eut un accès de découragement etabandonnant un moment sa besogne, il alla s’asseoir sur le grabatplacé au fond de la cage et qui lui servait de lit.

La chandelle posée à terre, éclairait lecachot du bas en haut.

Les yeux distraits du marquis allaient dugrillage au plafond formé par d’énormes solives, et comme ceplafond était très bas, quand il se tenait tout debout, il letouchait presque avec sa tête.

Soudain les regards du marquis se trouvèrentcomme rivés entre deux de ces poutres.

Il avait vu une fuite, et cette fuite luiannonçait une ouverture.

Il se leva, prit la chandelle et l’approcha duplafond.

Les poutres étaient recouvertes d’un badigeon,mais l’humidité avait détaché peu à peu le plâtre qui les hourdaitl’une à l’autre, pour nous servir d’une expression de maçon, et lemarquis reconnut dans deux de ces poutres l’existence d’une trappecondamnée.

Comment s’ouvrait-elle autrefois ?

Le marquis ne le savait pas, et ceux quil’avaient enfermé dans cette cage n’en soupçonnaient peut-être pasl’existence, car elle était en partie masquée par le badigeon.

Alors, avec la pointe de sa lime,M. de la Roche-Maubert se mit à faire tomber le plâtrepeu à peu, et, en moins d’une demi-heure, il eut dégagé lesrainures et mis à découvert deux charnières, sur lesquelles elleavait dû tourner jadis.

Ces charnières étaient en fer, mais d’uneépaisseur ordinaire.

M. de la Roche-Maubert traîna songrabat verticalement au dessous, monta dessus, et, abandonnant lesbarreaux de la cage, il se mit à attaquer avec la lime l’une descharnières.

Le fer était oxydé et la lime mordaitaisément.

Il ne fallut pas une heure au marquis pour quela première charnière fût rompue.

Alors il entama la seconde et, moins d’uneheure après, la trappe ne tenait plus au plafond que par un verrouou un pêne invisible et qui devait s’ouvrir de l’étagesupérieur.

Mais de même qu’il est toujours faciled’enfoncer une porte dont on a brisé les gonds, de même enintroduisant un outil quelconque dans la rainure qui avait supportéles charnières, il serait facile de faire jouer la trappe.

Malheureusement, la lime était trop petite, etl’outil dont le marquis avait besoin, n’était pas sous sa main. Ilregarda autour de lui, fit le tour de son cachot cherchant et netrouvant rien.

Tout à coup ses yeux s’arrêtèrent sur unegrosse pierre qui était dans un coin et lui servait parfois desiége.

Cette pierre était lourde et pesait plus dequarante livres.

Mais le marquis, en dépit de ces[sic] soixante-six ans, était robuste.

Il prit la pierre à deux mains, l’éleva audessus de sa tête, puis s’en servant comme d’un bélier, il se prità heurter violemment la trappe.

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