La Femme immortelle

Chapitre 1

 

 

Revenons maintenant à notre ami le présidentBoisfleury qui prenait tant de peines, de mal et de souci pour leplus éclatant triomphe de la justice dont il se croyait le plus purreprésentant sur la terre.

Le président Boisfleury s’était donné beaucoupde mal depuis quelques jours.

On sait comment le Régent et le cardinalDubois l’avaient reçu.

Mais un tel accueil ne pouvait rebuterl’infatigable magistrat.

Toute sa vie le président Boisfleury avaittrouvé des coupables, et ce n’était pas à la fin de sa carrièrequ’il allait déroger à ses principes en ne voyant plus autour delui que des innocents.

Éconduit de chez le Régent, il était allé chezla duchesse du Maine.

La grande maîtresse de l’ordre de la Mouche àmiel, lui avait dit :

– Le Régent est un misérable qui protègeles vauriens, les assassins et les filous. Mais il esttout-puissant. Telle que vous me voyez, je suis exilée dans materre de Sceaux et ne pourrais vous être d’aucun secours.

De chez la duchesse, le président était alléchez le duc de Bourbon, puis chez madame de Prie, sa maîtresse.

On lui avait fait la même réponse.

Mais les obstacles, au lieu de rebuterl’acharné président, l’exaltaient, tout au contraire.

Un autre eût renoncé à retrouver le marquis dela Roche-Maubert et à se mêler des affaires du margrave.

Le président s’écria :

– Quand je devrais être moi-même agent depolice, j’irai jusqu’au bout.

Le Gascon Castirac avait pris la fuite ;mais le président ne renonçait pas à le retrouver.

D’ailleurs, il avait appris qu’un capitaineaux gardes s’était présenté, pour arrêter le Gascon, cinq minutesaprès le départ de celui-ci.

On redoutait donc Castirac !

– Si je remets la main sur lui, s’étaitdit Boisfleury, il sera le plus bel atout de mon jeu.

Et le président, loin de renoncer à la tâchequ’il s’était imposée, avait mandé auprès de lui l’agent de policePorion.

Ce Porion, qui devait plus tard jouer un rôleimportant, sous le nom de Père Cannelle, dansl’arrestation du régicide Damiens, était non seulement un hommehabile, mais encore un ambitieux.

Il voulait être lieutenant de police, lui,homme de rien ; et il n’attendait qu’une occasion pour sesignaler à l’attention des gens qui tenaient le pouvoir enmains.

Le lieutenant de police avait-il pénétré sesvues ambitieuses ?

La chose était probable, car depuis quelquetemps il ne l’employait plus.

Alors, les gens de police n’avaient pas untraitement fixe, mais chaque affaire leur était payée selon sonimportance.

Boisfleury fit donc venir Porion.

Il ne lui parla point du Régent, mais il luidit que le lieutenant de police avait refusé de se mêler de cetteaffaire.

Porion vit là une excellente occasion, nonseulement de se signaler, mais de se mettre en révolte ouverte avecson chef, en s’assurant l’appui du parlement.

Trois jours après s’être mis en campagne, ilrevint un matin chez Boisfleury.

– Monseigneur, lui dit-il, je tiens tousles fils d’une vaste intrigue.

– Ah ! fit Boisfleury,voyons !

Cela se passait dans la chambre desinstructions criminelles ; le président avait mis sa roberouge, et donné l’ordre à son huissier de ne laisser entrerpersonne.

– Monseigneur, reprit Porion, le margraveet le marquis de la Roche-Maubert, étaient amoureux de la mêmefemme.

– Ah !

– Je ne crois pas que le marquis soitmort, mais je n’ai pas encore de données positives sur son sort.Quant au margrave, il a quitté son hôtel hier soir.

– Où est-il allé ?

– Dans un carrosse jusqu’au bord de larivière, auprès du pont au Change.

– Et puis ?

– Là, il est monté dans une barque avecsa gouvernante.

« La barque a remonté le courant, mes agentsl’ont suivie en longeant les berges, et l’ont vue disparaître à lahauteur d’une maison de la rue de l’Hirondelle, en aval du pontSaint-Michel.

– Elle a chaviré ?

– Non, elle s’est engouffrée sous unchenal souterrain. En même temps, poursuivit Porion, j’ai faitgarder la rue de l’Hirondelle.

« Mes agents ont pénétré dans la maison que jeleur ai signalée, et l’ont fouillée de fond en comble, après avoirbâillonné et garrotté le bourgeois gentilhomme.

– Et ils ont trouvé l’issue souterraineindiquée par le Gascon ? dit le président dont les yeuxbrillaient.

– Non.

– Comment !

– La plaque de cheminée recouvrait un murplein.

« Alors, ne trouvant rien, ils ont établi dansla rue une sorte de souricière ; un gentilhomme est venu àpasser, et ils ont voulu l’arrêter. Mais il leur a montré une deces fameuses clefs que Monseigneur le Régent donne à ses favoris.Ils ont fait mine de s’éloigner, mais ils ont vu le gentilhommeentrer dans la maison suspecte.

– Fort bien.

– Et nous savons son nom.

– Ah !

– C’est le chevalier d’Esparron, et jesuppose qu’il est l’amant de la sorcière.

Tandis que Porion parlait, Boisfleury prenaitdes notes.

Porion continua :

– La maison est gardée du côté de la rue.Deux de mes hommes, cachés dans un bateau de blanchisseuse fontsentinelle du côté de la rivière.

– À merveille ! fit leprésident.

– Enfin, j’ai fait arrêter hier soir lemari de la gouvernante du margrave. C’est un Allemand nomméConrad.

« Cet homme prétend ne rien savoir, mais siVotre Seigneurie daignait ordonner qu’on le soumît à la question,il nous apprendrait bien des choses.

– Rien n’est plus facile, dit froidementle président Boisfleury.

Et il écrivit ces mots :

« La chambre criminelle des mises enaccusation ordonne que le sieur Conrad soit mis à latorture. »

Et il signa.

Porion prit l’ordre et dit :

– Maintenant, monseigneur, tout irabien.

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