La Femme immortelle

Chapitre 35

 

 

Maître Guillaume Laurent, le paisiblebourgeois, avait reculé précipitamment, mais il n’avait pas laissééchapper le flambeau qu’il portait à la main, et il n’avait pousséaucun cri.

– Ah ! coquin, disait le marquis,cette fois tu parleras.

Guillaume reculait toujours, et il arrivaainsi dans cette salle où il avait reçu, quelques jours auparavant,la visite du vieil amoureux.

– Marquis, marquis, dit alors lechevalier de Castirac, je vois que le bonhomme ne paraît pasvouloir nous opposer la moindre résistance. Par conséquent, jecrois que nous pouvons remettre l’épée au fourreau.

– Oui ; mais le drôle parlera !répéta le marquis.

Guillaume, la sueur au front, hors d’haleine,s’était adossé au mur, après avoir toutefois placé son flambeau surla cheminée.

Le marquis remit l’épée au fourreau, mais, enmême temps, il ferma la porte.

Puis il se planta devant le bourgeois.

– Ça, drôle, dit-il, causons un peu. Tum’as dis que cette maison t’appartenait ?

– Oui, monseigneur.

– Depuis plus de vingt ans ?

– Oui, monseigneur.

– Tu as fait le niais avec moi, et tu asprétendu que tu n’avais pas de locataire.

Guillaume ne répondit pas.

– Tu avais même l’air de si bonne foi,quand nous visitions les caves, que je suis sorti persuadé que tune savais absolument rien.

Un sourire glissa sur les lèvres de Guillaume,qui paraissait se remettre d’un premier moment d’effroi.

Le marquis continua :

– Cependant, au lieu de m’en aller, jesuis resté dans la rue et me suis mis en observation devant tamaison. Peu après, un gentilhomme s’est présenté, il a mis une clefdans la serrure et…

– Monseigneur, dit alors Guillaume, ilest inutile que vous alliez plus loin. Je sais le reste.

– Bon ! fit le marquis, alors tusais tout ?

– Tout absolument.

– Et tu parleras ?

Guillaume regarda le chevalier deCastirac.

– Ce jeune homme est votre ami sansdoute, fit-il.

– Je m’en vante, dit le Gascon.

– Alors je puis parler devantlui ?

– Sans doute.

Le bourgeois parut alors subitementtransfiguré.

Une lueur de sourire lui vint aux lèvres etson visage niais s’éclaira d’une expression de finesse ; enmême temps, il prit une chaise et se mit à califourchon dessus,sans plus de respect pour un homme à qui, jusque-là, il avaitprodigué du monseigneur.

Mais le marquis paraissait si pressé de savoirqu’il passa sur ce manque de convenances.

– Monsieur le marquis, reprit alorsGuillaume, un gentilhomme de province aussi riche que vous nesaurait n’être pas chasseur.

– Après ? fit le marquis.

– Qui dit chasseur dit un peu braconnier,et Votre Seigneurie doit savoir comment on pose des collets pour lelièvre et le lapin.

– Sans doute, je le sais. Mais où veux-tuen venir ?

– Le lièvre et le lapin courent têtebaissée ; la bécasse, plus circonspecte, poursuivit Guillaume,lève de temps en temps la tête et si, d’aventure, elle voit unpetit carreau de papier blanc attaché à un bâton, elle rebroussechemin.

– Mais que me chantes-tu donc là,drôle ?

– Attendez encore, monseigneur. Le boutde papier dont je parle a été placé là par un braconnier qui faitfi de la bécasse et ne veut pas qu’elle se prenne dans le colletqu’il réserve à un lièvre.

– As-tu bientôt fini de me conter dessornettes ! s’écria le marquis, impatienté.

– J’ai fini, dit Guillaume. Cette maisonressemble à un collet, monseigneur.

– Bon !

– Et je suis le morceau de papierblanc.

– Ce qui veut dire ?…

– Que le collet ne vous est pointdestiné…

– En vérité !

– Le collet est pour un autre que vous,et c’est pour cela que je vous dis ce que d’autres vous ont ditdéjà, monseigneur ; si vous étiez sage, vous vous eniriez.

– Drôle ! exclama le marquis, je tejure que si tu ne m’indiques pas sur-le-champ le passage quiconduit à la partie souterraine de la maison, je te planterai monépée dans la gorge.

Un soupir souleva la poitrine deGuillaume.

– Ma foi ! dit-il, il est des gens àqui on crie vainement : casse-cou !

– C’est possible.

– Ainsi vous le voulez ?…

– Oui, je le veux.

– Eh bien, soyez satisfait.

En même temps, Guillaume quitta la place où ilétait et se dirigea vers la cheminée, dans laquelle il n’y avaitpoint de feu.

Alors le chevalier de Castirac et le marquisstupéfaits, le virent prendre un des chenets et en frapper troiscoups sur la plaque du foyer.

Il s’écoula environ une minute.

Puis, soudain, la plaque du foyer tourna surses gonds invisibles, comme une porte, et le marquis et son jeunecompagnon virent apparaître une sorte de trou noir et béant.

Le marquis eut un cri de triomphe.

Il s’empara du flambeau et s’approcha de cemystérieux corridor.

– Je vois un escalier, dit-il.

– Un escalier qui vous mènera où vousvoulez aller, dit Guillaume.

– Je l’espère bien.

– Mais d’où vous ne reviendrez pas,ricana Guillaume.

– Tu crois ?

– J’en suis sûr.

– Eh bien, moi, je suis sûr ducontraire.

– Ah ! ah !

– Chevalier, dit alors le marquis entirant sa montre, il est une heure du matin. Vous allez rester ici,avec maître Guillaume.

– Fort bien, fit le chevalier.

– Si, à trois heures, je ne suis pasrevenu…

– Je logerai ma rapière dans la poitrinedu bonhomme, n’est-ce pas ? dit froidement le chevalier.

– Précisément, dit le marquis.

Alors il prit le flambeau et, l’épée à lamain, il s’aventura dans le mystérieux escalier.

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