La Femme immortelle

Chapitre 12

 

 

Comme on le pense bien, la redoutablegouvernante avait mis à profit cette heure qui s’était écouléeentre le moment où elle avait pris congé de Jeanne la Bayonnaise etcelui où elle s’était mise en devoir de tirer le margrave de saléthargie.

Elle était montée dans cette chambre où elleavait laissé le sergent Lafolie soupant et buvant.

– Êtes-vous prêt ? lui avait-elledit.

– Prêt à vous suivre, dit-il.

– Alors, suivez-moi.

Elle avait ouvert une porte et l’avait conduitjusqu’à un corridor au bout duquel se trouvait un escalier.

Escalier et corridor étaient éclairés par deslampes d’albâtre qui répandaient autour d’elles un demi-jour.

Au bas de l’escalier, se trouvait un autrecorridor, et à l’extrémité de ce corridor une porte à deuxvantaux.

– La chambre de votre ancienne maîtresseest là, dit alors madame Edwige.

– Et elle y est ?

– Oui.

– Seule ?

– Oui.

– Eh bien ! que voulez-vous que jefasse ?

– Je veux que vous attendiez ici. Quandl’intendant vêtu de rouge qui est allé vous chercher reviendra,vous frapperez à cette porte.

– Bon ! et on m’ouvrira ?

– Oui. Si vous ne dites pas votre nom etsi vous contrefaites un peu votre voix.

– Parfait !

– Quand Jeanne vous aura ouvert, vousentrerez et vous vous arrangerez de façon qu’elle vousreconnaisse.

– Mais que lui dirai-je ?

– Oh ! tout ce que vous voudrez.Cela vous regarde et non moi.

Et madame Edwige, qui n’avait pas voulus’expliquer davantage, s’en était allée tirer le marquis de sonsommeil, après avoir prévenu Conrad de ce qu’il avait à faire.

Suivons-la donc maintenant, tandis qu’elledonnait le bras au vieillard.

– Mais où me conduis-tu, coquine ?disait le margrave.

– Venez toujours, monseigneur.

Elle lui fit traverser plusieurs salles,arriva dans le grand vestibule de l’hôtel et gravit l’escalierd’honneur en soutenant le prince.

– Tu ne me conduis pas chez Jeanne,disait-il, puisque sa chambre est au rez-de-chaussée.

– Je vous mène dans un endroit d’où vouspourrez la voir comme si vous étiez près d’elle.

Le prince, toujours chancelant, gravitl’escalier, suivit un corridor, et madame Edwige l’introduisit danscette même salle où le sergent avait soupé.

– Qu’est-ce que cela ? fit-il, envoyant la table encore chargée des débris du souper.

– C’est l’un des amoureux de Jeanne qui acassé une croûte ici.

Le prince eut un rugissement de colère.

– Et où est-il donc ce misérable ?fit-il.

– Avec elle.

Sur ces mots, madame Edwige souleva le tapis àun coin opposé de celui où elle avait montré ce parquet en glace ausergent.

Une vive lumière frappa le margrave auvisage.

– Penchez-vous et regardez, dit madameEdwige.

Le prince se pencha et reconnut qu’il était audessus de la chambre à coucher où Jeanne venait d’achever satoilette de nuit.

– Ah ! coquine, dit-il, tu vois bienqu’elle est seule.

– Attendez ! répondit-elle.

En effet, c’était en ce moment sans doute quele sergent frappait à la porte, car Jeanne s’était levée pour allerouvrir.

– Maintenant, monseigneur, dit madameEdwige, si vous voulez me promettre de ne pas faire de bruit, jevais vous mettre à même d’entendre ce qui se fera et se diralà-bas.

– Soit, dit le prince, je te lepromets.

Alors madame Edwige pressa un ressort, et lafeuille du parquet en glace se souleva, laissant ainsi passer leson.

Une sorte de curiosité tenace et furieuses’était emparée du margrave.

Il regarda et il écouta…

** * *

Jeanne la Bayonnaise était donc allée ouvriret elle avait jeté un cri en se trouvant face à face avec lesergent Lafolie.

Elle fut même si émue qu’elle recula dequelques pas, ce qui permit au sergent d’entrer et de fermer laporte.

Celui-ci avait la démarche conquérante et leverbe haut.

– Eh bien ! Jeanne, dit-il, mereconnais-tu ?

– Oui, balbutia-t-elle.

La peur s’était emparée d’elle et ellemurmura :

– Oui, je te reconnais… maistais-toi…

– Ah ! tu veux que je metaise ?

– Parle bas, au moins…

– Et pourquoi ?

– Mais parce qu’on pourrait nousentendre…

– Ah ! c’est juste, dit-il d’un tonmoqueur, tu es en passe de devenir princesse.

– Tais-toi !

– Soit, je parlerai plus bas, mais tu mereconnaîtras ?…

– Je te reconnais…

– Je suis Lafolie.

– Oui.

– L’homme que tu as tant aimé…

– Je ne m’en défends pas, maissilence !…

– Tu ne t’attendais pas à me revoir…

– Non, balbutia-t-elle. Mais commentes-tu entré ici ? D’où sors-tu ?…

– Je te le dirai plus tard :maintenant…

Et le soudard reprit sa mine conquérante etses airs vainqueurs.

– Maintenant, quoi ? dit-elletoujours émue.

– Il s’agit de faire nos conditions.

– Hein ?

– Ne vas-tu pas devenirprincesse ?

– Peut-être…

– Moi je suis toujours sergent et le rôlede fils de Mars commence à m’ennuyer.

– Que veux-tu que je fasse ?

– C’est ce que je vais t’expliquer.

Et le sergent s’allongea sur l’ottomane oùJeanne était couchée tout à l’heure.

** * *

– Eh bien, monseigneur, dit madame Edwigeà l’oreille du margrave, que pensez-vous de tout cela ?

– Mais tais-toi donc, fit le prince avecimpatience, je ne veux pas perdre un mot des confidences de cesoudard et de cette gourgandine.

Madame Edwige triomphait !

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