La Femme immortelle

Chapitre 22

 

 

Le Régent se trouvait donc à présent tête àtête avec le président Boisfleury.

Malgré sa perspicacité ordinaire, celui-cin’avait pu deviner ce que contenait le papier que monseigneurPhilippe d’Orléans avait mis sous les yeux du cardinal, et quecelui-ci venait d’emporter.

– Monsieur le président, dit alors leprince en regardant Boisfleury, je vais imiter mon lieutenant depolice et vous parler tout d’abord du prince margrave deLansbourg-Nassau.

« Le prince est cousin de tous les souverainsallemands, à commencer par l’empereur et à finir par le roi dePrusse.

« Nous mêler de ses affaires serait nousexposer à des désagréments avec plusieurs puissances, et, si vousvoulez bien, nous n’en parlerons plus. »

Philippe d’Orléans parlait d’une voixcourtoise, mais pleine de fermeté et qui en imposa au présidentBoisfleury.

Le Régent reprit :

– Parlons maintenant du marquis de laRoche-Maubert, lequel a disparu et, selon vous, aurait étéassassiné.

– J’en ai la conviction, ditBoisfleury.

– Mais non la certitude.

– Et c’est pour cela que je vienssupplier Votre Altesse royale de vouloir bien donner desordres…

Le Régent arrêta le président d’un geste.

– Permettez, dit-il. Je connais cetteaffaire mieux que vous.

« Le marquis est un ancien serviteur de monpère et je l’aime fort.

– Alors Votre Altesse ne doit pas laissersa mort impunie.

– Mais le marquis n’est point mort, ditle Régent.

Boisfleury fit un nouveau pas en arrière.

– Outre que le marquis est de mes amis,poursuivit le Régent, il est proche parent de Dubois, mon ministre,et vous pensez bien que s’il avait été assassiné, nous nelaisserions à personne le soin de rechercher les meurtriers et deles livrer à la justice.

– Cependant, dit Boisfleury, le marquis adisparu ?

– Oui.

– Où est-il ?

– Voilà ce que je sais, mais ce qu’ilm’est impossible de vous dire.

Boisfleury eut un geste d’étonnement.

– Monsieur le président, dit froidementle Régent, écoutez-moi bien. La justice ne doit s’émouvoir quelorsqu’il y a eu un crime commis. Je vous donne ma parole de princeet de Régent de France, que le marquis est vivant. Mais, en mêmetemps, ajouta Philippe d’Orléans avec l’accent de l’autoritésuprême, je vous ordonne de mettre à néant ce commencementd’enquête qui, poussée plus loin, pourrait compromettre les genshaut placés dans l’État, et peut-être l’honneur d’une femme.

Ce disant, le Régent se leva avec une grandedignité, faisant ainsi comprendre à Boisfleury que son audienceétait terminée.

Celui-ci, pâle de dépit et d’irritationconcentrée, salua jusqu’à terre et sortit sans dire un mot.

Alors le Régent perdit ce masqued’impassibilité qu’il avait su garder jusque-là et son visageimprima une vive inquiétude.

– Pauvre d’Esparron ! murmura-t-il,pauvre Janine !… Et il appuya son front sur ses deux mains etparut s’abîmer en une profonde et douloureuse rêverie. Quelquesminutes après une draperie qui masquait une porte de sûreté sesouleva et Dubois montra sa tête de fouine.

– Monseigneur, dit-il, d’Esparron estlà.

– Qu’il entre ! dit le Régent quileva vivement la tête.

Dubois s’effaça et d’Esparron entrasur-le-champ.

– Mon mignon, lui dit le Régent, tu merendras cette justice que jusqu’ici la police vous a laissés bientranquilles, Janine et toi.

– Oui, monseigneur.

– Mais la police n’est pas le Parlementet voici un vieux fou de président au criminel qui veut se mêler devos affaires. Or, si dans huit jours, Janine et toi vous n’avezpoint accompli votre œuvre, je ne réponds plus de rien.

– Dans huit jours tout sera terminé,monseigneur, répondit le chevalier d’une voix lente et grave.

– Et vous serez partis ?

– Nous serons hors du royaume.

Le Régent regarda Dubois.

– Tu connais Boisfleury, toi aussi ?dit-il.

– Certes, répondit le cardinal, c’estl’homme le plus entêté de France et de Navarre.

– Et ne crois pas qu’il se tienne pourbattu, dit le Régent. En sortant d’ici, sais-tu ce qu’il vafaire ?

– Non, monseigneur.

– J’ai deux ennemis.M. de Bourbon et M. de Fripes, sans comptermadame la duchesse du Maine et son imbécile de mari. Il va allerles trouver. Je lui ai défendu de pousser plus loin sesinvestigations, mais il ne tiendra aucun compte de ma défense, etdans trois jours, tout Paris saura que le marquis de laRoche-Maubert a disparu.

– Cela est probable, monseigneur.

– Il faut donc se hâter, ajouta leRégent, en s’adressant au chevalier d’Esparron.

Sans compter, poursuivit Philippe d’Orléans,que ce maudit Gascon fera grand tapage, et se montrera flatté dejouer un rôle. »

– Monseigneur, dit Dubois, il me vientune belle idée.

– Voyons !

– J’étais là tout à l’heure et je n’aipas perdu un mot du récit de ce vieux fou de Boisfleury.

– Bon ! Après ?

– Si j’ai bien entendu, c’est chez luiqu’il a fait subir au Gascon un interrogatoire.

– Oui.

– C’est chez lui qu’il le gardeprisonnier.

– En effet.

– Or, poursuivit Dubois, en admettant queBoisfleury ne coure pas sur-le-champ chez nos ennemis, il seratoujours retourné au Palais quitter sa robe et laisser la litièredu Parlement.

– Cela est probable.

– D’ici à la rue de la Vrillière, il n’ya qu’un pas. Que Votre Altesse signe une lettre de cachet, qu’ellela remette à son capitaine des gardes avec ordre d’aller enlever lechevalier de Castirac et de le conduire à la Bastille.

– Tu as raison, dit le Régent.

Et il signa la lettre de cachet, et Duboissortit pour donner des ordres au capitaine des gardes.

– Ah ça ! dit alors le Régent enregardant M. d’Esparron, le marquis est bien vivant, n’est-cepas ?

– Oui, monseigneur, mais il a eu jolimentpeur…

– Prend garde qu’il ne t’échappe, dit leRégent, car si tu avais à la fois ce vieux fou et Boisfleury surles bras, je serais impuissant à vous sauver…

Et le Régent ayant ainsi parlé, retomba danssa rêverie.

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