La Femme immortelle

Chapitre 9

 

 

Le sommeil du chevalier d’Esparron ne fut pasde longue durée.

Soit que le narcotique, employé par le vieuxmarquis de la Roche-Maubert, fût à peu près inoffensif, soit que lecalme et le silence, succédant tout à coup aux rires bruyants etaux conversations qui l’entouraient, eussent eu une action directesur son système nerveux, le chevalier n’était pas seul depuis uneheure, qu’il s’éveilla.

Il s’éveilla, non point à la manière des gensqui ont eu le cauchemar, se frottent les yeux, cherchent où ilssont, et dont la pensée ne se dégage qu’avec peine des brouillardsdu sommeil, retrouvant lentement et peu à peu sa lucidité, maistout d’un bloc, tout d’une pièce, sans étonnement comme sansfatigue.

Le Régent et ses convives étaient partis.

Mais la table encore dressée supportait lesrestes du souper.

Des lampes à globe dépoli répandaient autourd’elles une clarté douce et mystérieuse.

Enfin, un profond silence régnait.

Le chevalier se dirigea d’abord vers la table,prit un verre et se versa à boire.

Puis il alla regarder la pendule qui setrouvait sur la cheminée.

Il était trois heures du matin.

Un sourire dont il eût été difficile, sinonimpossible, de fixer la signification glissa alors sur seslèvres :

– J’ai le temps, murmura-t-il.

Il s’approcha d’une glace et jeta un coupd’œil sur son costume.

Ses nœuds de rubans étaient un peufripés ; mais ce ne fut pas à cela qu’il prit garde.

Ce qu’il examina avec une scrupuleuseattention, ce fut sa collerette et le ruban bleu de ciel noué pardessus en guise de cravate.

– Ah ! ah ! fit-il.

Il devenait évident pour lui que le nœud avaitété défait, car il n’était pas attaché de la même manière, que sacollerette avait été ouverte, et que très certainement cette petitepiqûre qu’il avait au cou avait été montrée au Régent et à sesconvives.

Un nouveau sourire glissa sur seslèvres :

– Parfait ! dit-il entre sesdents.

Et il chercha son manteau qu’il avait, enentrant, jeté sur un meuble, rajusta le ceinturon de sa petite épéede cour, rétablit un peu d’ordre dans sa coiffure, car il portaitses cheveux longs et sans poudre, mit son tricorne sous le bras etmurmura encore :

– Maintenant, partons. À moins qu’il n’yait de grands changements au Palais-Royal et qu’on en ferme àprésent toutes les portes, la nuit, au lieu de les laisserdiscrètement ouvertes pour tous les amoureux qui ont besoin dugrand air, je serai dans dix minutes dans la rue Saint-Honoré, eton aura de nouveau perdu mes traces.

Parlant ainsi, le chevalier d’Esparron fit unpas vers cette même porte par où le Régent avait fait partir levieux marquis de la Roche-Maubert.

Mais un geste d’impatience lui échappa, carcette porte était fermée.

– Heureusement, se dit-il encore, quetout le monde doit être ou endormi ou dans les bras de la beauté,et qu’on ne s’occupe plus de moi.

Il se dirigea donc vers une autre porte,laquelle donnait sur une antichambre attenante au grandescalier.

Cette porte n’était pas fermée à clef, et ellecéda sous la main du chevalier.

Mais comme il allait en franchir le seuil, ilse trouva face à face avec monseigneur Philippe d’Orléanslui-même.

– Eh bien ! fit le Régent, as-tubien dormi, mon mignon ?

Puis, au lieu de s’effacer pour laisser passerle chevalier, il le repoussa doucement dans la salle du souper.

– Où diable allais-tu donc comme cela,mon ami ? dit-il.

– Mais… monseigneur…

– Tu penses bien, continua le Régent avecbonhomie, que depuis trois mois qu’on ne t’a vu, il est bienpossible qu’on ait disposé de ton logis, et si tu sortais pourl’aller chercher…

– Pas précisément, monseigneur.

– Où allais-tu donc ?

– Mais dame ! fit naïvementd’Esparron, je m’en allais.

– Où cela ?

– Chez la femme que j’aime.

– Ah ! oui, rue del’Hirondelle ?

Le chevalier se mit à rire.

– Votre Altesse y tient, paraît-il.

– À la rue de l’Hirondelle ?

– Oui, et au vampire.

Et le chevalier continua à rire.

Cette fois un pli se forma sur le large frontde Philippe d’Orléans. Il attacha un regard clair, froid, presquesévère, sur le jeune homme.

– Chevalier, dit-il, te plaît-il causerun moment avec moi ?

– Monseigneur… fit le jeune homme ens’inclinant.

– Écoute-moi, poursuivit le Régent. Tusais si je t’ai toujours témoigné de l’amitié.

– Ah ! monseigneur, vos bontés mecomblent d’orgueil et de confusion.

– Ai-je donc, s’il en est ainsi, quelquesdroits à ta franchise ?

– Certes, oui, monseigneur, et VotreAltesse n’a qu’un signe à faire pour que je lui obéisse.

– Bien, reprit le Régent. Ce soir tu nousas dit que tu aimais une femme qui te voulait épouser.

– Oui, monseigneur.

– Et comme le marquis de la Roche-Maubertaffirmait que cette femme était une sorcière, une gent abominable,tu t’es récrié bien haut.

– C’est la vérité, monseigneur.

– Chevalier, dit sévèrement le Régent,n’as-tu pas menti à quelqu’un, cette nuit ?

– Si, monseigneur.

– Et à qui as-tu menti ?

– Au marquis de la Roche-Maubert.

Le Régent eut un geste d’impatience.

– À lui seul ? fit-il.

– Oui, monseigneur.

– Et non à moi ?…

– Je n’ai point menti à VotreAltesse.

– Prends garde, chevalier !

– Oh ! je ne crains rien,monseigneur, dit le jeune homme avec calme.

Et, comme le visage du Régent devenait de plusen plus sévère, un sourire glissa sur les lèvres de d’Esparron.

– Pendant que je dormais, monseigneur,dit-il, ou plutôt tandis que je feignais de dormir, car j’ai toutentendu…

Le Régent eut un nouveau geste desurprise.

– On a ouvert ma collerette, poursuivitle chevalier, et le marquis triomphant vous a montré la piqûre quej’ai au cou.

Et d’Esparron ouvrit une seconde fois sacollerette et la piqûre reparut aux yeux du Régent.

– Tu vois bien ! s’écria celui-ci,que tu mentais.

– Pas à vous, monseigneur.

– Mais à qui donc ?

– Je le répète à Votre Altesse, jementais au marquis de la Roche-Maubert.

Cette fois, le Régent regarda le chevalierd’Esparron avec un mélange de stupéfaction et de colère :

– Je crois que tu te moques de moi !fit-il.

– Non, monseigneur, et si Votre Altessedaigne m’écouter…

– Parle ! fit le Régent, qui voyaitl’énigme se compliquer de plus en plus.

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