La Femme immortelle

Chapitre 2

 

 

Tandis que le président Boisfleury se mettaiten tête de retrouver le marquis de la Roche-Maubert, celui-ciressemblait fort à ces bêtes fauves qui tournent sans relâche dansleur cage, espérant trouver une issue.

Du reste, comme on a pu le voir, le marquisétait dans une cage.

Mais comment y était-il ?

D’une façon bien simple, si on se reporte à cemoment où le marquis poursuivait Janine dans un étroit corridor et,ivre d’amour et de fureur, essayait de la rejoindre.

On s’en souvient, le sol avait tout à coupmanqué sous ses pieds.

Puis il avait jeté un cri terrible ; puisle chevalier d’Esparron et Janine n’avaient plus rien entendu.

Voici ce qui était arrivé.

À un certain endroit du corridor, le solfaisait place à une dalle tournante pareille à celles quirecouvraient les oubliettes.

La dalle avait fui sous le pied du marquis, etle marquis s’était senti précipité dans un abîme inconnu.

Cela avait été l’affaire d’un quart de secondependant lequel le marquis roulant dans les ténèbres s’était crumort.

Mais au lieu de tomber sur des rochers aigus,des piques ou des lames de sabre, meubles ordinaires desoubliettes, au lieu de rencontrer dans sa chute un sol dur surlequel il se serait brisé comme verre, le marquis était tombé dansl’eau.

Une sensation de froid succédant à cetteangoisse terrible avait été accueillie par lui comme un bienfaitinexprimable.

Non seulement, il ne s’était pas tué, maisencore la fraîcheur de l’eau calmait son exaltation.

Il s’était mis à nager.

L’obscurité la plus profonde l’enveloppait, etil pensa qu’il était tombé dans une citerne ou dans un puits.

En effet, ayant voulu aller droit devant lui,il s’était heurté à un mur ; puis, revenant en arrière, il enavait rencontré un autre, et enfin, il avait bientôt acquis laconviction qu’il était bien dans une citerne.

Mais comment en sortir ?

Pendant une heure environ, il se soutint surl’eau, tantôt nageant avec vigueur, palpant les murs et cherchantune porte, tantôt faisant la planche et n’espérant plus son salutque du hasard.

Puis l’épouvante et l’angoisse l’avaientrepris à la gorge. Cette eau glacée dans laquelle il était tombéétait un raffinement de supplice et il devait finir par se noyer,si l’on ne venait pas à son aide.

Tout à coup il se passa une chose étrange.

Le marquis crut sentir que l’eau fuyait souslui et que son niveau s’abaissait.

La citerne se vidait lentement par quelquesoupape subitement ouverte.

Elle se vidait lentement, il est vrai, et,cela pouvait durer assez longtemps pour que le marquis épuisé senoyât ; mais l’instinct de la conservation et peut-être lasoif de la vengeance lui donnèrent une vigueur nouvelle.

Il nagea encore, il nagea longtemps jusqu’à ceque, épuisé, il fermât les yeux et s’évanouît.

Mais ses pieds avaient enfin trouvé le sol dela citerne et il ne resta pas trois minutes sous l’eau, car l’eaus’échappant jusqu’à la dernière goutte, le laissa inanimé, maisvivant.

Et lorsque M. de la Roche-Maubertrevint à lui, il était dans ce cachot donnant sur un escaliersouterrain dont il était séparé par un treillage de barreaux de ferde l’épaisseur du bras et s’enchevêtrant les uns dans lesautres.

On lui avait mis d’autres vêtements et iln’était plus mouillé, à ce point qu’il aurait pu croire qu’il avaitfait un mauvais rêve.

Un homme, de l’autre côté de la cage, étaitassis sur une des marches de l’escalier, ayant un flambeau près delui.

M. de la Roche-Maubert l’avaitregardé avec effarement.

Puis il l’avait reconnu.

Et pris d’une fureur subite, il s’était ruésur les barreaux de sa prison.

Mais le chevalier s’était mis à rire.

Puis il lui avait dit en souriant :

– Monsieur le marquis, vous m’accorderezcette justice que j’ai opposé toutes sortes de résistance à vosprojets téméraires, et que si vous avez failli vous noyer, si vousêtes prisonnier maintenant, c’est votre faute, absolument votrefaute, et non la mienne.

– Ah ! misérable ! hurlait lemarquis.

Le chevalier haussait les épaules.

– Au lieu de m’injurier, dit-il,écoutez-moi.

La rage du marquis était-elle épuisée, ou bienla curiosité de savoir ce qu’on voulait faire de lui fut-elle assezforte pour le calmer momentanément ?

Nous ne saurions le dire ; mais il setut.

– Marquis, dit alors le chevalier, vousavez désobéi au Régent, vous avez dédaigné les conseils de l’abbéDubois, votre parent, et tout ce qui vous advient est votreœuvre.

« La femme immortelle ne vous aime pas ;elle ne saurait vous aimer, et cela pour deux raisons : lapremière est que vous avez depuis longtemps passé l’âge desamours ; la seconde est que Janine m’aime et que son cœurn’est pas assez vaste pour nous loger tous les deux.

Le marquis serra les poings, mais il nesouffla mot et continua à regarder le chevalier.

Celui-ci poursuivit :

– En outre, Janine et moi nous avons àfaire une besogne importante, dans l’accomplissement de laquellenous ne voulons pas être dérangés ; et comme, si nous vousrendions la liberté vous iriez de nouveau faire grand bruit etgrand tapage, souffrez que nous vous gardions jusqu’à ce que nousn’ayons plus à vous craindre. Rassurez-vous, du reste, c’estl’affaire de quelques jours.

Et le chevalier s’en était allé emportant leflambeau. Alors M. de la Roche-Maubert, l’intraitablevieillard, avait été en proie à un nouvel accès de fureur. Il avaitheurté sa tête aux murs de sa prison, meurtri ses doigts auxbarreaux de fer, crié et hurlé sans relâche, pendant plusieursheures.

Enfin, épuisé, l’écume à la bouche, il étaittombé sur le sol et n’avait plus fait entendre que des parolesvides de sens et des sons inarticulés.

Alors une lumière avait reparu dansl’escalier.

Le chevalier revenait portant un panier deprovisions. Et s’arrêtant devant les barreaux :

– Marquis, avait-il dit, je ne veux pasvous laisser mourir de faim !…

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