La Femme immortelle

Chapitre 32

 

 

La jeune femme fit une nouvelle pause.

– Sois patient, dit-elle au chevalier,qui se suspendait pour ainsi dire à ses lèvres, je suis bientôt àla fin de mon étrange récit.

Et elle continua :

– La morte fit alors à la sœur de Janinede longues recommandations et lui dit ce qu’elle avait à faireaprès la mort de sa sœur.

« Le lendemain elle arrivait à Paris.

« À l’heure où Janine montait sur le bûcher,sa sœur, le visage couvert d’un masque, était parmi la foule aupied de l’échafaud.

« Elle souleva un instant son masque etJanine, l’apercevant, eut un mouvement de joie.

« Ce fut alors qu’elle regarda le marquis dela Roche-Maubert et lui cria :

« – Tu sais bien que je suisimmortelle !

« En effet, Janine ne mourait pas toutentière, puisque sa sœur lui ressemblait traits pour traits etqu’elle allait continuer son œuvre.

« Et c’est pour cela que, le soir du supplice,on vit de la lumière aux fenêtres de la maison de Janine, et queceux qui entrèrent dans la maison jurèrent qu’ils l’avaientrevue.

« Le margrave avait causé la mort de Janine,mais il n’avait pu lui dérober son secret tout entier.

« La morte apparut encore à sa fille.

« – Dois-je frapper le margrave ? demandacelle-ci.

« – Non, répondit la morte. Ce n’est pas toiqui accompliras cette besogne.

« – Qui donc ? fit-elle étonnée.

« – Ta fille.

« – Mais je n’ai pas de fille,répondit-elle ; je suis mariée depuis plus de dix ans et monunion est demeurée stérile.

« – Il faut rentrer au foyer conjugal.

« La sœur de Janine obéit encore.

« Elle rejoignit son mari.

« Un an après, elle mourut en me donnant lejour, et, chose étrange, je ressemble aussi parfaitement à ma mèrequ’elle-même ressemblait à Janine, dont on m’a donné le nom.

« Ma mère était morte, mais le fantôme de monaïeule ne nous a point abandonnées.

« Quand j’ai eu vingt ans, elle m’est apparueet m’a donné ses ordres.

« Et c’est pour exécuter ces ordres que jesuis venue à Paris, et l’heure de l’expiation va sonner pour cevieillard qui est couvert du sang de Janine, comme son père l’étaitde celui de mes ancêtres.

En ce moment un bruit sourd interrompitJanine. On eût dit une cloche qui résonnait dans l’éloignement àtravers l’épaisseur d’un mur.

– Enfin ! dit Janine en se levantavec vivacité.

– C’est lui ?

– Oui, dans un quart d’heure il seraici.

– Il vient donc par le chemin que j’aifait prendre au Régent ?

– Oui, répondit Janine.

– Une chose m’étonne, repritd’Esparron.

– Laquelle ?

– Tout vieux qu’il est, le margrave nesaurait avoir perdu la mémoire.

– Assurément non.

– Et le chemin qu’il a pris a dû éveillerses souvenirs.

– Non, car ce chemin n’existait pas autemps de ma tante Janine.

– Ah !

– C’est ma mère qui l’a fait creuser.

– Mais cette barque, ces deux bateliersmasqués ?…

– Lui rappelleront vaguement Janine.

– Et quand il la verra ?…

– Ce n’est pas moi qu’il verra.

– Et qui donc alors ?

Un sourire vint aux lèvres de la nouvelleJanine.

– Écoute, mon bien-aimé, dit-elle. Ilfaut que tu saches tout à présent.

« Depuis que nous nous aimons, tu n’es jamaisdescendu à l’étage souterrain qui est au dessous de celui-ci et quia été, comme le canal par où le Régent est venu, creusé par l’ordrede ma mère.

« Dans cet étage, il y a un palais bizarre,œuvre d’ouvriers italiens et bohêmes qui étaient un peumagiciens.

« Dans ce palais, j’ai entassé une douzaine deserviteurs ramenés avec moi d’Italie et que tu n’as jamais vus.

« Ce sont les personnages de cette comédie dela mort dont le margrave sera le premier rôle et la victime.

« Parmi eux, il est une femme. Tu me trouvesbelle, n’est-ce pas ?

– Ah ! fit le chevalier avecadmiration.

– Eh bien, la femme dont je te parle estplus belle que moi ; c’est une fille de Naples : elle adix-neuf ans, elle a tourné la tête à bien des princes et à un roi,et c’est la femme que je destine au margrave.

Janine, en parlant ainsi, eut un sourirecruel.

– Je ne comprends pas encore, ditd’Esparron.

– Edwige, la gouvernante du margrave, monesclave en secret, poursuivit la nouvelle Janine, est la petitefille d’un serviteur de ma famille. Elle m’est donc dévouée. Enoutre elle a pour le margrave une haine féroce, car son aïeulporta, comme le mien, sa tête sur l’échafaud.

« C’est encore le fantôme de ma grand’mère quim’a fait cette révélation et qui m’a mise en rapport avec elle.

« Or donc, Edwige accompagne le margrave.C’est elle qui l’introduira dans le palais mystérieux où tout estprêt pour le recevoir.

– Mais, observa encore le chevalierd’Esparron, qui nous dit que le margrave trouvera cette femme à songré ?

– Elle possède une beautéirrésistible.

– Soit. Mais je ne vois pas quellevengeance si terrible on peut tirer d’un vieillard en le jetantdans les bras d’une femme éblouissante de jeunesse et debeauté.

– C’est que je lui ménage le supplice deTantale.

– Comment cela ?

– J’ai trouvé le moyen de devenir fluidecomme un spectre.

Le chevalier eut un nouveau gested’étonnement.

– Et chaque fois que le margrave voudras’élancer vers elle,mon spectre passera entre elle etlui.

« Cet homme, je le prédis, mourra fou de rageet d’amour.

« Je t’ai demandé huit jours, mon bien-aimé,mais je crois bien qu’il n’aura pas la force de vivre aussilongtemps.

– Je ne comprends absolument rien à toutcela, murmura le chevalier avec un accent naïf.

– Suis-moi et tu comprendras.

Alors elle le prit par la main, souleva unedraperie qui masquait une porte et tous deux quittèrent la salle defeuillage et disparurent.

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