La Femme immortelle

Chapitre 36

 

 

Quand le marquis de la Roche-Maubert se futengagé dans le passage mystérieux et que le bruit de ses pas,retentissant d’abord sur les marches de l’escalier, se fut éteintdans l’éloignement, le bourgeois Guillaume Laurent changea tout àcoup d’attitude avec le chevalier de Castirac.

– Monsieur, lui dit-il, si vous voulezbien, nous allons causer un peu.

– Volontiers, répondit le chevalier quise posa à califourchon sur une chaise et mit son épée nue entre sesjambes.

– Êtes-vous le fils, le neveu ousimplement l’ami du marquis ? reprit Guillaume.

– Je suis simplement son ami.

– Depuis longtemps ?

– Depuis ce matin.

– Alors tant mieux, fit le bourgeois, uneamitié de si fraîche date n’est pas dangereuse.

– Plaît-il ?

– On se console de la perte d’un ami devingt-quatre heures, poursuivit Guillaume avec flegme.

– Te moques-tu de moi,maroufle ?

– Dieu m’en garde ! mongentilhomme.

Mais la voix de Guillaume, faisant cettehumble réponse, n’était plus la même.

Elle était timbrée d’une nuance ironique,mêlée à une sorte d’accent d’autorité.

– J’espère bien, reprit le chevalier,n’avoir pas à pleurer le marquis.

– Peuh ! Qui sait ?

– Et, dans tous les cas, reprit leGascon, tu sais ce que je t’ai promis…

– Mais non, je ne sais pas, ditGuillaume.

– Je t’ai promis que si, dans deuxheures, le marquis ne revenait pas, je te passerais mon épée autravers du corps, dit le Gascon.

– Ah ! c’est juste, je n’y pensaisplus.

– Tu as l’air bien hardi, maintenant,drôle !

– Voulez-vous donc que jepleure ?

– Non, mais je veux que tu aies vis-à-visde moi l’attitude qu’un bourgeois doit avoir vis-à-vis d’ungentilhomme.

– Excusez-moi, dit Guillaume, j’ignoreles belles manières. Mais nous avons deux heures devant nous,n’est-ce pas ?

– Deux heures de vie pour toi, car si lemarquis ne revient pas…

– Bon, je comprends. Mais qu’allons-nousfaire de ces deux heures ? Avez-vous soif ?

– Heu ! heu ! dit le Gascon enfaisant claquer sa langue.

– J’ai dans ce bahut que vous voyez là,continua Guillaume, deux ou trois flacons de vieux vin.

– Eh bien, voyons-les…

– Aimez-vous le jeu, dit encoreGuillaume.

– Parbleu !

– La bête ombrée, parexemple ?

– C’est mon jeu de prédilection.

– Eh bien, dit Guillaume, il m’est avisque nous allons nous amuser un brin pendant deux heures.

Il alla ouvrir le bahut, y prit deuxvénérables bouteilles couvertes de toiles d’araignées, et lesapporta, ainsi que deux gobelets sur la table qui se trouvait aumilieu de la salle.

Les bouteilles débouchées, il remplit lesgobelets.

– À votre santé ! dit-il.

– À la tienne plutôt, dit le Gascon, oumieux, à celle du marquis.

Le bourgeois hocha la tête et ne réponditpas.

– Et ces cartes, où sont-elles ? ditencore Castirac.

– Là, dans cette pièce voisine qui mesert de chambre à coucher.

– Va les chercher.

– Ne buvez pas tout en mon absence, aumoins, dit Guillaume en souriant.

Et il entra dans la pièce voisine.

– Il est tout à fait bon homme, dit leGascon, et je souhaite, en vérité, que le marquis revienne sain etsauf de son aventureuse expédition, car j’aurais de la répugnance àl’occire.

Deux minutes s’écoulèrent, la porte de lachambre dans laquelle Guillaume était entré se rouvrit.

Mais le chevalier ne put réprimer un geste etun cri de surprise.

Guillaume n’était plus Guillaume, ou plutôtc’était Guillaume métamorphosé des pieds à la tête.

Guillaume avait jeté sa souquenille couleurcannelle, son bonnet fourré de peau de loutre, ses chausses marronet ses bas de laine noire.

Guillaume était vêtu d’un bon pourpoint degros drap, chaussé de bottes à entonnoir, coiffé d’un chapeau àplume qu’il inclinait sur l’oreille gauche, il avait un manteau surl’épaule et une rapière au côté.

Enfin ses bottes étaient garnies d’éperons quisonnaient gaillardement sur les dalles de la salle.

Mais chose non moins surprenante ! levisage du bonhomme Guillaume avait perdu son expression dedébonnaireté niaise pour revêtir une expression d’audace quiannonçait un homme d’épée.

Et s’avançant vers le Gasconstupéfait :

– Ça, dit-il, par quel jeu voulez-vouscommencer, mon gentilhomme ?

– Mais… balbutia le Gascon, je trouvecette mascarade plaisante, drôle.

– Où voyez-vous une mascarade ?

– Dame… ces habits ?…

– Sont les miens.

– Cette épée ?…

– Fera connaissance avec la vôtre, monpetit monsieur.

– Maroufle ! dit le Gascon, ungentilhomme comme moi…

– Peut se battre avec un autre…

– Tu es gentilhomme ?

– Pour vous servir.

– Tu n’es donc pas mercier ?

– Pas plus que vous.

– Alors, que fais-tu ici ?

– Je sers mes amis quand ils ont besoinde moi.

– En vérité !

– Et quelquefois je donne un bon conseilà des gens qui me sont sympathiques, ont une jolie figure et mereviennent. Vous êtes de ceux-là.

– Et tu as un conseil à medonner ?

– Peut-être.

– Voyons en ce cas.

– Remettez votre rapière en sa gaine,votre chapeau sur la tête, votre manteau sur les épaules, buvons undernier coup et allez-vous-en.

Maître Guillaume avait prononcé ces motsfroidement, avec un accent d’autorité.

– Tu railles, drôle ! fit leGascon.

– Non, je parle dans votre intérêt.

– Et si je ne veux pas m’enaller ?…

– Il m’est avis alors que c’est à un toutautre jeu que la bête ombrée que nous allons jouer, monpetit cadet de Gascogne.

Et Guillaume, sur ces mots, mit gaillardementet lestement flamberge au vent.

Puis il tomba en garde.

– À nous deux donc ! dit-il.

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer