La Femme immortelle

Chapitre 8

 

 

Laissons un moment madame Edwige et le sergentLafolie, et voyons ce qui se passait au rez-de-chaussée de l’hôtel,dans cette salle où le margrave, le chevalier et la Bayonnaisesoupaient.

Le chevalier de Castirac avait, en moins d’uneheure, marché à pas de géant dans l’estime et la confiance du vieuxprince.

Comment s’était opéré le miracle ? De lafaçon la plus simple.

Le chevalier était le premier homme qui, auxyeux du margrave, eût osé braver madame Edwige.

Le margrave était fabuleusement riche :il avait une cour, des pages, des gentilshommes ; dans saprincipauté, il rendait la justice.

Tout cela ne l’empêchait pas de subir lesvolontés de Conrad, et d’être l’esclave de madame Edwige.

Depuis vingt ans, cette mégère le faisaittrembler, et il n’eût trouvé autour de lui personne qui osâtprendre parti pour lui contre ce démon femelle.

Or, voici qu’un étranger, un Gascon, unaventurier, arrivait, et, du premier coup, dominait madame Edwigeet lui parlait presque en maître.

L’exemple est contagieux.

Pendant une heure, le margrave était redevenumaître chez lui ; il avait parlé d’une voix impérieuse, donnédes ordres qu’on s’était empressé d’exécuter.

Et puis la beauté de la Bayonnaise aidant, lemargrave s’était dit :

– Je crois que je vais devenir le plusheureux des hommes. J’aurai une fort jolie femme, et son frère medébarrassera de ces deux misérables, qui m’ont courbé si longtempssous leur joug.

Le margrave s’était fait servir à souper.

Comme à l’ordinaire, Conrad s’était présentéavec son habit rouge, une serviette sous le bras, prêt à remplirses fonctions de majordome.

Mais le prince l’avait congédié :

– Je n’ai pas besoin de tes services cesoir, avait-il dit. Envoie-moi mes pages.

Conrad était sorti consterné.

Madame Edwige avait voulu paraître, à sontour, mais le Gascon lui avait dit :

– Sandis ! ma chère, vous me portezsingulièrement sur les nerfs, et je vais vous jeter une bouteille àla tête si vous ne vous en allez !

Madame Edwige était sortie sans mot dire,mais, comme on l’a vu, elle avait déjà sous la main un auxiliaireet se promettait de prendre une revanche éclatante des deuxaventuriers.

Le Gascon, que nous n’avons cependant pas vutrès brillant, en présence de maître Guillaume le bourgeois,subitement transformé en homme d’épée, le Gascon, disons-nous,estima qu’on doit battre le fer quand il est chaud, et qu’ilfallait ruiner le plus tôt possible le reste de crédit quepouvaient encore avoir l’intendant et sa femme.

– Pardieu ! prince, disait-il, enregardant le margrave du coin de l’œil, vous avez à votre servicedeux grands coquins, en vérité !

– Cela est vrai, répondit lemargrave.

– Avez-vous compris la supercherieinfernale de la glace ?

– Mais… pas tout à fait…

– Comment avez-vous trouvé ma sœur, toutd’abord ?

– J’avoue, répliqua le margrave, que sabeauté ne m’a pas produit un grand effet immédiat.

– La glace, mon prince, c’était laglace !…

– Quel pouvoir avait-elle donc ?

– Le verre en était jaune et donnait auvisage un reflet terreux…

– Bon !

– Ensuite, elle élargissait etboursouflait les traits.

– Ah ! je comprends…

Puis, le prince se frappant lefront :

– Mais alors, reprit-il, j’ai congédiéune foule de jolies femmes, sans aucun doute.

– Sans aucun doute, répéta le chevalierde Castirac, qui fronça légèrement le sourcil.

– Oh ! fit Jeanne avec un souriresuperbe, si Votre Altesse les veut faire revenir, je ne m’y opposenullement, et je ne crains pas la comparaison.

– J’en suis persuadé, dit le margrave,aussi mon choix est-il fait.

– Là ! fit le chevalier triomphant,j’en étais bien sûr, monseigneur. Ma sœur est la plus bellepersonne du royaume de France.

– Et dès demain, j’épouse, continua lemargrave.

– Vous aurez raison.

– Mais, dit encore le margrave, il estune chose que je ne comprends pas…

– Laquelle ?

– Quel intérêt avaient tous cesmisérables à ce que je trouvasse laides toutes les filles qu’on meprésenterait ?

Le chevalier cligna de l’œil :

– Votre Altesse parlera-t-elle à cœurouvert ? dit-il.

– Certainement.

– Madame Edwige n’est plus de la premièrejeunesse.

– Mais ! fit le margrave, elle peutbien avoir quarante ans.

– Mais elle a été jeune… et fortbelle…

– Hé ! hé ! dit lemargrave.

– Et Votre Altesse s’en est aperçuejadis, j’en suis sûr.

– Hum ! hum ! peut-êtrebien…

– Ce qui explique la domination qu’elle alongtemps exercée sur Votre Altesse.

– Après ? fit le margrave.

– Eh bien, madame Edwige n’était pasfâchée, tout en poussant Votre Altesse au mariage, que VotreAltesse ne trouvât aucune femme digne de son amour.

– Parbleu ! oui, s’écria lemargrave, vous avez raison, et je comprends tout maintenant.

– Aussi je me permettrai de donner unconseil à Votre Altesse.

– Lequel ?

– Celui de congédier ces deux drôles.

– C’est ce que je compte faire dèsdemain. N’est-ce pas, chère amie ?

Et, se tournant vers la Bayonnaise, il voulutlui prendre un baiser.

Mais le chevalier lui saisit le bras etl’arrêta.

– Ah ! pardon, dit-il, vous alleztrop vite.

– Hein ? fit le margrave.

– Vous allez trop vite, répéta sèchementle Gascon.

– Mais puisque… j’épouse…

– Quand vous aurez épousé… mais… pasavant…

Et le Gascon prenait un air sévère.

Le margrave, que madame Edwige ne surveillaitplus avait bu ce soir-là plus que de coutume, et les premièresfumées de l’ivresse commençaient à lui monter au cerveau.

– Et si je veux embrasser ma femme,moi ! dit-il avec hauteur.

Le Gascon se leva, tira son épée etdit :

– Pas avant que vous n’ayez réglé nospetites affaires.

– Qu’entendez-vous par là ? dit lemargrave un peu dégrisé par la vue de cette épée nue.

– Ce n’est pas le tout d’épouser masœur.

– Ah !

– Il faut vous conformer aux volontés deson père et le mien, le marquis de Castirac, ajouta le Gasconimperturbable.

Et il s’appuya sur son épée, affectant de plusen plus des airs de matamore.

En alliée fidèle et docile, Jeanne nesoufflait mot, et le margrave un peu intimidé, murmura :

– Eh bien, parlez donc, et voyons quellessont ces volontés dont vous parlez…

Les cookies permettent de personnaliser contenu et annonces, d'offrir des fonctionnalités relatives aux médias sociaux et d'analyser notre trafic. Plus d’informations

Les paramètres des cookies sur ce site sont définis sur « accepter les cookies » pour vous offrir la meilleure expérience de navigation possible. Si vous continuez à utiliser ce site sans changer vos paramètres de cookies ou si vous cliquez sur "Accepter" ci-dessous, vous consentez à cela.

Fermer