La Femme immortelle

Chapitre 32

 

 

M. de la Roche-Maubert s’était faitce raisonnement :

– Le chirurgien dit que je ne pourrai pasme lever avant quatre ou cinq jours ; le cardinal et le régentpartagent cette opinion.

« Par conséquent, on ne s’avisera pas de mesurveiller d’ici là, et je m’arrangerai bien de manière à retournerauparavant rue de l’Hirondelle.

Après que le chirurgien et l’hôtelier l’eurentmis au courant de tout ce qui s’était passé, le marquis n’avaitplus qu’une idée fixe : être seul un moment.

Le chirurgien le pansa.

Il avait été homme de guerre en sa jeunesse,le vieux fou qu’on appelait le marquis de la Roche-Maubert, et ilavait reçu plus d’une estafilade, soit sur les champs de bataille,soit en combat singulier.

Aussi, se connaissait-il quelque peu enplaies, contusions et autres inconvénients du métier des armes.

Ayant vu sa blessure, il se dit :

– La voilà aux trois quarts fermée ;dans deux jours, il n’y paraîtra plus.

Le chirurgien s’en alla, puis l’hôtelier, etle marquis demeura seul un moment.

Il ne perdit pas une minute et sauta à bas deson lit.

Puis, en chemise, il se mit à marcher, àagiter ses bras et ses jambes, à ployer ses genoux, à se rendrecompte, enfin, de la force qui lui restait.

Son épée était dans un coin. Il la prit et sefendit deux ou trois fois contre le mur.

– Allons ! allons !murmura-t-il, je ne suis pas aussi bas qu’ils le disent. Nousverrons demain.

Et il se recoucha et passa patiemment au litle reste de la journée et la nuit qui suivit.

Le chirurgien vint de bonne heure, lelendemain, toujours accompagné de l’hôtelier qui, du reste, aidaitaux pansements.

– Barbier de malheur, dit le marquis auchirurgien, est-ce que vous allez me tenir à la diète ? Jemeurs de faim ce matin.

– Monseigneur pourra manger une aile devolaille et boire quelques gorgées de vin vieux, répondit le petithomme.

– J’ai faim et je m’ennuie profondément,continua le marquis.

– Vous vous ennuyez, monseigneur ?fit l’hôtelier.

– À mourir.

L’hôtelier se gratta l’oreille :

– Je ne sais pas trop, dit-il, commentparler de cela à Votre Seigneurie, mais…

– Mais quoi ?

– Peut-être pourrais-je proposer quelquedistraction à monseigneur.

– Comment cela ?

– Il y a en ce moment chez moi un petitcadet de Gascogne qui est plein d’esprit.

– Il est chez toi ? fit lemarquis.

– Oui, il vient à Paris pour solliciter,reprit l’hôtelier. Quand il a su que le Régent et le cardinalfaisaient prendre tous les jours des nouvelles de Votre Seigneurie,il s’est intéressé très vivement à elle.

– Naturellement, fit M. de laRoche-Maubert en souriant.

– Ainsi, reprit l’hôtelier, serait-iltrès heureux, monseigneur, d’être admis à vous faire unevisite.

– Comment s’appelle-t-il ?

– Le chevalier de Castirac.

– Fort bien ; quel âgea-t-il ?

– C’est un homme de trente ans.

– Bonne mine ?

– Et batailleuse, monseigneur.

– Sait-il jouer aux échecs ?

– Certainement.

– Eh bien, demande-lui s’il veut faire mapartie ?

Et tandis que l’hôtelier sortait avec lechirurgien, qui avait terminé le pansement, M. de laRoche-Maubert se disait :

– Un garçon qui vient de solliciter etcroit à une haute influence peut au besoin me faire un utileauxiliaire.

Le chevalier de Castirac arrive.

C’était un grand jeune homme avec de grandesjambes et un grand nez.

Il était fort laid, mais plein d’esprit ;de plus, il avait une mine des plus résolues et sa rapière, qui luibattait les mollets, sonnait d’une façon toute conquérante.

– Il est assez laid pour que je neredoute pas un rival en lui, pensa M. de laRoche-Maubert, et pour peu que son escarcelle soit plate et sonépée hardie, je l’utiliserai.

Le chevalier de Castirac se montra infinimentreconnaissant de la faveur que lui faisait M. de laRoche-Maubert de le prendre pour partner dans une partied’échecs.

Le marquis l’ayant invité à déjeuner, ilaccepta avec empressement, et au bout d’une heure, ils étaient lesmeilleurs amis du monde.

Alors le marquis lui dit :

– Vous venez à Paris poursolliciter ?

– Comme tous les Gascons, depuis le roiHenri, répondit le chevalier en souriant.

– Que désirez-vous ?

– Une casaque dans les mousquetaires.

– Avez-vous de l’argent ?

– Il me reste une dizaine depistoles.

– Mon jeune ami, dit le marquis, quepenseriez-vous d’un homme qui vous ferait entrer aux mousquetairesdans les huit jours et qui vous donnerait deux cents pistoles toutde suite.

Tout Gascon qu’il était, le chevalier deCastirac fut abasourdi et regardant le marquis :

– Mais, monsieur, lui dit-il, pourquoidonc vous moquez-vous de moi ?

– Je ne me moque nullement, répondit lemarquis, et les deux cents pistoles seront à vous quand vousvoudrez.

– Cornes du diable ! s’écria lechevalier, vous êtes donc Satan, monsieur le marquis, et vousvoulez m’acheter mon âme ?

– Non, répondit le marquis en souriant,mais j’ai besoin de vous.

– Ah !

– Et de votre épée.

– C’est une gaillarde, allez ! fitle Gascon en frappant sur la coquille de sa rapière. De quois’agit-il ?

– Tel que vous me voyez, dit le marquis,je suis amoureux.

– En vérité !

– Et c’est en allant à la conquête de mamaîtresse que j’ai reçu le coup d’épée qui me tient au lit.

– Bon !

– Mais je n’y renonce pas, et je veux memettre en campagne, reprit M. de la Roche-Maubert.

– Quand donc !

– Ce soir même. Voulez-vousm’accompagner ?

– Je suis votre homme, dit le Gascon.

– Alors les deux cents pistoles sont àvous. Mais écoutez-moi bien,

– Parlez…

– Je ne serais pas étonné qu’on mesurveillât ici, et qu’on voulût m’empêcher de sortir.

– Ah ! ah ! Eh bien, onavisera. Fiez-vous à moi.

Et le Gascon, plein de suffisance, avala ungrand verre de vin de Médoc et frappa de nouveau sur la coquille desa rapière, ajoutant :

– Mamzelle Finette, il va y avoir del’ouvrage pour vous, j’imagine !…

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