La Femme immortelle

Chapitre 38

 

 

Maintenant, voyons ce que devenait le marquisde la Roche-Maubert.

Il n’est rien de si tenace, a-t-on dit, que lafantaisie amoureuse d’un vieillard.

On a pu voir par sa conduite depuis huit joursque le marquis se chargeait de justifier pleinement cettesentence.

Retrouver Janine, la femme immortelle, lasorcière qui faisait de l’or, était désormais pour lui l’unique butde sa vie.

Il s’était donc aventuré bravement, unflambeau à la main, dans cet escalier que la plaque mobile de lacheminée venait de démasquer.

Où conduisait cet escalier ?

Très certainement au laboratoire, se disait lemarquis.

Et le flambeau d’une main, son épée nue del’autre, le marquis continuait à descendre.

L’escalier tournait sur lui-même, en forme devrille.

Des bouffées d’air humide montaient de sesprofondeurs et fouettaient le marquis au visage.

Mais il descendait toujours.

À la quarantième marche environ, il entenditun bruit sourd.

Alors il s’arrêta et tendit l’oreille.

Le bruit avait quelque chose du roulementlointain du tonnerre.

Mais le marquis eut bientôt reconnu ce qu’ilen était.

C’était le clapotement de l’eau contre unrocher qui parvenait jusqu’à lui, et M. de laRoche-Maubert comprit que cet escalier descendait à la rivière.

Un moment, il songea à rebrousser chemin et àchercher ailleurs la route qui devait conduire au laboratoire.

Mais alors il se souvint que pendant sonprocès, il y avait quarante ans, Janine avait dit à sesjuges :

– On arrive chez moi par eau aussi bienque par terre.

Les juges n’avaient point compris ces parolessans doute, puisque les enquêtes et les perquisitions ordonnées parle parlement dans la maison de la rue de l’Hirondelle, n’avaientamené aucun résultat.

Mais le marquis, en se remémorant cetteréponse, pouvait en conclure qu’il trouverait, en descendanttoujours, quelque corridor latéral, quelque porte pratiquée dans lacage de l’escalier et qui le conduirait là où il voulait aller.

Il se remit donc en marche et continua àdescendre.

Le bruit devenait plus distinct, l’air plushumide.

Le marquis ne s’était pas trompécependant.

À la soixantième marche il trouva unrepos.

La cage s’élargissait et une galerie s’ouvraitsur la gauche.

– Voilà mon chemin, dit le marquis.

Et, quittant l’escalier, il entra dans lagalerie.

À peine avait-il fait vingt pas que l’airdevint plus vif et qu’une bouffée de vent souffla sur son flambeauet l’éteignit.

Alors le marquis se trouva plongé dansd’épaisses ténèbres.

Tout autre que l’entêté vieillard eût, en cemoment, perdu tout son calme et toute sa présence d’esprit.

Peut-être même n’eût-il osé bouger.

Ou bien, essayant de revenir en arrière, iln’eût plus eu qu’un but, retrouver l’escalier et remonter à lasurface du monde vivant.

En aucun cas, tout autre que le marquis n’eûtsongé à aller en avant.

Mais le marquis, lui, n’hésita paslongtemps.

Il était dans les ténèbres, mais peu luiimportait ! Il se remit donc en marche, étendant son épéedevant lui pour sonder les obstacles, et murmurant :

– Quand ce chemin conduirait à l’enfer,j’irais jusqu’au bout !

La galerie avait un sol humide, un peuboueux ; en outre elle suivait un plan incliné et le marquiscomprit qu’elle descendait toujours.

Mais en descendant et s’enfonçant sous terreelle tournait légèrement sur elle-même, M. de laRoche-Maubert le comprit, car tout à coup les ténèbres quil’environnaient devinrent moins épaisses, et quelque chose comme lalueur d’une étoile à demi perdue dans un nuage, ou un bout de tisoncouvert de cendres, lui apparut dans le lointain.

– Ah ! ah ! fit-il avec unejoie d’enfant.

Et il doubla le pas.

À mesure qu’il avançait, le point lumineux serapprochait de lui, mais ne grandissait pas.

Et quand il fut tout auprès, le marquis put serendre un compte exact de ce qu’il voyait.

La galerie qu’il venait de suivre était ferméepar une porte ; au milieu de cette porte, il y avait un petittrou, et par ce trou s’échappait un rayon de lumière.

Le marquis colla son œil à ce trou.

Il aperçut une seconde galerie.

Celle-là était éclairée par une lampesuspendue à la voûte.

Mais comment y pénétrer ?

La porte qui le séparait de la première étaitfermée et paraissait très épaisse.

Le marquis lui donna un coup d’épaule et neparvint qu’à se meurtrir inutilement.

La porte résista.

Alors le vieillard se mit à promener sa maindessus, en hauteur et en largeur, et tout à coup il étouffa un cride joie.

Sa main avait rencontré une corde : etcette corde qui pendait, il la tira et aussitôt une cloche fut miseen mouvement.

– Bon ! se dit le marquis, voici lasonnette des visiteurs.

Et il tira sur la corde une seconde fois.

Puis il attendit.

Quelques secondes s’écoulèrent.

Le marquis avait appliqué de nouveau son œilau trou de la porte et il explorait la galerie éclairée.

Soudain la clarté devint plus vive et uneautre lumière apparut au marquis dans le lointain.

Puis encore, derrière la lumière qui étaitcelle d’un flambeau, le marquis aperçut un homme.

Cet homme s’avançait, le flambeau de la maingauche, un trousseau de clefs de la main droite.

Il était drapé dans un grand manteau.

Et quand il fut tout près, le marquis sentitson sang affluer à son cœur et ses lèvres se crisper de colère.

L’homme au trousseau de clefs étaitmasqué.

Le marquis n’en douta pas un seul instant,c’était son adversaire, celui qui l’avait galamment couché, d’uncoup d’épée, dans le ruisseau de la rue de l’Hirondelle.

Et cet adversaire ne pouvait être que lechevalier d’Esparron, l’amant actuel de Janine.

– Ah ! cette fois, rugit le marquis,j’aurai une revanche.

L’homme au masque arriva jusqu’à la porte etdit :

– Qui donc a sonné ?

– Moi, fit le marquis d’une voix étoufféepar la colère.

– Comment vous nommez-vous ?

– La Roche-Maubert.

L’homme ricana à travers son masque.

Mais il mit une clef dans la serrure et laporte s’ouvrit.

– Je vous attendais, marquis, dit alorsl’homme au masque d’un ton railleur.

En même temps, il posa la main sur la garde deson épée, qui relevait son manteau par un coin.

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