La Femme immortelle

Chapitre 3

 

 

La Bayonnaise s’était arrêtée et regardaitcurieusement le chevalier.

– Que me voulez-vous ? dit-elleenfin.

Mais le Gascon lui répondit en languebasque :

– Comme je suis convaincu que vous allezdevenir princesse, je viens vous offrir mes services et vousdemander votre protection.

Cette langue du pays natal résonnant tout àcoup à son oreille avait fait tressaillir la jeune fille, quiregarda une seconde fois le chevalier.

Il y eut entre eux comme un échange de fluideélectrique et de regards magnétiques.

Ces deux êtres qui se voyaient pour lapremière fois devinèrent que la destinée avait voulu les réunir, etqu’ils se devaient l’un à l’autre.

Et certes, l’amour ne fut pour rien dans cespressentiments.

La jeune fille se dit :

– Voilà le protecteur dont j’aibesoin.

Le Gascon se dit pareillement :

– Je suis venu à Paris pour y chercherfortune, et il pourrait bien arriver que j’eusse trouvél’instrument qui doit me servir à la faire.

Il lui prit le bras, et elle ne se dégageapoint.

Elle marchait résolûment vers la porte dumargrave, tout à l’heure ; il l’entraîna à l’autre bout de larue et elle ne résista point.

Les curieux qui encombraient les abords del’hôtel avaient eu le temps de voir ce manège.

Quelques-uns battirent des mains,disant :

– La plus belle jeune fille ne sera paspour le vieillard. C’est le jeune homme qui l’emmène.

Le chevalier avait entraîné la jeune fille àl’écart en lui disant :

– Vous ne perdrez rien à vous faireattendre. Quand vous paraîtrez, le margrave tombera à vosgenoux.

Elle n’en doutait pas un moment, puisqu’ellele suivit sans résistance.

Il y avait dans la rue une sorte de cabaret,désert en ce moment.

Le chevalier y poussa la Bayonnaise :

– Nous allons causer un brin, dit-il, etnous verrons à quoi je vous puis être utile.

Une minute après, ils étaient attablésvis-à-vis l’un de l’autre, et personne ne pensait plus à eux.

– D’où venez-vous ? disait lechevalier de Castirac, continuant à regarder cette fille splendidedont les vêtements étaient ternis et qui, en dépit de sa pauvreté,avait un air de reine.

– Vous voulez savoir mon histoire ?dit-elle.

– Oui.

– Je vais vous la dire. Elle est courte,mais elle ne manque pas d’intérêt, comme vous l’allez voir.

Le chevalier s’accouda sur la table,contemplant toujours la Bayonnaise.

Elle reprit :

– Mon costume vous a dit mon pays. Jem’appelle Jeanne, je suis de Bayonne, j’ai dix-neuf ans.

« Je suis venue à Bordeaux, il y a deux ans,pour y chercher une condition.

« J’ai rencontré alors un beau sergent aurégiment de Picardie, qui tenait garnison à Bordeaux, et je m’ensuis affolée.

« Le sergent m’a promis de m’épouser, et ileût tenu sa promesse, j’en suis certaine, s’il n’avait eu lamalencontreuse idée de me montrer à son capitaine.

« Le capitaine s’est épris de moi, et je m’ensuis bientôt toquée moi-même, abandonnant le sergent.

« Le capitaine m’a amenée à Paris. Nous sommesdescendus à la Croix du Trahoir, rue de l’Arbre-Sec, etnous avons habité un mois ensemble.

« Le capitaine était un cadet, il n’avait pasgrand argent.

« Il s’est endetté avec moi, et il m’aabandonnée un matin, me laissant quatre pistoles.

« Cela se passait il y a huit jours.

« Depuis ce temps une foule de projets m’onttraversé l’esprit.

« Je me suis dit d’abord qu’il ne devait pas yavoir à la cour une femme aussi belle que moi.

– C’est vrai, dit le chevalier.

– Et que si je pouvais arriver jusqu’auRégent, il perdrait la tête en me voyant.

– C’est bien possible, ma foi !

– Puis, continua Jeanne la Bayonnaise,j’ai appris que ce vieux fou, qui a des trésors incalculables,épouserait la plus belle fille qu’il trouverait, et je me suis ditque je devais être la plus belle de toutes celles qu’il pourraitvoir.

– Vous avez raison, dit le chevalier, quiadmirait cette foi robuste de la jeune fille en sa beauté.

Jeanne poursuivit :

– Mon père et ma mère étaient demisérables cabaretiers qui tenaient une auberge à la porte deBayonne sur la route d’Espagne.

« J’avais six ans quand une bohémienne, à quinous avions donné l’hospitalité, me dit la bonne aventure.

« Elle examina les lignes de ma main etaffirma que je serais princesse.

« Or, reprit Jeanne, j’ai une foi profondedans la conviction de la bohémienne, et si ce n’est pas ceprince-là que je dois épouser, c’en sera un autre, mais j’entrouverai toujours un.

« Seulement, acheva-t-elle, je suis au bout demes ressources, et je n’ai pas de temps à perdre.

Le chevalier se mit à sourire.

Puis il mit la main dans sa poche et la retirapleine d’or :

– Jeanne, dit-il, j’ai autant de foi quevous, maintenant, dans la protection de la bohémienne, et, commeelle, je vous dis que vous serez princesse.

– Bon, fit-elle.

– Mais, à Paris, une femme toute seule nepeut rien, il lui faut un cavalier, un protecteur, un ami.Voulez-vous que je sois tout cela ?

– Je ne demande pas mieux,répondit-elle.

– Voulez-vous associer nos deuxfortunes ?

– Oui, certes.

– Alors, topez là.

Et il prit dans la sienne les petites mains deJeanne la Bayonnaise, ajoutant :

– Maintenant, nous pouvons aller chez lemargrave. Donnez-moi le bras.

Il jeta un petit écu sur la table du cabaretet sortit, conduisant triomphalement la jeune fille qui voulaitdevenir princesse.

Ce fut un nouveau murmure d’étonnement parmila foule de curieux qui stationnaient devant l’hôtel dumargrave.

On avait applaudi en voyant le Gascon enlevercette jolie fille.

Mais quand on les vit reparaître tous deuxbras dessus bras dessous, entrer dans la cour et se présenter à ceguichet ou on subissait une première inspection, celle del’intendant, quelques sifflets se firent entendre.

Le chevalier se retourna.

– Imbéciles que vous êtes, dit-il, nevoyez-vous pas que c’est ma sœur ?

Et il continua son chemin la tête haute.

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