La Femme immortelle

Chapitre 4

 

 

L’accent d’autorité avec lequel parlait lemarquis de la Roche-Maubert avait fini par dominer lesconvives ; et les plus sceptiques d’entre eux commençaient àl’écouter avec une religieuse attention.

Il reprit :

– La haine n’est que la conséquence del’amour, quand elle n’est pas l’amour encore.

« Je haïssais le vampire !

« Mais pourquoi ?

« Était-ce pour ces quelques gouttes de sang,provoquées à l’aide d’une épingle d’or et dont ses lèvres s’étaientabreuvées ?

« Non.

« Je le haïssais parce qu’il avait mislui-même un terme à cette âpre et délirante volupté dont il m’avaitabreuvé.

« Je le haïssais, parce qu’il m’avait expulséde cette demeure mystérieuse où l’on m’avait conduit et où j’avaisconnu les délices inénarrables.

« Je m’étais endormi dans ses bras et je meréveillais dans une hutte de pêcheur.

« Je quittai donc cette dernière demeure, larage au cœur, ayant fait le serment de me venger à tout prix.

« Mais comment ? j’ignorais non seulementle vrai nom de cette femme, mais encore celui de la rue où l’onm’avait conduit les yeux bandés.

« Cependant, rentré au Palais-Royal après uneabsence de plusieurs jours, j’allai trouver le capitaine des pageset je lui contai mon aventure.

« Il m’écouta le sourcil froncé.

« – Ce que vous me dites-là, me répondit-il,est fort extraordinaire. Cependant, je suis tenté de vouscroire…

« Et comme je le regardais, cherchant àdeviner sur quoi il pouvait baser sa confiance, ilpoursuivit :

« – Connaissez-vous Raoul de Berny ?

« – Mon camarade aux pages ?

« – Oui.

« – Mais sans doute, puisqu’il est mon intimeami.

« – Eh bien, Raoul a disparu comme vous.

« – Depuis quand ?

« – Depuis dix jours, et moins discret quevous, il a raconté son aventure avant d’aller au rendez-vous, et ila dû être enlevé de la même manière que vous.

« – Ah ! fis-je avec une âprecuriosité.

« – Cela étant, poursuivit le capitaine despages, je vais faire mon rapport au roi. Donnez-moi les plusminutieux détails par écrit.

« J’obéis, et j’écrivis quatre longues pagesdans lesquelles je racontai tout ce qui m’était arrivé.

« La police fut prévenue et se mit encampagne.

« Mais la police ne trouva rien.

« Huit jours s’écoulèrent.

« Tout à coup Raoul reparut.

« Comme moi, il s’était éveillé loin de ladame au masque, car, comme moi, il avait eu les preuves de sonamour ; comme moi, il avait une piqûre au cou, preuve évidenteque le vampire s’était pareillement abreuvé de son sang.

« Mais, de plus que moi, il était complètementfou.

« Alors un accès de jalousie forcenée s’emparade moi.

« Ma haine n’était, au fond, que del’amour ; et cette femme était d’autant plus coupable, à mesyeux, qu’elle m’avait trompé !

« J’aurais voulu tuer Raoul.

« La police se livrait à de nouvellesrecherches, auxquelles je m’intéressais avec acharnement, et ellene trouvait absolument rien, lorsque le hasard me servit.

« Il y avait bien un mois que j’avais quittéla maison du pêcheur, et j’avais retrouvé toutes mes forces ettoute mon énergie.

« Un soir, je quittais le Palais-Royal et jeme dirigeais vers la place des Victoires où M. le duc de laFeuillade faisait construire un hôtel magnifique, lorsque jecroisai un homme qui cheminait à grands pas.

« Cet homme, en me voyant, voulut prendre lafuite ; mais je courus après lui, je le saisis au collet etj’appelai à mon aide deux soldats aux gardes qui passaient parlà.

« Or cet homme n’était autre que l’un des deuxporteurs de litière, celui-là même qui m’avait remis le billet sanssignature dans lequel on me donnait rendez-vous au bord de laSeine, en aval du pont au Change.

« Cet homme, arrêté sur mes instances, futconduit au Châtelet.

« Là, un juge criminel l’interrogea.

« Mais il prétendit que je me trompais, qu’iln’était pas l’homme dont je parlais, et qu’il me voyait pour lapremière fois.

« Alors on le mit à la torture.

« Il supporta, sans faiblesse, le supplice dubrodequin ; puis il se laissa tenailler le gras des jambes etdes bras ; mais son courage s’évanouit devant la question parl’eau.

« Comme son ventre enflait et que le bourreaus’apprêtait à lui entonner une nouvelle cruche d’eau, il demandagrâce et promit de faire des révélations.

« Or, voici ce qu’il raconta :

« – La femme masquée qui de temps à autre,enlevait un jeune et beau gentilhomme et le conduisait en uneretraite mystérieuse, n’était pas un vampire, mais une personne quicherchait la pierre philosophale.

« La preuve en était, dit cet homme, que,lorsqu’elle avait bu quelques gorgées du sang de ses amants, ellese faisait saigner, à son tour, par un chirurgien qui était soncomplice, et que ce sang, qu’on lui tirait, servait à faire desexpériences scientifiques, dont le but était de trouver le moyen defaire de l’or.

« Le porteur de litière ajouta même que cesecret elle l’avait trouvé.

– Et donna-t-il son adresse ?demanda le régent.

– Oui, monseigneur.

– Alors, on la retrouva ?

– Elle habitait, rue de l’Hirondelle,laquelle rue donne dans la rue Gît-le-Cœur, de l’autre côté de laSeine, une maison située au fond d’un jardin.

« Cette maison, le soir même, fut envahie parla police.

– Et on la trouva ?

– Oui, monseigneur. Elle était occupée àfaire bouillir un mélange de sang et de drogues médicinales dans unréchaud d’argent, en une salle située dans les combles de samaison, et qui était encombrée de cornues, d’alambics, de creusetset autres engins de chimie et de sorcellerie.

« Conduite au Châtelet, traduite devant lagrande chambre criminelle, elle refusa de faire aucunerévélation.

« On la mit à la torture, maisinutilement.

« Alors elle fut condamnée par le parlement àêtre brûlée vive.

– Et son supplice eut lieu ?

– Oui, monseigneur, j’y assistais. Etquand elle monta sur le bûcher, elle m’aperçut au milieu de lafoule et me cria :

« – Tu savais pourtant bien que je suisimmortelle !

« Un immense remords s’empara de moi.

« À cette heure, j’eusse donné tout mon sangpour la sauver, mais il était trop tard…

« Le bourreau mit le feu au bûcher et lesflammes tourbillonnèrent autour d’elle, se faisant jour au traversd’un épais nuage de fumée.

« Une heure après, acheva le marquis de laRoche-Maubert, il ne restait plus du vampire qu’un monceau decendres fumantes, et cependant cette femme n’était point morte…

Et le marquis couvrit son visage de ses deuxmains et on vit des larmes jaillir au travers de ses doigtsamaigris…

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